LE RÊVE AMÉRICAIN

février 2008

Livre:Propaganda, comment manipuler l'opinion en démocratieEn 1928, paraissait le livre " Propaganda ", écrit par Edward L. Bernays. Neveu de Sigmund Freud, le fondateur de la psychanalyse, celui-ci est considéré par les Américains comme l'inspirateur des " spin doctors ", ces spécialistes de la manipulation d'opinion travaillant aux côtés des hommes politiques. Né à Vienne en 1891, Bernays est arrivé avec ses parents à New York en 1892. Il travailla d'abord à la promotion de personnalités du monde du spectacle. Puis, pendant la Première Guerre mondiale, il rejoignit la " Commission Creel ", un organisme chargé de la propagande destinée au soutien de l'entrée des États-Unis dans le conflit. En 1929, il mit sa connaissance de la psychologie des foules au service d'un trust du tabac, pour faire tomber le tabou interdisant aux femmes de fumer. Manipulées par la propagande de Bernays, ces dernières se laissèrent convaincre que les cigarettes étaient " leurs flambeaux de la liberté " et un instrument de leur émancipation. " Il nous arrive, explique le manipulateur, de désirer telle chose, non parce qu'elle est intrinsèquement précieuse ou utile, mais parce que, inconsciemment, nous y voyons le symbole d'autre chose que nous désirons sans oser nous l'avouer ". Dans le cas des cigarettes, il suffisait d'associer celle-ci à un souhait enfoui dans l'inconscient des femmes américaines de l'époque : celui de s'approprier les pouvoirs des hommes.

Nous devons la republication de " Propaganda " en français aux Éditions de La Découverte. A droite, personne ne s'est trouvé pour entreprendre cette oeuvre salutaire. Nous reproduisons ici quelques-uns des passages les plus significatifs du livre. Ils font comprendre comment Bernays et ses successeurs actuels voient la démocratie et abusent de la candeur " des masses ". Ils révèlent aussi l'existence de groupes d'influence qui court-circuitent les processus électoraux. Un livre éclairant sur le sarkozisme.

" La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays (...). Nous sommes dominés par ce nombre relativement restreint de gens - une infime fraction des cent vingt millions d'habitants du pays * - en mesure de comprendre les processus mentaux et les modèles sociaux des masses. Ce sont eux qui tirent les ficelles : ils contrôlent l'opinion publique, exploitent les vieilles forces sociales existantes, inventent d'autres façons de relier le monde et de le guider ".

Ces propos, écrits par un journaliste ou un chercheur, passeraient pour les divagations d'un " obsédé du complot ". Il faut les comprendre publiées par un spécialiste des manipulations. A ce titre, elles ont valeur de révélations, même si l'homme ne cherche, finalement, qu'à faire la publicité de son savoir faire. Clairement, il dit : " Ce livre se propose d'expliquer la structure du mécanisme de contrôle de l'opinion publique ".

Il explique d'abord, selon lui, les origines historiques du couple démocratie et propagande : " Le suffrage universel et la généralisation de l'instruction sont ensuite venus renforcer ce mouvement (d'évolution politique), au point qu'à son tour la bourgeoisie se mit à craindre le petit peuple, les masses qui, de fait, se promettaient de régner. Aujourd'hui, pourtant, une réaction s'est amorcée. La minorité a découvert qu'elle pouvait influencer la majorité dans le sens de ses intérêts. Il est désormais possible de modeler l'opinion des masses pour les convaincre d'engager leur force nouvellement acquise dans la direction voulue ".

Et d'ajouter cette phrase terrible : " La propagande est l'organe exécutif du gouvernement invisible ". Ou, plus loin : " Ce qu'il faut retenir, c'est d'abord que la propagande est universelle et permanente ; ensuite, qu'au bout du compte, elle revient à enrégimenter l'opinion publique, exactement comme une armée enrégimente les corps de ses soldats ".

Quand Bernays dit : " Si, selon la formule consacrée, tel candidat à la présidentielle a été " désigné " pour répondre à " une immense attente populaire ", nul n'ignore qu'en réalité son nom a été choisi par une dizaine de messieurs réunis en petit comité ", cela nous fait penser, sur notre propre territoire, à des élections récentes.

Et le premier des " spin doctors " d'enfoncer le clou : " Oui, les dirigeants invisibles contrôlent les destinées de millions d'êtres humains. Généralement, on ne réalise pas à quel point les déclarations et les actions de ceux qui occupent le devant de la scène leur sont dictées par d'habiles personnages agissant en coulisse ".

Mais, selon la théorie de Bernays, il faut des hommes pour assurer la liaison entre les " dirigeants invisibles " et les hommes politiques : Aussi " La nouvelle profession des relations publiques est née de la complexité croissante de la vie moderne, et de la nécessité concomitante d'expliciter les initiatives d'une partie de la population à d'autres secteurs de la société (...) Heureusement, la propagande offre au politicien habile et sincère un instrument de choix pour modeler et façonner la volonté du peuple ", précise-t-il.

Et d'expliquer la méthode : " Le politicien qui a appris à modeler l'opinion de ses électeurs sur sa propre vision de peuple ", précise-t-il.

Et d'expliquer que, pour " le politicien qui a appris à modeler l'opinion de ses électeurs sur sa propre vision de l'assistance sociale et du service public collectifs (...) il suffit de se mettre au diapason du public en créant les circons-tances qui vont ordonner l'enchaînement des pensées... "

On croirait lire les méthodes du système Sarkozy quand, par exemple, candidat à la Présidence, il se rendait dans les banlieues et déclenchait des émeutes. Une réaction instinctive amenait les électeurs à se sentir du côté du provocateur qui récupérait ainsi leur suffrage.

Plus loin on lit sous la plume de Bernays : " La campagne, cependant, n'est qu'un moment de la vie politique, alors que le processus du gouvernement se déroule en continu. A cet égard, même si c'est moins spectaculaire, il est plus utile et plus fondamental de mettre la propagande au service de l'administration démocratique, plutôt que de s'en servir pour recueillir les suffrages. On peut amener une collectivité à accepter un bon gouvernement comme on la persuade d'accepter n'importe quel produit ". N'est-ce pas, là encore, à travers des effets d'annonce, ce que Sarkozy tente de faire ?

Le propagandiste de poursuivre : " Ce serait une bonne chose que le gouvernement des États-Unis* crée un porte-feuille des Relations publiques intégré au cabinet présidentiel. Son ministre aurait pour vocation, d'une part d'expliquer précisément au monde les objectifs et les idéaux de l'Amérique*, d'autre part d'informer les citoyens de ce pays des activités du gouvernement et leurs raisons d'être ". Exactement ce que fait David Martinon pour son maître. On voit le rêve américain habiter Sarkozy !

Nous laisserons le lecteur réfléchir à la conclusion sans ambiguïté de Bernays : " Notre démocratie ayant pour vocation de tracer la voie, elle doit être pilotée par la minorité intelligente qui sait enrégimenter les masses pour mieux les guider ".

* Le livre a été écrit aux États-Unis.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

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