LE MANICHÉISME |
octobre 2012
Nous avons répondu aux questions de Denis Gorteau, animateur du site Internet Que faire. Quand nous entendons se multiplier les contrevérités et les manipulations, une mise au point nous semblait nécessaire. La rédaction de « Que faire » :Avant le déclenchement de la contestation et des violences, comment qualifieriez-vous le régime de Bachar El-Assad ? Alain Chevalérias : Le régime des Assad était : tyrannique, clanique, policier, violent, de fait soumis à un parti unique et économiquement spoliateur. Tyrannique, dans le sens où tous les pouvoirs étaient concentrés dans les mains dun petit groupe, une famille en fait, à la tête duquel un Président inamovible trônait. Clanique,
car une catégorie ethno-religieuse, les alaouites, occupait
le sommet de la hiérarchie et un grand nombre de positions
intermédiaires au sein du système politique, de
larmée, des renseignements et de la machine économique. Violent, parce quil nhésitait pas à recourir à une force disproportionnée et aveugle, pratiquant la punition collective, comme on la vu au début des années 80, lors du soulèvement des islamistes et du bombardement de Hama (plusieurs milliers de morts) ou de la répression contre des manifestants désarmés, à partir de mars 2011, avant et après lapparition de combattants. De fait soumis à un parti unique, vu que le Baath contrôlait le Parlement quand les militants des formations alliées, comme le parti communiste, étaient emprisonnés à la moindre manifestation dindépendance. Économiquement spoliateur parce que, nationalisées dans un premier temps, les grandes entreprises avaient été récupérées, dans un deuxième temps, par les séides du régime, principalement aujourdhui Rami Makhlouf, cousin maternel de Bachar. Certes, la Syrie nest pas le seul pays du Moyen-Orient répondant aux caractéristiques dénoncées plus haut. Mais il est le seul à lavoir amené à ce point de « perfection », si lon peut dire, et à mettre lÉtat au service dun seul clan. QUE FAIRE : Très vite les puissances occidentales ont exigé la fin du régime. Pourquoi ? Hafez El-Assad ne fut-il pas un allié des USA contre lIrak en 1991 et Bachar un partenaire de Sarkozy ? Depuis 1970, et la prise de pouvoir par Hafez El Assad, la Syrie a choisi le camp de lUnion Soviétique. Pendant la Guerre froide, il sest servi de la protection de son parrain soviétique pour exercer en toute impunité sa tyrannie sur son peuple, soutenir le terrorisme international, comme dans le cas de Carlos, et satisfaire ses vues expansionnistes sur le Liban. Avec leffondrement de lUnion Soviétique, Hafez a pris la mesure de son isolement. Moscou exigeant dorénavant le paiement immédiat des armes indispensables au régime, Hafez a entamé un rapprochement avec lOccident. La guerre contre lIrak, baathiste lui aussi mais par ailleurs un adversaire de la Syrie, a été loccasion pour Hafez de donner des gages. Il a ensuite compris les faiblesses occidentales et joué de celles-ci pour se maintenir au Liban. Avec habilité, au Pays du Cèdre, Hafez sest appuyé sur laspiration consensuelle de la communauté internationale au retour à la paix pour se faire accepter comme seul acteur capable de linstaurer. Il a rempli la fonction du pyromane converti en pompier mais en reprenant les méthodes policières et la terreur utilisées dans son pays. Devenus des partenaires incontournables, Hafez, puis Bachar se sont ainsi assurés de la neutralité bienveillante de lOccident. De plus, le clan au pouvoir était linterlocuteur de fait, sinon légitime du moins légal pour qui voulait avoir des relations avec la Syrie. À cela sajoutaient les manoeuvres des Assad destinées à se ménager des amitiés intéressées dans les pays occidentaux. Comme loffre dun achat de scanner à lhôpital de Sarlat (Dordogne), en mars 1993, par la famille Tlass *, pour soutenir la candidature à la députation de Roland Dumas. Mises à part ces tentatives proches de la corruption dhommes au pouvoir à létranger, on ne peut