DE LA PROPAGANDE |
juin 2012
Sous le titre « Syrie : une libanisation
fabriquée », un document analytique a été
publié par le CIRET-AVT, un organisme de « recherches
sur le terrorisme », afin de donner son éclairage
sur la crise traversée par le pays dHafez el Assad. Le soulèvement, dabord populaire et pacifique, se radicalise au cours des mois. Des attentats éclatent, comme celui du 23 décembre 2012, qui fit 40 morts à Damas. À la violence du régime, qui fait tirer à balles réelles puis à lartillerie contre la population, répondent dorénavant des groupes armés, certains formés de déserteurs, dautres constitués déléments étrangers appartenant à la mouvance islamiste sunnite. Dans cette affaire, les chrétiens du pays, 10% de la population, se voient pris entre deux feux. Dune part, comme la majorité des Syriens, ils exècrent le régime. Dautre part, ils craignent larrivée au pouvoir des Frères musulmans qui veulent imposer la charia. À cela sajoute la position particulière des différents clergés chrétiens. Beaucoup de leurs religieux, comme autrefois ceux dUnion Soviétique ou de la Bulgarie communiste, ont été achetés par le régime en place. Avec lui, ils se servent de la menace islamiste pour, dune part paralyser une partie de leurs ouailles dans un attentisme inquiet, dautre part tenter de retourner lopinion publique occidentale en faveur du régime. Les nombreuses attaques enregistrées contre des chrétiens apportent de leau à leur moulin. Or, si certaines semblent bien le fait dislamistes radicaux, dautres portent plus la marque dagents provocateurs stipendiés par le pouvoir. A une scène de conflit déjà compliquée, viennent se greffer des ingérences étrangères. Certes, les pays occidentaux jouent un rôle. Les États-Unis en particulier en fournissant une aide en moyens dinformation et de propagande aux contestataires. Tant quils sen tiennent là, sauf à contester le droit pour un pays daider une population en révolte contre une dictature avec des moyens non létaux, il ny a rien à dire. Mais le problème apparaît avec lintervention du Qatar. Dans des articles antérieurs, nous avons dévoilé le soutien accordé par lémir du Qatar aux Frères musulmans, plus accessoirement à certains groupes salafistes (1). On a vu les effets de cette politique en Libye. La montée au pouvoir des islamistes dans ce pays, qua facilité laction de Sarkozy en laissant toute liberté de manoeuvres au Qatar, nous risquons dy assister à nouveau en Syrie, mais en pire, avec le feu vert américain. Ces a priori posés, nous pouvons décrypter le rapport publié par le CIRET-AVT. Bien fait à première vue, le document semble présenter une perception équilibrée de la situation. En particulier, il se montre critique à lendroit du régime syrien pour quelques-unes de ses dérives, même sil ninsiste pas beaucoup sur le sujet. Cest dans le détail que lon comprend la ligne éditoriale du texte. Les auteurs distinguent trois oppositions au régime. Dune part le CNCCD (Comité national de coordination pour le changement démocratique) que les auteurs estiment « la plus crédible et la plus légitime » et « lopposition interne favorable au dialogue » formée danciens partis associés au pouvoir syrien, comme les communistes. Dautre part le CNS, ou Conseil national syrien, qui veut le renversement du pouvoir en place et, ce quoublie le rapport, la mise en place dun système démocratique. Les deux premières tendances ont en commun daccepter la négociation avec le régime ou au moins une transition de gouvernement associant dactuels potentats. Le rapport réserve ses flèches au CNS. Qualifié dopposition extérieure, décrié pour ses relations avec les pays étrangers, il est de plus taxé dêtre « très largement dominé par les Frères musulmans ». Or, cette accusation est infondée. Sur 261 membres, on compte au sein du CNS 66 Frères musulmans, soit 25% des effectifs. Quant au secrétaire général, Burhan Ghalioun, il nappartient pas à la confrérie mais sinscrit dans une ligne moderniste et laïque (2). On comprend mieux lintention des rédacteurs du rapport. Dun côté ils veulent crédibiliser les partisans dune forme de réconciliation avec le régime, donnant à ce dernier une chance de survie. De lautre, ils font passer abusivement les Frères musulmans pour les maîtres de lopposition réelle afin deffrayer lopinion internationale. En clair, ils se prêtent au jeu du pouvoir syrien. Nous avons aussi remarqué une erreur. Le rapport donne pour une création des Frères musulmans lObservatoire syrien des droits de lhomme, qui transmet des informations sur les victimes du