LA SYRIE SOUS LE FEU
DE LA PROPAGANDE

juin 2012

Sous le titre « Syrie : une libanisation fabriquée », un document analytique a été publié par le CIRET-AVT, un organisme de « recherches sur le terrorisme », afin de donner son éclairage sur la crise traversée par le pays d’Hafez el Assad.

A
vant de parler du document lui-même, il convient de remarquer la situation ayant évolué depuis mars 2011, quand à Deraa, dans le sud, une manifestation était cruellement réprimée par le régime, donnant le signal à une contestation non armée qui embrasait le pays.

Le soulèvement, d’abord populaire et pacifique, se radicalise au cours des mois. Des attentats éclatent, comme celui du 23 décembre 2012, qui fit 40 morts à Damas. À la violence du régime, qui fait tirer à balles réelles puis à l’artillerie contre la population, répondent dorénavant des groupes armés, certains formés de déserteurs, d’autres constitués d’éléments étrangers appartenant à la mouvance islamiste sunnite.

Dans cette affaire, les chrétiens du pays, 10% de la population, se voient pris entre deux feux. D’une part, comme la majorité des Syriens, ils exècrent le régime. D’autre part, ils craignent l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans qui veulent imposer la charia.

À cela s’ajoute la position particulière des différents clergés chrétiens. Beaucoup de leurs religieux, comme autrefois ceux d’Union Soviétique ou de la Bulgarie communiste, ont été achetés par le régime en place. Avec lui, ils se servent de la menace islamiste pour, d’une part paralyser une partie de leurs ouailles dans un attentisme inquiet, d’autre part tenter de retourner l’opinion publique occidentale en faveur du régime.

Les nombreuses attaques enregistrées contre des chrétiens apportent de l’eau à leur moulin. Or, si certaines semblent bien le fait d’islamistes radicaux, d’autres portent plus la marque d’agents provocateurs stipendiés par le pouvoir.

A une scène de conflit déjà compliquée, viennent se greffer des ingérences étrangères. Certes, les pays occidentaux jouent un rôle. Les États-Unis en particulier en fournissant une aide en moyens d’information et de propagande aux contestataires. Tant qu’ils s’en tiennent là, sauf à contester le droit pour un pays d’aider une population en révolte contre une dictature avec des moyens non létaux, il n’y a rien à dire. Mais le problème apparaît avec l’intervention du Qatar.

Dans des articles antérieurs, nous avons dévoilé le soutien accordé par l’émir du Qatar aux Frères musulmans, plus accessoirement à certains groupes salafistes (1). On a vu les effets de cette politique en Libye. La montée au pouvoir des islamistes dans ce pays, qu’a facilité l’action de Sarkozy en laissant toute liberté de manoeuvres au Qatar, nous risquons d’y assister à nouveau en Syrie, mais en pire, avec le feu vert américain.

Ces a priori posés, nous pouvons décrypter le rapport publié par le CIRET-AVT. Bien fait à première vue, le document semble présenter une perception équilibrée de la situation. En particulier, il se montre critique à l’endroit du régime syrien pour quelques-unes de ses dérives, même s’il n’insiste pas beaucoup sur le sujet.

C’est dans le détail que l’on comprend la ligne éditoriale du texte. Les auteurs distinguent trois oppositions au régime. D’une part le CNCCD (Comité national de coordination pour le changement démocratique) que les auteurs estiment « la plus crédible et la plus légitime » et « l’opposition interne favorable au dialogue » formée d’anciens partis associés au pouvoir syrien, comme les communistes.

D’autre part le CNS, ou Conseil national syrien, qui veut le renversement du pouvoir en place et, ce qu’oublie le rapport, la mise en place d’un système démocratique.

Les deux premières tendances ont en commun d’accepter la négociation avec le régime ou au moins une transition de gouvernement associant d’actuels potentats.

Le rapport réserve ses flèches au CNS. Qualifié d’opposition extérieure, décrié pour ses relations avec les pays étrangers, il est de plus taxé d’être « très largement dominé par les Frères musulmans ». Or, cette accusation est infondée. Sur 261 membres, on compte au sein du CNS 66 Frères musulmans, soit 25% des effectifs. Quant au secrétaire général, Burhan Ghalioun, il n’appartient pas à la confrérie mais s’inscrit dans une ligne moderniste et laïque (2).

On comprend mieux l’intention des rédacteurs du rapport. D’un côté ils veulent crédibiliser les partisans d’une forme de réconciliation avec le régime, donnant à ce dernier une chance de survie. De l’autre, ils font passer abusivement les Frères musulmans pour les maîtres de l’opposition réelle afin d’effrayer l’opinion internationale. En clair, ils se prêtent au jeu du pouvoir syrien.

Nous avons aussi remarqué une erreur. Le rapport donne pour une création des Frères musulmans l’Observatoire syrien des droits de l’homme, qui transmet des informations sur les victimes du conflit. Autant que nous sachions, cela est erroné. De même qu’Al-Maleh (3), qui n’a rien d’un Frère musulman, n’en est pas le dirigeant contrairement aux affirmations du rapport (4).

Les objectifs des auteurs de ce dernier prennent néanmoins une envergure géopolitique quand ils s’essaient à expliquer la révolution syrienne dans sa dimension régionale.

Tout n’est pas faux et l’on reconnaît là l’art du maître quand il s’agit de mêler vérités et affabulations pour mieux faire passer les secondes. On appelle cela de la désinformation.

