APRÈS LES RÉVOLUTIONS ARABES RÉALITÉS DE LA MENACE ISLAMISTE

décembre 2011

Chaque pays dit arabe est différent, par la culture, les coutumes et l’histoire, même s’ils sont tous porteurs d’une forte empreinte de l’islam. Comment en parler sans être réducteur ? Il faut pourtant s’y essayer au risque de paraître lapidaire.

Les élections tunisiennes du 23 octobre ont semé l’effroi en Occident après le succès remporté par le parti islamiste Ennahda. Certes, l’inquiétude est justifiée. Ennahda détient maintenant 91 sièges à l’Assemblée nationale. Mais, on l’oublie, sur 217 sièges, il n’a pas obtenu la majorité absolue. Les résultats, avec 41,17% de bulletins de vote en sa faveur, montrent que près de 60% des électeurs lui sont opposés.

Bien que sa visibilité soit occultée par ses divisions, nous voyons là la victoire des courants politiques inspirés par la modernité. Un vrai démenti pour ceux qui croient les musulmans prêts à se lever comme un seul homme au premier appel d’un prédicateur.

On l’ignore trop souvent chez nous : si on assiste dans le monde arabe en général à une montée de l’islamisme, on voit aussi des courants modernistes s’affirmer. Mieux, beaucoup, tournant le dos au marxisme, ont choisi le modèle occidental de société. En Tunisie, pour une large mesure grâce aux lois et à l’effort d’éducation de Bourguiba, puis de Ben Ali. Peut-on le dire sans se faire taxer de sentiments favorables à l’endroit du Président déchu?

Le Liban, pays que ne concerne pas la vague des révolutions arabes, nous donne un exemple concret de cette évolution. La communauté sunnite, dans sa grande majorité, a opté pour la modernité, allant jusqu’à bâtir une alliance idéologique, et non de circonstances, avec leur ancien ennemi de la guerre civile, les chrétiens des Forces libanaises.

Autre contexte, la Syrie. Nous y assistons à une révolution d’une maturité exemplaire. Plus de 3500 personnes ont été tuées par les forces de répression depuis le mois de mars. Certes, des déserteurs font usage de leurs armes. Mais l’ensemble des manifestants marche mains nues, prêt à sacrifier sa vie pour la liberté. Or, en Syrie, au CNS, structure regroupant les sensibilités associées à la révolution, sur 29 membres du secrétariat général, reflet de leur faiblesse, on ne compte que cinq Frères musulmans. Là aussi, la soif de modernité l’emporte sur l’islamisme.

La situation en Libye n’est pas sans risque. Des gens d’Al-Qaïda sont dans l’autorité provisoire. Ce qui ne vaut pas mieux, il faut néanmoins s’attendre à une implosion du pays en clans rivaux plutôt qu’à une prise de contrôle des islamistes les plus radicaux. Même si nous pouvons nous réjouir du renversement de Kadhafi, nous ne pouvons que constater la part de responsabilité de notre pays dans ce désordre montant.

L’Égypte, présente un profil plus préoccupant encore. Nous sommes dans ce pays au creux du berceau des Frères musulmans, organisation islamiste politico-religieuse qui a essaimé dans le monde entier. Même sous Moubarak, ce mouvement disposait d’une représentation à l’Assemblée nationale. Pire, dans la population, se pratique un islam archaïque et sectaire dont les chrétiens coptes, marginalisés et persécutés, voire assassinés, font les frais. Ce pays nous inquiète car les Frères y ont conclu une alliance, bénie par les États-Unis, avec les forces armées. Nous y attendons avec appréhension les élections de la fin du mois de novembre.

Quant au Yémen, des combats à l’arme lourde s’y déroulent dans le sud entre l’armée et des éléments affiliés à Al-Qaïda. Pendant ce temps, sous l’étiquette « féministe », c’est une islamiste du parti Al-Islah, Tawakkol Karman, qui au début du mois est venue à Paris faire la promotion de la révolution. Parfois, nous marchons sur la tête en Occident.

