SYRIE : LA RUSSIE ENFUME
LES ÉTATS-UNIS

mars 2016

Le vendredi 26 février à minuit, un cessez-le-feu prenait place entre les forces loyales au régime et les rebelles.
L’accord, cependant, ne concernait pas Al Nosra, affilié à Al-Qaïda, et Daech, auto-proclamé « État islamique ». Ces deux formations, marginalisées pour leur recours au terrorisme et les atrocités commises, demeurent des objectifs militaires pour tous les belligérants, y compris l’Iran et les pays arabes.

D
isons-le, au matin du 27, la population civile des zones concernées par le cessez-le-feu a goûté le délice de ce semblant de paix. Est-il pour autant satisfaisant ?

D’une part, il faut savoir ce cessez-le-feu obtenu grâce à une entente américano-russe. D’autre part comprendre la politique étrangère russe menée pour atteindre un objectif : retrouver l’influence de l’ex-URSS dans le monde arabe, plus largement à l’échelle de la planète. En Syrie, pour satisfaire cet appétit, Vladimir Poutine et son entourage sont déterminés, usant au mieux, sans hésitation et sans états d’âme, des atouts dont ils disposent. Pendant ce temps, plus forts militairement et économiquement mais hésitants, les pays occidentaux ont manqué, une après l’autre, les opportunités qu’ils auraient pu saisir. Résultat, aujourd’hui la Russie domine le jeu. Pire, l’Occident est sa dupe.

Dupe d’abord parce qu’au nom des principes humanitaires, pour l’Ouest, le cessez-le-feu est une fin en soi. Pour la Russie en revanche, ce n’est que l’occasion de se renforcer en Syrie après avoir secouru son allié, le régime de Damas. Pour preuve, jusqu’au dernier jour les Russes ont pilonné les forces rebelles, pourtant elles aussi opposées aux jihadistes.

Dupe encore l’Occident quant à l’avenir de la Syrie. Avec une habileté consommée, le 29 février, la Russie s’est posée en caution d’une Syrie fédérale, éclatée en plusieurs régions ethniques et communautaires. Elle semblait se rallier à une certaine vision américaine, prônée par les courants mondialistes, de dépeçage de la Syrie. Nous savons Israël un très vif partisan de ce projet afin de récupérer pour son propre compte une partie du territoire syrien (1).

Quand Moscou et Washington semblent s’accorder, les Américains abaissent leur garde. Les Russes, eux, sans ne rien montrer, travaillent à conforter leurs plans sur le long terme.

À cela une raison, en démocratie, on s’épuise à passer d’une élection à une autre. Les plans sur le long terme sont difficiles à dresser. La démocratie reste cependant le moins mauvais des systèmes. En Russie, les hommes au pouvoir, sous des apparences démocratiques, ont su se maintenir en place. Poutine, leur chef, totalise 17 ans à la tête du pays, alternativement Président de la Fédération et président du gouvernement. De plus, il bénéficie du soutien du FSB, l’ancien KGB.

En Occident, surtout aux États-Unis, il faut du temps à un nouveau chef d’État et à ses ministres pour intégrer, au moins superficiellement, les subtilités de la politique internationale. Voilà pourquoi John Kerry ne fait pas le poids face à Sergueï Lavrov et Barack Obama à Poutine. Parce que les Russes bénéficient de l’avantage, dans la durée, de l’exercice du pouvoir.

En Syrie, tout s’est joué sur cela. Quelques exemples sont parlants. Quand pendant l’été 2013 des zones rebelles résidentielles sont pilonnées avec des gaz de combat, l’Occident semble à deux doigts d’intervenir militairement contre Bachar Al-Assad. Les Russes sauvent la mise de ce dernier, neutralisant les menées des pays occidentaux en lançant une opération de désarmement chimique de Damas.

Deuxième cas, pendant l’été 2015, cette fois, les Russes entrent en force en Syrie en faisant croire à l’Occident à une intervention purement technique avec un nombre d’hommes limité. À Paris, comme à Washington, on n’a rien vu venir.

Aujourd’hui, encore une fois, l’Occident est aveugle. La Russie prend le contrôle de la Syrie utile : le pays alaouite (2), commandant la côte, et l’axe routier Damas-Alep, qui permet d’accéder à la Turquie et au Liban.

Reste le peuple syrien. L’opposition, sur ce point est unanime : qu’il soit de la volonté des Américains ou de celle des Russes, tous refusent le dépeçage de la Syrie. Mais comment peser sur les décisions quand Russes et Américains sont d’accord ?

Notes

(1) Israël travaille du côté des Druzes et des Kurdes de Syrie à cette fin. Ce pays souhaite en outre s’assurer une route sûre jusqu’à chez lui pour acheminer l’eau et le pétrole du Kurdistan irakien. La Syrie est le chemin le plus direct. Lire « Le plan israélien aboutit au Kurdistan », et « Visée Israéliennes sur le Kurdistan »
(2) Les alaouites appartiennent à l’ethno-religion de la famille Assad.

 

LES RAISONS
DE L’INTERVENTION RUSSE EN SYRIE

Fin septembre 2015, des rumeurs disaient des soldats russes arrivant en Syrie pour aménager la base aérienne de Lattaquié afin d’accueillir des renforts de Russie. Moscou démentait. Mais le 30 septembre, la Fédération de Russie approuvait une intervention militaire aux côtés de Bachar Al Assad. Immédiatement, les avions envoyés par Vladimir Poutine commençaient à bombarder les éléments armés combattant Damas.
Mais quelles forces armées combattant Damas ? Poutine a affirmé qu’il intervenait en Syrie pour combattre Daech. Il aurait alors fait comme les Arabes et les Occidentaux qui affrontent ce groupement terroriste. En réalité les principaux objectifs des bombardiers russes sont les unités de l’Armée syrienne libre, des partisans du multi-partisme qui veulent la chute de la dictature de Bachar en même temps qu’ils combattent Daech. Ils sont considérés par l’Occident comme la solution pour la Syrie. Et cette fois il a raison.
Mais si l’éradication de Daech n’est pas son but principal,
pourquoi Moscou est-il intervenu militairement en Syrie au risque d’un nouveau différend avec l’Occident ?

Dans le courant de l’été, les forces rebelles à Bachar avaient tellement progressé sur le terrain qu’elles menaçaient Lattaquié, coeur du pays alaouite, la zone de refuge du régime. En cas d’effondrement de ce dernier, Moscou risquait de perdre ses avantages dans le pays : les facilités portuaires pour sa marine dans le port de Lattaquié et son influence dans l’armée.
De plus, par leur simple présence militaire, les Russes empêchent une attaque directe des Occidentaux contre les forces de Bachar. Résultat, d’incontournable pour une résolution du conflit syrien, Moscou est devenu le décideur essentiel. L’Occident a très mal joué...

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
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