jeter le discrédit sur les responsables politiques occidentaux qui ont entretenu des relations avec la Syrie. Si lon se refusait à parler avec les représentants de tous les gouvernements tyranniques, on réduirait en effet nos relations diplomatiques à quelques pays seulement. De plus, Hafez, en dépit de son régime, était un homme habile et avait su se donner le rôle de lhomme indispensable. Il fallait parler avec lui pour éviter le pire. Néanmoins, comme dans le cas de Mouammar Kadhafi, les chefs dÉtats occidentaux ont « avalé des couleuvres » sous le régime des Assad. Laffaiblissement de celui-ci est apparu comme une occasion à saisir pour lui rendre la monnaie de sa pièce sous le prétexte des droits de lhomme et des valeurs démocratiques. Enfin, il faut tenir compte du nouveau contexte international. La Syrie apparaît comme un allié de poids de lIran que, pour des raisons différentes, lOccident, mais aussi les pays arabes, voudraient isoler. Nous assistons à une partie déchecs dans laquelle chacun joue pour défendre ses intérêts. Les notions de bien et de mal, aux yeux des acteurs, nayant quune signification secondaire. QUE FAIRE : Quel rôle joue Israël ? Les sionistes ont-ils intérêt à la chute dun régime hostile mais plutôt inoffensif ? Un chaos ingérable ne serait-il pas pire ? Les Israéliens sont dans une position ambiguë. Dun côté, ils considéraient le régime des Assad comme hostile. De lautre, ils savaient les Assad, en particulier Hafez, conscients des rapports de forces et des limites à ne pas franchir. Cela faisait deux et de la Syrie des adversaires fiables avec lesquelles des accords étaient possibles. Pour preuve, quand Israël attaquait le Liban occupé par larmée syrienne, cette dernière se repliait et évitait tout conflit direct avec les Israéliens. Dautre part, aucune attaque palestinienne nest partie du territoire syrien et la Syrie na jamais lancé, ou téléguidé, dattaques contre Israël, y compris dans la région du Golan occupée par les Israéliens. En bref, un modus vivendi sétait imposé entre Israël et la Syrie, allant jusquà des rencontres secrètes au niveau des services de renseignement. De ce point de vue, Israël na aucune raison de souhaiter la chute du régime des Assad. Au contraire, car il craint lémergence dun pouvoir, au pire contrôlé par les islamistes, qui lui serait hostile jusquà lagression. En revanche, impossible pour les Israéliens de soutenir les Assad dont le régime est de plus, ils en sont persuadés, condamné. Ils sont même obligés de se dire favorable à la « Révolution » au nom de la démocratie dont ils se prétendent les seuls représentants dans la région. Il existe pourtant une raison, pour les Israéliens, de se réjouir de la chute du régime en place en Syrie. Allié de lIran, sa fin signifiera la perte dun allié pour Téhéran. Or, le lien entre les ayatollahs et la Syrie passe par les alaouites au pouvoir qui, non sans une certaine dose dhypocrisie, se déclarent chiites pour conforter leur alliance. Or, quel quil soit, le régime à venir sera dominé par les sunnites, les plus nombreux et par principe hostiles à Téhéran qui en sera affaibli. Dans ce contexte, Israël fait le dos rond, attendant la suite des événements, espérant quils ne lui soient pas trop néfastes et sapprêtant à prendre langue, pour lamadouer, avec le nouveau pouvoir. QUE FAIRE : Qui pilote « larmée syrienne libre » ? Des opposants sincères ? Des agents du Golfe ? « Larmée syrienne libre » est, dabord et avant tout, un amalgame désordonné sur lequel plusieurs hommes et plusieurs tendances cherchent à simposer. En outre, certains groupes armés agissent hors de son contrôle. Nul doute, cependant, que tous ses membres cherchent honnêtement à saffranchir de la tyrannie des Assad. Compte ce que va devenir cette entité. Ou bien les Frères musulmans parviennent à en prendre le contrôle avec laide de largent des pays du Golfe et principalement des Qataris. Ou bien, les Syriens trouvent en eux-mêmes suffisamment de