LA SYRIE ENTRE DEUX PRÉDATIONS

mars 2012

Cet article n'épouse pas exactement l'analyse du Centre de Recherches sur le Terrorisme. Néanmoins, nous avons décidé de le publier, d'une part au nom de la pluralité des opinions, d'autre part parce qu'il met en évidence l'une des perceptions de la réalité dans le monde arabe. Il convient de le lire en le confrontant à nos propres perceptions, tout en cherchant à mieux comprendre l'état d'esprit, par conséquent l'approche, de certains intellectuels orientaux de la problématique terroriste.

Depuis le début de la crise qui y sévit, on ne peut pas douter que la Syrie soit entrée dans le club des pays touchés par le terrorisme. Les deux attentats les plus graves ont eu lieu à Damas. Le premier, à Kfarsoussa, a visé des membres de la sécurité syrienne. A la suite du second, dans le quartier Al-Midane, des résidants et des passants ont été tués. Ce sont deux attentats terroristes par excellence quelques soient les critères retenus pour définir le terrorisme et quelques soient les auteurs, les financiers ou les parrains.

Hormis l'assassinat d'Imad Moughnieh, le responsable militaire du Hezbollah tué en février 2008 à Damas, et les opérations qui ont visé des leaders de groupes palestiniens vivant dans cette ville, la Syrie n'a pas connu d'actions terroristes depuis des années. Pendant qu'elle jouissait de la sécurité, le terrorisme frappait nombre de capitales arabes ou musulmanes, voire de pays occidentaux.

Ces événements graves, qui bouleversent un peu plus la scène politique syrienne, surviennent sur un fond de divergences entre Arabes et entre Occidentaux à propos de la crise traversée par le pays et que certains englobent dans ce qu'ils appellent le " Printemps arabe ". A cela s'ajoutent les différences de points de vues des analystes, observateurs et journalistes sur ces deux attentats. Deux lignes principales d'opinion émergent.

La première affirme le régime syrien responsable des deux attentats. Selon l'explication le plus souvent invoquée, le régime les aurait orchestré pour renvoyer la balle aux Etats-Unis qui, sous prétexte de lutte anti-terroriste, répriment de vastes mouvements populaires depuis deux décennies. Agissant de la même façon, la Syrie se serait ainsi donné le moyen d'organiser la répression contre la colère populaire au nom de la lutte contre le terrorisme.

La seconde ligne estime au contraire des groupes syriens armés, organisés et soutenus de l'extérieur coupables de ces deux attentats. Ces derniers seraient alors un message adressé au peuple syrien pour lui faire comprendre que le régime qu'il craint tant n'est qu'un tigre de papier facile à atteindre. Mieux, ont peut le toucher au coeur même de ses organes vitaux, les puissants services de sécurité sur lesquels misent Bachar El Assad et ses hommes pour rester à la tête du pays.

Lequel de ces deux points de vue est-il le plus proche de la vérité ?

Vouloir répondre à cette question nous amène à nous interroger sur un point essentiel, la technique terroriste et les limites de ses possibilités d'application dans un pays comme la Syrie.

A ce niveau, nous nous empressons de préciser qu'il existe une grande différence entre la technique terroriste et la définition du terrorisme en tant que concept. Jusqu'ici, la communauté internationale a échoué à s'entendre sur une définition concernant pourtant l'un des phénomènes les plus inquiétants et les plus nocifs des deux derniers siècles. Cet échec est dû à plusieurs causes dont le plus important est la prédominance du facteur politique sur l'aspect scientifique de l'approche. Dans ce contexte, les Etats-Unis jouent un rôle essentiel dans le blocage. Cependant, aucune différence d'analyse n'a de raison d'apparaître quant à la technique terroriste elle-même, quant à l'essence du terrorisme et à ses modes opératoires, ou quant à ses manifestations et à sa violence constatables par tous à travers le monde.

Son mode opératoire est triangulaire : un acte criminel est commis non à la seule fin de blesser ou de tuer, ce qui le rétrograderait au rang d'action sadique sans motivation, mais de blesser ou de tuer pour semer la terreur dans une catégorie sociale ou dans l'ensemble de la société. La catégorie sociale ou la société que veulent atteindre les terroristes ne peut être émotionnellement touchées que si les victimes sont clairement identifiées en fonction de leur appartenance. Le but final des terroristes, troisième sommet du triangle, est de contraindre le ou les décideurs politiques à prendre une décision précise liée à leur gestion des affaires.

C'est à l'analyse de ce fonctionnement, et de lui seul, que l'on peut identifier l'auteur d'un acte terroriste commis contre un individu ou au nom d'une cause et cela sans même s'intéresser à sa légitimité, voire à sa légalité.

S'appuyant sur la compréhension de ce mode opératoire triangulaire, il est impératif d'analyser les deux attentats séparément, avec objectivité et une précision quasi scientifique.