conflit. Autant que nous sachions, cela est erroné. De même quAl-Maleh (3), qui na rien dun Frère musulman, nen est pas le dirigeant contrairement aux affirmations du rapport (4). Les objectifs des auteurs de ce dernier prennent néanmoins une envergure géopolitique quand ils sessaient à expliquer la révolution syrienne dans sa dimension régionale. Tout nest pas faux et lon reconnaît là lart du maître quand il sagit de mêler vérités et affabulations pour mieux faire passer les secondes. On appelle cela de la désinformation. Reprenant un plan remontant à 1982, de lIsraélien Oded Yinon, alors fonctionnaire aux Affaires étrangères de son pays, le rapport cite : « La désintégration de la Syrie et de lIrak en provinces ethniquement ou religieusement homogènes, comme au Liban, est lobjectif prioritaire dIsraël... » Seul problème, ce plan a échoué au Liban et les Israéliens y ont renoncé même sils utilisent les tendances communautaires pour simplanter quand ils le peuvent, comme au Kurdistan irakien (5). Dans leur démonstration, les auteurs du rapports vont jusquà affirmer : « Washington cherche toujours à obtenir le désarmement du Hezbollah, ardemment réclamé par Tel-Aviv ». Cest vrai, même si, faut-il garder en mémoire, Washington a bel et bien toléré les armes du Hezbollah pendant seize ans, des accords de Taëf à lassassinat de Rafic Hariri, quand les autres milices étaient désarmées. En revanche, ils oublient que cette exigence du désarmement du Hezbollah apparaît dabord comme émanant de plus de la moitié des Libanais : des sunnites et des chrétiens, pour leur plus grand nombre, des Druzes et même de quelques chiites. Cest dabord une revendication nationale libanaise qui marginalise les voeux des États-Unis en la matière. Certes, les habiles rédacteurs du texte nont pas complètement tort quand, reprenant avec gourmandise les propos dun commentateur, ils estiment que « les États-Unis planifient tout avec les Turcs, mais aussi avec les Frères musulmans, dans le cadre dune résolution à trois ». Nous avons nous-mêmes souligné plus haut le jeu pervers de lémirat du Qatar. Mais les termes « planifient tout » sont de trop. Il conviendrait de dire « voudraient tout planifier ». Leurs échecs en Irak et en Afghanistan démentent leur capacité à contrôler la situation. Les auteurs du rapport sont entièrement dévolus à la description dun axe du mal dirigé par les Américains et les Israéliens et dans lequel ils enrôlent les sunnites. Ils tombent ainsi dans le même piège, fût-il inversé, que la Maison Blanche, quand elle qualifie daxe du mal le camp formé par lIran, la Syrie, le Hezbollah et, dans une certaine mesure, la Russie. Le recours à une telle catégorisation relève de la propagande et non pas de lanalyse politique. Cela réduit à néant la valeur de nimporte quel travail de recherche. Il faut néanmoins sinterroger sur les raisons de cette construction manichéenne. Les allégeances du CIRET-AVT nous fournissent une réponse, quoique parcellaire, à cette volonté de manipulation. Par le passé, nous avons décrit le parcours dYves Bonnet, fondateur du CIRET-AVT, et son passage au service dAlger (6). Parmi les quatre personnes citées comme rédacteurs du rapport, figure le nom de Saïda Benhabylès, ancienne ministre et sénateur dAlgérie, elle-même co-fondatrice du CIRET-AVT (7). Dès lors, les choses apparaissent transparentes. Nous comprenons ce rapport, destiné à assurer la survie du régime syrien, un contre-feu allumé par le pouvoir dAlger pour assurer sa pérennité si les généraux et le FLN se voyaient confrontés à un soulèvement populaire. Toute la difficulté, pour nous, consiste à ne pas nous laisser enfermer dans une vision manichéenne du monde, réduisant les uns au camp des « gentils », les autres à celui des « méchants ». Nous avons des États et des mouvances cherchant tous à concrétiser leurs ambitions. Parfois, celles-ci sont légitimes, dautres fois non. Ils utilisent aussi des moyens, selon le cas, tolérables ou inadmissibles. Dans laffaire syrienne, nous voyons un pouvoir criminel ayant perdu toute légitimité en faisant tirer régulièrement son armée contre la population. Cela ne justifie pas les actions terroristes commises par certains groupes armés. Nous avons aussi des raisons de nous inquiéter de laveuglement des États-Unis et de lexploitation par les islamistes de la situation. Mais, nen déplaisent aux caciques dAlger, cest au peuple de décider des hommes quil veut à sa tête. Alain Chevalérias
(1) Lire en particulier « Le Qatar
se dévoile » |
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