Maroc : la philosophie « contraire à l’islam » ?

mars 2017

Le roi Mohammed VI aime, comme feu son père, flirter avec la modernité sans prendre de risques. Il y a un an, sur sa recommandation, le conseil des ministres avait nommé une commission chargée d’expurger des manuels scolaires des concepts par trop rétrogrades. Le roi cherchait par ce moyen à plaire aux pays occidentaux, en poliçant l’islam officiel, et à saper l’influence des radicaux islamistes dès les lycées, où l’islam est enseigné jusqu’au baccalauréat.

Le résultat ne semble pas à la hauteur des espérances du Prince. Dans le nouveau « Manuel d’éducation islamique », sorti fin octobre 2016, la philosophie, matière pourtant enseignée au lycée, est présentée comme « une production de la pensée humaine contraire à l’islam ». En outre, elle est estimée « l’essence de la dégénérescence ».

Le ministère de l’Éducation hurle au « procès d’intention ». Selon lui, le manuel ne ferait que citer un clerc islamiste du XIIIe siècle, As-Salah Ach Chahrazouri. Bien, mais pourquoi lui et pas un religieux reflétant une position plus nuancée ? Pourquoi pas, au moins, une autre citation pour contrebalancer cette vision radicale ?

Pour dire ce propos reflétant bien le sentiment des «réviseurs » de l’ouvrage, un autre terme apparaît dedans qui aurait dû susciter lui aussi une polémique : celui de « mécréant », « kafir » en arabe. Si on s’en tient à la lettre du Coran, ni les chrétiens, ni les juifs ne sont supposés appartenir à cette catégorie. Certes, pour les désigner, le mot « kafir » était généralisé sous le califat, arabe puis ottoman. Ceci afin de justifier les guerres menées contre les chrétiens et leur réduction à l’infériorité sous la juridiction musulmane.

Pour comprendre les difficultés rencontrées par la monarchie chérifienne dans ses modestes efforts de modernisation, il faut se remémorer les points suivants :


1/
La légitimité du roi repose sur la religion. Il détient le titre d’« amir al mouminin », que l’on traduit en français par « commandeur des croyants ».
2/
La loi du royaume s’apparente à la charia, révisée néanmoins pour ne pas tarir la ressource du tourisme.
3/
L’analphabétisme est au Maroc le plus élevé du Maghreb, favorisant la permanence d’un islam populaire archaïque sur lequel les islamistes prennent facilement pied.
4/
En 2011, les Printemps arabes déferlant, le roi du Maroc, inquiet pour son trône, a fait écrire une nouvelle constitution suivie d’élections législatives. Moindre mal, les islamistes dits modérés ont accédé au pouvoir sous la conduite d’Abdel-Ilah Benkiran.

Benkiran, Premier ministre depuis 2011, est un enseignant passé à l’islamisme et à la politique depuis les années 70. Influencé par la branche radicale des Frères musulmans, il est néanmoins manoeuvrier. Dans l’incapacité de faire reconnaître un parti politique islamiste, il a très vite été l’alibi démocratique du régime en jouant les faire valoir de celui-ci. Du même coup, il avait pour mission de récupérer les extrémistes contestant la monarchie chérifienne et de les ramener sous la houlette du roi (*).

Tout cela explique la difficulté rencontrée par le régime chérifien pour faire évoluer la teneur du manuel d’éducation islamique des lycées. Aussi, sous des dehors aimables, le Maroc est-il l’un des pays les plus en retard en matière d’adaptation de l’islam à la modernité, mis à part l’Arabie Saoudite et l’Iran. Il en résulte une fragilité intrinsèque du régime.

Note

* J’ai rencontré Abdelilah Benkiran à la conférence islamiste de Khartoum, en 1995, à laquelle j’assistais envoyé par un journal. Il n’en fallait pas beaucoup pour, le provoquant, le pousser à déverser sa haine de l’Occident et sa radicalité islamiste.

Benkiran a été déhargé comme premier ministre 15 mars 2017

Alain Chevalérias

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

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