Le premier, celui de Kfarsoussa, visait un bâtiment de l'une des plus importantes branches de la sécurité du pouvoir syrien. On comprend que ses auteurs cherchaient à terroriser la catégorie sociale formée par les personnels de cette caste, qu'il s'agisse des services de renseignement ou de l'armée. Le message adressé, c'est le choix de la cible. Le but recherché est de pousser les tenants des forces de sécurité à se désolidariser du pouvoir, voire à rejoindre les protestataires.

Cette tactique n'est pas nouvelle dans l'Histoire. Les anarchistes et les nihilistes l'avaient adoptée dès le 19ème siècle, principalement en Russie, pour atteindre leurs objectifs et imposer leur idéologie qui voulait la destruction de l'Etat, l'effondrement du pouvoir en place et la fin de toute autorité. Ainsi, en Russie, les attaquants portaient-ils leurs coups contre les hommes politiques, les militaires et les hommes des services de sécurité. Ils s'appliquaient à terroriser cette part de la population. C'est un exemple parmi d'autres.

Dans le cas de l'attentat perpétré dans le quartier Al-Midane, deux hypothèses se présentent.

Pour la première, on peut estimer qu'en application de la tactique terroriste, le régime syrien est l'auteur de cet attentat perpétré contre des civils vulnérables. Ceci afin de terroriser les Damasquins qui se tiennent alors encore à l'écart du mouvement contestataire ou de les amener à penser qu'une chute du régime les réduirait au sort des Irakiens, cibles quotidiennes d'attentats sanglants.

La seconde hypothèse repose elle aussi sur le mode opératoire terroriste. Elle voudrait que les planificateurs de l'attaque aient voulu terroriser les Damasquins, ou du moins la plus grande partie d'entre eux. La terreur engendrée aurait pu être retournée contre le régime l'amenant, comme le souhaitent ses adversaires, à faire des concessions afin de préserver le calme dans une ville, la capitale, où il veut éviter les débordements. Damas et Alep, les deux plus grandes villes du pays, sont en effet des cartes importantes aux mains du régime car, étant restées tranquilles, elles pouvaient donner à penser que l'agitation qui touchait les autres régions n'était pas le résultat d'une révolution. Ce point de vue a été exprimé, entre autres, par le Dr Mohammad Hassanein Haykal. Comme lui, nous optons pour cette seconde hypothèse, plus crédible selon nous que la première.

Nous sommes donc devant des attentats qui tendent à toucher le régime dans les deux cas. Le premier vise le centre névralgique de l'Etat, le second veut pousser le régime à prendre une décision politique dangereuse pour lui-même. Les divisions que les instigateurs des attentats voudraient susciter au sein du pouvoir et les concessions qu'ils souhaiteraient l'amener à concéder face à l'étranger et à l'adversaire intérieur en exerçant une pression, apparaissent comme le point de convergence des forces antagonistes. Les lieux des attaques et les cibles ont été intelligemment choisis et si ces opérations devaient se poursuivre à une cadence soutenue, elles déstabiliseraient le pouvoir en place.

A la lumière de ce qui a été dit précédemment, il est clair qu'Al-Qaïda en Syrie n'est pas l'organisation d'Oussama Ben Laden et d'Ayman Al-Zawahiri, pas plus que celle d'Abou Moussaab Al-Zarqaoui. Elle est une organisation plus dangereuse qui s'est formée dans une ambiance contestataire qui rejette la logique et les méthodes du régime. Elle est lasse de la rhétorique serinée par certaines forces régionales, arabes et internationales qui ont su exploiter le mécontentement populaire. Certaines de ces forces sont connues, d'autres avancent cachées. Elles ont estimé que le recours au terrorisme serait plus efficace que la guerre conventionnelle aux résultats aléatoires.

Utilisée par le pouvoir et basée sur la force, la solution sécuritaire a échoué jusque-là. mais elle a bien aidé au développement du terrorisme voulu par les forces évoquées plus haut. Les méthodes répressives, elles mêmes terroristes, adoptées par le régime syrien pour faire taire des manifestants qui réclament des réformes ou un changement de pouvoir, ont eu pour effet d'engendrer une réaction terroriste. Elles ont ainsi offert l'occasion, aux forces qui ont intérêt de le faire tomber, de venir jouer dans la cour du régime en utilisant la même arme.

Le régime syrien se réveillera-t-il ? Aura-t-il le courage de se remettre en cause et de retirer à ces forces occultes les armes qu'il a laissé tomber entre leurs mains ? Saura-t-il dépolariser l'atmosphère politique syrienne recourrant au pardon et imposant sa volonté face à ces forces ? Ceci quand les événements dont la Syrie est le théâtre se révèlent périlleuses pour la sécurité nationale et que le pays court à sa perte ?

A ces questions nous attendons une réponse.

Mazen Chendeb
Spécialiste libanais des questions terroristes
Tél : 00 961 7 656 761

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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