octobre 2006
Driss Basri, ancien ministre de l'Intérieur du roi Hassan II, interrogé, nous fait part de ses sentiments sur cette affaire et sur le terrorisme.
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Alain Chevalérias : Êtes-vous étonné
par la vague d'arrestations motivées par la menace d'un
complot islamo-terroriste ? Driss Basri : Le recours à la force est une démarche dangereuse qui laissera probablement des traces profondes car on ne peut pas traiter un islamisme politique, parfois séduit par la violence, uniquement par la répression. A.C. : On associe le terrorisme islamiste à la pauvreté. Pourtant, cinq militaires, trois gendarmes, un policier et trois épouses de pilotes ont été impliqués dans le complot. Ces gens n'appartiennent pas aux classes défavorisées. Comment expliquez-vous cela ? Driss Basri : Compte tenu de leurs grades et de leurs positions, ces membres ou anciens membres des forces de sécurité, très subalternes, ne peuvent pas, à mon sens, constituer un danger ou former la base d'un complot. En outre, dire que ces gens là ne sont pas des " pauvres " obligerait d'abord à évaluer le niveau des salaires et du pouvoir d'achat au Maroc. Par ailleurs des femmes arrêtées en possession de 135 000 dirhams ne disposent pas de moyens de déstabilisation pour menacer un pouvoir solidement implanté. Cette somme, finalement modeste, pourrait n'être que le résultat d'une collecte à des fins charitables, comme il est courant au Maroc. A.C. : Dans plusieurs pays musulmans on voit la même situation. D'une part un pouvoir en place suivant la ligne américaine, d'autre part une population ulcérée par la politique de Washington en raison de la guerre en Irak ou, encore récemment, de l'attaque d'Israël contre le Liban. Les islamistes tendent à capitaliser à leur profit la colère qui gronde. Au Maroc, comme ailleurs. La présence de militaires et de gendarmes, dans les rangs des comploteurs, ne peut-elle pas faire craindre un soulèvement islamiste populaire s'alliant à une partie de l'armée pour se liguer contre le pouvoir ? Driss Basri : Quand je détenais le portefeuille de ministre de l'Intérieur sous Hassan II et Mohammed VI, les services ont dû faire face à plusieurs reprises à des complots visant à renverser le pouvoir. A ces occasions, la justice marocaine présentait les suspects à l'opinion publique avec des preuves permettant de les incriminer : aveux, pièces à conviction, armement, documents compromettants... Dans l'affaire en cours, l'autorité chargée des investigations a fait état de la découverte de trois bouteilles qui pouvaient servir à la fabrication de cocktails Molotov. C'est peu. Une certaine presse, qui ne dispose d'aucun élément matériel, s'en donne à cur joie pour dénoncer un soit disant complot quand, au même moment, les avocats des suspects affirment : " Nous sommes en liaison avec le parquet mais il ne nous a rien présenté. Ni déclarations, ni interrogatoires... " A.C. : Je crois que l'on peut qualifier le régime du roi Hassan II de monarchie autoritaire. Sur le plan des libertés, donc, quelles différences voyez-vous entre cette époque et celle du roi actuel ? Driss Basri: Vous avez raison, en ce qui concerne le régime de Hassan II. Mais ce n'est qu'une apparence. La différence réside dans la gestion des affaires politiques. Sous le règne précédent, elles étaient aux mains de spécialistes et non de courtisans. Résultat, le cercle actuellement aux commandes ne dispose que d'un seul remède, la répression, pour agir sur la vie du pays. En réalité on ne peut pas parler du régime de Hassan II et de celui de Mohammed VI. Il s'agit d'une monarchie. L'exercice du pouvoir obéit à des règles intrinsèques identiques. C'est l'approche des problèmes qui varie en fonction des modes de gouvernement et de la conjoncture, la marque des décideurs laissant une empreinte forte. A.C. : Je remarque que le chef du complot dénoncé par les autorités s'appelle Hassan Hattab. comme l'ancien chef du GSPC (2), une organisation terroriste algérienne. Mieux, la presse dit les comploteurs marocains structurés sur le même modèle que le GSPC. Cela est-il très cohérent ? Driss Basri : La théorie bâtie par quelques observateurs à partir de similitudes et de ressemblances de façade ne résiste pas à l'analyse. La tendance consistant à vouloir opposer le Maroc à l'Algérie est d'ailleurs devenue trop classique. A.C. : Voyez-vous néanmoins des relations entre des attentats perpétrés autrefois au Maroc et l'Algérie ? Driss Basri : À l'époque, ce n'était pas complètement faux. Au faîte du soulèvement en Algérie, beaucoup s'ingéniaient à pousser le Maroc à soutenir inconditionnellement le pouvoir algérien. Pour ce faire, ils montaient en épingle des actions subversives commises au Maroc en leur donnant une importance qu'elles n'avaient pas. Vous connaissez l'Algérie. Par comparaison, la forte structure de la dissidence algérienne démontrait l'inexactitude de cette thèse. Face à cette dissidence, les forces algériennes manifestaient une détermination sans faille. Or, les armes livrées aux rebelles algériens provenaient de l'ancienne Europe de l'Est et des Balkans. Pour arriver en Algérie, elles traversaient toute l'Europe et arrivaient en Espagne transitant parfois par le Maroc. A.C. : Avez-vous obtenu des preuves de ce que vous avancez ? Driss Basri : Incontestablement. En premier lieu, par exemple, en interceptant sur le territoire marocain des terroristes passés par la France, l'Espagne et l'Italie pour se rendre en Algérie. Le Maroc n'a pas hésité à combattre ces infiltrations. En deuxième lieu, avec l'attentat perpétré à Marrakech à l'hôtel Atlas Asni afin de faire croire le Maroc lui aussi infesté par le terrorisme islamique (3). A.C. : En juillet dernier, Israël lançait une offensive contre le Liban. Est-ce le meilleur moyen de réduire le terrorisme ? Driss Basri : Au contraire, l'agression israélienne contre le Liban est le meilleur moyen de le renforcer et d'augmenter sa longévité. Je suis du reste étonné que l'on ait alors parlé de guerre. Il n'y avait pas de guerre, mais une agression contre un peuple désarmé et pacifique : le Liban A.C. : Comment gérer le risque de radicalisation islamiste au Maroc ? Driss Basri : A mon sens il serait plus approprié que le traitement repose sur une approche de nature politique. Aujourd'hui, le Maroc se caractérise principalement par une monarchie incontournable et une population très diversifiée, traversée de multiples fractures dues à la géographie, aux différences ethniques ou à l'émergence de nouvelles classes socio-économiques. La conscience nationale estime de plus en plus que le pouvoir doit être partagé et dépendre de la souveraineté populaire. C'est pour cette raison, et seulement cette raison, que l'avènement d'un régime parlementaire, comme largement pratiqué en Europe, apparaîtrait la solution idéale à la crise qui s'installe au royaume chérifien. A.C. : Le roi Hassan II n'était pourtant pas tout à fait sur cette ligne... Driss Basri :
Au contraire, durant la dernière décade de son
règne, le roi Hassan II cherchait patiemment à
instaurer un parlementarisme véritable au sein duquel
le roi aurait régné, mais sans gouverner.
(1) En mai 2003, quatre attentats suicides éclataient à Casablanca, visant un centre culturel israélien et des lieux fréquentés par les étrangers européens. Ils faisaient 41 morts et plus de 100 blessés.
(3) Un commando venu de France et formé de trois jeunes gens d'origine maghrébine avait tué froidement plusieurs touristes. |
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