L'article a appelé notre
attention pour plusieurs raisons.
D'une part, une dizaine de pays étaient
mis en cause comme pourvoyeurs d'armes de " l'Union des
Tribunaux islamiques, " la formation milicienne qui,
par la force, est parvenue à contrôler la plus grande
partie de la Somalie. Parmi ces pays, les " méchants
" habituels : Syrie, Iran, Arabie Saoudite et Libye.
D'autre part, les auteurs du rapport
n'étaient pas nommés. Enfin, citait " Le
Monde, " " L'union des Tribunaux islamiques
a envoyé une force militaire d'environ 720 hommes au
Liban pour combattre aux côtés du Hezbollah contre
l'armée israélienne, " durant la guerre
de l'été 2006.
Cette dernière affirmation
nous a poussé à faire une recherche. Pourquoi ?
Nous connaissons suffisamment le Liban pour savoir impossible,
dans un pays de 3,5 millions d'habitants, plus blancs que noirs
et de langue arabe, de diluer dans la masse 720 Noirs parlant
un autre idiome, le somali, et ignorant les coutumes locales.
Interrogés, nos contacts au
Liban ont conforté notre intuition. En outre, les services
de sécurité n'ont pas signalé de contingents
de Somaliens venant combattre Israël.
Certes, ont peut douter, imaginer
les Libanais, en bons politiques, occulter cette présence
embarrassante. Mais les Israéliens n'auraient pas manqué
de tuer quelques-uns de ces Somaliens pendant les combats. Même
s'ils ne retrouvent pas de pièces d'identité, les
soldats juifs n'auraient pas pu confondre des cadavres de Somaliens
avec ceux de Libanais. Soyons en sûrs, ils ne se seraient
pas gênés pour proclamer la nouvelle.
Il convient d'ajouter. Alain Chevalérias
était au Liban début juillet 2006 et dans le courant
d'octobre 2006. Le Hezbollah,
croyons-nous pouvoir dire à partir de ses informations,
n'a envoyé dans le Sud du pays que des combattants Libanais
connaissant parfaitement la région. Cette connaissance
du terrain leur a permis d'avoir souvent l'avantage dans les
combats. Des combattants somaliens auraient constitué
une charge et non un avantage. N'importe quel expert militaire
en matière de guérilla confirmera ce point.
Tout cela excitait notre curiosité. Nous avons approfondi
nos recherches.
1/ Le
rapport, avons-nous appris, a été réalisé
par une équipe de quatre personnes
dirigée par un certain Bruno Schiemsky. Expert
en armement de nationalité belge, il est basé à
Naïrobi (Kenya). Ses collaborateurs s'appellent :
- Melvin E. Holt, un citoyen américain, expert
en armement.
- Harjit Singh Kelley (ou Harjit Singh Kelley), serait
kenyan et est expert en matière maritime.
- Joel Salek, un Colombien, est pour sa part réputé
expert en matières financières.
2/
Nous nous sommes procuré le rapport en question. Les affirmations rapportées par le
journal " Le Monde " figurent bien dedans.
3/
Le rapport et l'enquête ont été commandés
par les Nations unies, pour lesquelles les quatre personnes
ci-dessus mentionnées ont agi en tant que consultants.
Et non pas, comme écrit dans le journal, en tant qu'"
experts de l'ONU. " La différence nous apparaît
importante.
4/
Par conséquent, le rapport n'est pas un rapport des
Nations unies. Quand, en gros caractères "Le
Monde" écrit : " Selon l'ONU, " l'Union
des tribunaux islamiques a envoyé 720 hommes au Liban
pour combattre aux côtés du Hezbollah, "
" il commet donc une erreur grave. D'autant plus que le
texte, remis le 17 novembre 2006 au Conseil de sécurité,
au 15, date de publication du journal, n'a pas encore été
officiellement analysé par le Conseil de sécurité
ou les services des Nations unies. Ceux-ci seraient donc bien
en mal d'approuver un document dont ils n'ont pas pris connaissance.
5/
On s'étonne aussi de la publicité donnée
au contenu du rapport avant sa remise au Conseil de sécurité.
"Le Monde" n'est pas seul à incriminer
: toute la presse internationale a reçu communication
du rapport ou de ses éléments essentiels au même
moment. Cela signifie une distribution à plusieurs centaines
de correspondants, estimons-nous. Cet effort pour divulguer le
document signale une volonté délibérée
de court-circuiter le Conseil de sécurité. D'éviter
ainsi un embargo sur un document supposé resté
confidentiel, sans l'accord des Nations unies de le diffuser.
6/
Un autre élément suggère une manipulation.
Le Nations unies on en effet appointé un " Représentant
spécial " pour la Somalie. Il s'appelle François
Lonseny Fall. Citoyen guinéen, il a été
ministre des Affaires étrangères et Premier ministre
(en 2004) dans son pays. Lui est un représentant des Nations
unies et s'exprime donc en leur nom. On peut se demander si l'absence
du nom des auteurs sur le rapport cité par " Le Monde
" et ses confrères n'est pas destinée à
générer une confusion.
7/
Les Nations unies, plus particulièrement le Conseil
de sécurité, se sentent mal à l'aise dans
cette affaire. Le 22 novembre, François Lonseny Fall
s'est exprimé à propos de la Somalie sur la Radio
des Nations unies. Comme pour rattraper les effets négatifs
du rapport de Bruno Schiemsky lâché dans la nature,
il tenait des propos encourageants, sur la situation en Somalie,
et appelait les pays voisins à ne pas interférer
dans ses affaires.
8/
En dépit des erreurs professionnelles, graves à
notre sens, accumulées par Schiemsky et son équipe,
le Conseil de sécurité lui a renouvelé sa
" confiance " pour poursuivre la mission d'information
sur la Somalie. On sent là des pressions politiques très
fortes s'exerçant sur une institution dont l'indépendance
est difficile à préserver.
CONCLUSIONS
: Nous
ne disposons pas les éléments nécessaires
pour évaluer l'ensemble du rapport de 87 pages de Bruno
Schiemsky et de son équipe. Cependant, le supposé
renseignement sur la présence de 720 Somaliens, au Liban,
pour combattre aux côtés du Hezbollah contre Israël
au cours de l'été 2006, nous apparaît faux.
Or, cette prétendue information n'est même pas traitée
au conditionnel. Elle est présentée dans le style
affirmatif et sur presque une page du rapport. Cela décrédibilise
l'ensemble du travail et des assertions produites par les auteurs.
Dans le contexte de tension internationale actuelle, nous estimons
ce type de document et, craignons-nous, les manipulations qui
entourent sa diffusion, dangereux pour la paix.
- Alain Chevalérias,
Mira Farès,
Badih Karhani,
Consultants au
- Centre
de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
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