Alors, oui, il y a un risque d’émergence de pouvoirs islamistes, parfois dans la variante terroriste, dans le sillage des révolutions du Moyen-Orient. Mais le monde arabe a aussi généré leurs adversaires : une mouvance avide de modernité. Il serait temps que nous apprenions à faire la distinction entre nos amis et nos ennemis.

Alain Chevalérias

 Un renard
dans le poulailler tunisien
Le 23 octobre 2011, le résultat des élections législatives était proclamé en Tunisie. Ennahda, parti islamiste, remportait 40,17% des suffrages. Revenu de son exil à Londres, son chef, Rachid Ghannouchi, a accordé un interview au « Monde ». Un chef d’oeuvre d’habileté de Ghannouchi qui a roulé la journaliste dans la farine.
Sur l’acceptation de la diversité religieuse, par exemple, il argue d’un passé islamique qui tolérait celle-ci. Il oublie de préciser dans quelles conditions. Il va jusqu’à dire « dans l’Histoire des musulmans, nous avons connu des guerres politiques, pas de religion ». Il occulte ainsi les bains de sang occasionnés par des conquêtes entreprises au nom du « jihad », guerre menée au nom du coran. Une manière pour Ghannouchi de disculper l’islam en tant que tel. Interrogé sur les aspects religieux de son programme politique, il répond par ailleurs : « Ce sont des valeurs islamiques basées sur l’égalité, la fraternité, la confiance et l’honnêteté. Ces valeurs sont l’essence de la charia et celle-ci n’a jamais quitté la Tunisie. La loi tunisienne en est en grande partie inspirée, surtout le code civil et le code du statut personnel. Même la partie importée de France, Napoléon l’a empruntée à la jurisprudence malékite » On est là dans une vision onirique de la charia additionnée de légende. Nous serions en effet curieux de savoir en quoi le code Napoléon a copié sur la version malékite de la loi islamique. Pas un mot en revanche sur l’amputation de la main des voleurs, sur la mise à mort de l’apostat ou sur la polygamie, autorisée par la charia mais interdite par le précédent régime. Si la journaliste avait fait son travail, elle aurait demandé : « Voulez-vous l’application de la charia ? » Puis, face aux habiles détours de Ghannouchi, elle aurait pu citer les textes et lui demander s’il envisage de supprimer les règles insupportables ou s’il compte attendre d’avoir une majorité suffisante pour les appliquer.


Le Maroc : un islamiste sous contrôle du Palais
À la suite des élections auxquelles son parti est arrivé en tête, Abdelilah Benkirane a été nommé Premier ministre par le roi.
C’est, comme en Tunisie, une victoire toute relative dans le sens où le PJD (Parti Justice et Développement) n’obtient que 107 sièges de députés sur 395.Reste la personnalité de Benkirane. Né à Rabat dans une famille modeste en 1954, à partir de 1976, il fait ses premières armes dans les Chabiba Islamiya, groupe islamiste clandestin.Très vite, néanmoins, il comprend que le rapport de force ne joue pas en sa faveur. Emprisonné à deux reprises, il bascule et, tout en tenant un discours islamiste radical, se présente comme un partisan de la monarchie.
Driss Basri *, ministre de l’Intérieur de Hassan II, de 1979 à la mort de ce dernier en 1999, nous a fait quelques confidences à propos de Benkirane. « Il est prêt à tout pour arriver, nous a dit Basri. Mais il suffit de lui expliquer ce qu’il risque pour le garder en main... » Contrôlé par les services du Palais, Benkirane faisait figure de « révolutionnaire utile », servant de d’alibi démocratique au régime. Nous avons parlé avec lui en 1995, lors de la conférence islamiste de Khartoum, à laquelle il était invité par Hassan Al-Tourabi, chef islamiste soudanais. Il ne fallait pas beaucoup le pousser pour lui faire dire sa haine de l’Occident et sa faveur pour un islam oppresseur.
Pour le Maroc, il faut craindre la suite. Que la monarchie s’affaiblisse et Benkirane en profitera pour s’affirmer. Il cherchera alors à enflammer les classes populaires, jouant des frustrations économiques pour s’emparer de la réalité du pouvoir.

Alain Chevalérias

* Nous avons bien connu Driss Basri dans les dernières années de sa vie quand il avait pris sa retraite dans le quartier de Passy, à Paris.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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