Reprenant un plan remontant à 1982, de l’Israélien Oded Yinon, alors fonctionnaire aux Affaires étrangères de son pays, le rapport cite : « La désintégration de la Syrie et de l’Irak en provinces ethniquement ou religieusement homogènes, comme au Liban, est l’objectif prioritaire d’Israël... »

Seul problème, ce plan a échoué au Liban et les Israéliens y ont renoncé même s’ils utilisent les tendances communautaires pour s’implanter quand ils le peuvent, comme au Kurdistan irakien (5).

Dans leur démonstration, les auteurs du rapports vont jusqu’à affirmer : « Washington cherche toujours à obtenir le désarmement du Hezbollah, ardemment réclamé par Tel-Aviv ». C’est vrai, même si, faut-il garder en mémoire, Washington a bel et bien toléré les armes du Hezbollah pendant seize ans, des accords de Taëf à l’assassinat de Rafic Hariri, quand les autres milices étaient désarmées.

En revanche, ils oublient que cette exigence du désarmement du Hezbollah apparaît d’abord comme émanant de plus de la moitié des Libanais : des sunnites et des chrétiens, pour leur plus grand nombre, des Druzes et même de quelques chiites. C’est d’abord une revendication nationale libanaise qui marginalise les voeux des États-Unis en la matière.

Certes, les habiles rédacteurs du texte n’ont pas complètement tort quand, reprenant avec gourmandise les propos d’un commentateur, ils estiment que « les États-Unis planifient tout avec les Turcs, mais aussi avec les Frères musulmans, dans le cadre d’une résolution à trois ». Nous avons nous-mêmes souligné plus haut le jeu pervers de l’émirat du Qatar. Mais les termes « planifient tout » sont de trop. Il conviendrait de dire « voudraient tout planifier ». Leurs échecs en Irak et en Afghanistan démentent leur capacité à contrôler la situation.

Les auteurs du rapport sont entièrement dévolus à la description d’un axe du mal dirigé par les Américains et les Israéliens et dans lequel ils enrôlent les sunnites. Ils tombent ainsi dans le même piège, fût-il inversé, que la Maison Blanche, quand elle qualifie d’axe du mal le camp formé par l’Iran, la Syrie, le Hezbollah et, dans une certaine mesure, la Russie.

Le recours à une telle catégorisation relève de la propagande et non pas de l’analyse politique. Cela réduit à néant la valeur de n’importe quel travail de recherche.

Il faut néanmoins s’interroger sur les raisons de cette construction manichéenne. Les allégeances du CIRET-AVT nous fournissent une réponse, quoique parcellaire, à cette volonté de manipulation.

Par le passé, nous avons décrit le parcours d’Yves Bonnet, fondateur du CIRET-AVT, et son passage au service d’Alger (6). Parmi les quatre personnes citées comme rédacteurs du rapport, figure le nom de Saïda Benhabylès, ancienne ministre et sénateur d’Algérie, elle-même co-fondatrice du CIRET-AVT (7).

Dès lors, les choses apparaissent transparentes. Nous comprenons ce rapport, destiné à assurer la survie du régime syrien, un contre-feu allumé par le pouvoir d’Alger pour assurer sa pérennité si les généraux et le FLN se voyaient confrontés à un soulèvement populaire.

Toute la difficulté, pour nous, consiste à ne pas nous laisser enfermer dans une vision manichéenne du monde, réduisant les uns au camp des « gentils », les autres à celui des « méchants ». Nous avons des États et des mouvances cherchant tous à concrétiser leurs ambitions. Parfois, celles-ci sont légitimes, d’autres fois non. Ils utilisent aussi des moyens, selon le cas, tolérables ou inadmissibles.

Dans l’affaire syrienne, nous voyons un pouvoir criminel ayant perdu toute légitimité en faisant tirer régulièrement son armée contre la population. Cela ne justifie pas les actions terroristes commises par certains groupes armés. Nous avons aussi des raisons de nous inquiéter de l’aveuglement des États-Unis et de l’exploitation par les islamistes de la situation. Mais, n’en déplaisent aux caciques d’Alger, c’est au peuple de décider des hommes qu’il veut à sa tête.

Alain Chevalérias

 

Notes

(1) Lire en particulier « Le Qatar se dévoile »
(2) Il convient d’ajouter que le comité exécutif du CNS, sur sept membres, ne compte qu’un seul Frère musulman et le secrétariat général, sur 32, quatre Frères musulmans. On est loin d’un contrôle hégémonique du CNS par la confrérie.
(3) C’est un avocat de 81 ans du nom de Haïtham Al-Maleh.
(4) L’observatoire est dirigé par Rami Abdel Rahmane qui est basé à Coventry en Grande-Bretagne.
(5) Lire « Le Kurdistan israélien »
(6) Lire « Le préfet Yves Bonnet est-il passé à l’anti-France ? »
(7) Les autres rédacteurs sont Richard Labévière, ancien rédacteur de Radio France, chassé en 2008 en raison de ses positions anti-israéliennes. Éric Denécé, un spécialiste de l’espionnage et du terrorisme aux positions fluctuantes. Et surtout Anne-Marie Lizin, ancienne députée européenne et ancienne présidente du Sénat Belge. Cette Dame s’est affichée à plusieurs reprises dans des meetings de soutien au Moujahidine-e-Khalq dont Bonnet est lui-même très proche.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 
 
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