sagesse pour échapper aux sirènes intégristes. Comme on le voit en Libye, plus encore en Tunisie, à la suite des élections, si le poids des islamistes et leur capacité de nuisance sont réels, ils ne parviennent pas systématiquement à dominer le paysage politique comme en Égypte. Un autre conflit, voire des guerres civiles, se profile dans lunivers arabe entre « modernistes » et islamistes, dont le dénouement dépend de la capacité dentendement du reste du monde. QUE FAIRE : Si le régime chute le risque nest-il pas dun éclatement à lirakienne ? On retrouve des minorités kurdes, chrétiennes, chiites, sunnites, des groupes armés etc Chaque pays jouit de son originalité, de son histoire propre et de sa culture. Les modèles ne sont pas transposables de lun à lautre, même si le pire nest pas impossible. Néanmoins, la Syrie est un pays de vieille civilisation, le premier au monde à avoir bâti un empire, au IIIème millénaire avant J.C. De lhistoire, les Syriens ont hérité une culture citadine, faite de consensus entre les différentes communautés religieuses, chrétiennes et musulmanes principalement, même si avec des hauts et des bas. Ce qui nest pas sans signification, à létranger, les Syriens se retrouvent en fonction de leur ville dorigine (Damas, Homs, Alep, Hama etc...) et pas seulement de leur religion. Ces villes, du reste, ont été une référence identitaire de base des Syriens sous le califat arabe et encore sous lempire turc. A la différence de lIrak, où trois grands groupes, sunnites, chiites et kurdes ont chacun leur histoire et leur territoire, en Syrie, dans lespace citadin, il y a cohabitation entre sunnites, chiites et chrétiens. Restent des composantes ethniques et/ou religieuses, moins citadines et plus centrées sur des régions montagneuses. Cest le cas des Alaouites, des Druzes et des Kurdes. Par peur des représailles ou par ethnocentrisme, cest chez ces minorités que peut surgir le plus facilement des pulsions irrédentistes. Les Alaouites sont les plus susceptibles dy succomber. Sous le régime des Assad, accumulation de richesses et aménagements de structures ont préparé leur région, centrée sur Lattaquié, à une certaine autosuffisance. De plus, le Jebel alaouite (la montagne alaouite), comme on lappelle, dispose dune façade maritime évitant lenclavement. Les Kurdes, pour leur part, concentrés dans le nord-est du pays, peuvent aisément effectuer une liaison avec leurs frères de Turquie et dIrak et trouver chez eux un soutien qui leur permette de se couper de la Syrie. Les Druzes, en revanche, sont très isolés, enclavés dans les montagnes à la frontière dIsraël et de la Jordanie et ne représentent que 3% de la population. Un poids démographique qui ne leur laisse pas lespoir de constituer une entité économiquement fiable, sauf à sallier avec Israël et la minorité druze de ce pays mais à saliéner le monde arabe. Néanmoins, les Alaouites ne représentent que 11% de la population et les Kurdes, 15%. Voilà pourquoi, sil y a risque déclatement de la Syrie, il ne concernerait, croyons-nous, que la périphérie, le Jebel Alaouite, le nord-est kurde, voire lextrême sud druze. De la sagesse de lautorité qui se mettra en place dépendra lintégrité du pays. Ou il sappuie sur lislam arabe et sunnite, comme risque de le faire les Frères musulmans, poussant à la fracture de la Syrie, ou il tire un trait sur le régime des Assad et joue la réconciliation, favorisant la reconstruction de la nation syrienne. * Le général Mustapha Tlass, sunnite et longtemps ministre de la Défense de Hafez El Assad, est le père de Nahed Ojjeh, belle et richissime veuve du milliardaire saou-dien Akram Ojjeh. Celle-ci vit à Paris et a été la maîtresse du journaliste Frantz-Olivier Giesberg et de Roland Dumas. Mustapha Tlass fut le principal ordonnateur des massacres de Hama en 1982. Il sest réfugié à Paris depuis un an et a été rejoint par son fils, Manaf, lui-même général, en juillet dernier. |
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