LE PRÉFET YVES BONNET
est-il passé à l’anti-France?

décembre 2011

En dépit de ses efforts, on connaît assez peu Yves Bonnet dans le grand public français. On l’a néanmoins remarqué dans plusieurs émissions d’Yves Calvi, « C dans l’Air », souvent présenté comme un ancien directeur de la DST. Il donne alors son avis sur la problématique terroriste devenue un sujet incontournable en matière d’actualité. Son parcours mérite bien une page...

Né en 1935 à Chartres, il intégre le corps préfectoral en 1958. En 1982, on le trouve depuis le mois de janvier préfet à Mayotte. En novembre de la même année, élu Président depuis plus d’un an, François Mitterrand le nomme à la tête de la DST, la Direction de la Sécurité Intérieure.

Il va avoir à gérer un dossier épineux. Le 28 juillet 1981, Massoud Rajavi, le chef des Moujahidine-e-Khalq (MEK), s’est enfui de Téhéran avec Aboul Hassan Bani Sadr, jusque-là Président de l’Iran islamiste. Tous deux, après avoir soutenu la Révolution, sont passés dans l’opposition. Ils ont débarqué à Paris pour demander l’asile politique.

La France a alors un contentieux avec l’Iran autour du dossier Eurodif. Les Moujahidine, mouvement longtemps classé terroriste par l’Union européenne et encore par les États-Unis, sont un groupe armé qui se targue d’avoir commis plusieurs attentats mortels. Mitterrand voit en eux un moyen d’exercer des pressions sur Téhéran. Il leur accorde non seulement l’asile et la possibilité d’organiser leur base à Auvers-sur-Oise, mais aussi une protection policière et une série de lignes téléphoniques pour contacter leurs réseaux en Iran.

Bonnet se retrouve en charge de la gestion des MEK. Il noue avec eux une étroite relation, qu’il entretient encore aujourd’hui.

Se terminant en 1985, son séjour à la DST sera bref. Néanmoins, plus d’un officier garde un amer souvenir de son passage à « la Maison ». On lui reproche son manque de connaissance des dossiers sensibles et son amateurisme.

Pour le premier point, 25 ans après, il a eu le temps d’apprendre... en lisant les journaux. Quant à son amateurisme, j’en ai moi-même pris la dimension au cours d’une entrevue.

Étant retourné à la carrière préfectorale, il avait été préfet de la région Champagne Ardennes, avant de se faire élire en 1993 député de la Manche, sous l’étiquette UDF, sans doute à la suite d’une brouille avec Mitterrand. Il accepta alors de me recevoir à son bureau de l’Assemblée nationale (1).

Avec fierté il me décrivit sa prise de contact avec les services algériens, quand il dirigeait la DST. Il avait reçu le général Smaïn Lamari, patron du contre-espionnage, à l’hôtel Crillon, place de la Concorde à Paris. D’une naïveté déconcertante, c’est un véritable pacte liant la DST aux Algériens qu’il conclut. On en a froid dans le dos quand on connaît les comportements inhumains de cette clique de généraux qui écrase l’Algérie sous sa férule.

Cette légèreté dans l’appréciation de ses partenaires manque de lui coûter cher. Alors député, il se laisse séduire par un escroc notoire, Bruce Allet, dans une affaire de conservateur de nourriture. Manque de chance, les tests d’essais sont truqués et la molécule active s’avère inefficiente. Allet n’en a pas moins soulagé ses victimes de plus de 80 millions de francs.

Comble de l’ignominie, le 26 novembre 1997, Bonnet est cuisiné pendant 48 heures par les hommes de la DST qu’il commandait quelques années plus tôt. Il se voit mis en examen pour complicité d’escroquerie. Certes, fin 2001, quatre ans plus tard, il sera blanchi par la Justice, mais le procureur lui reprochera « son manque de discernement ». Ce n’est pas tout : ce dernier évoquera les nombreux voyages de Bonnet et d’Allet au Moyen-Orient et en Afrique. Il parlera de « démarches douteuses » de « diplomatie parallèle ».

Résultat de cet épisode, la carrière parlementaire de l’ancien patron de la DST est ruinée. Ses diverses retraites ne semblant pas lui suffire, il se lance dans la littérature. Il a publié son premier livre en 1993. Mais à partir de 1998, sa production augmente. Le ton change aussi. Il jette sur le marché « Mémoires d’un patron de la DST », puis « De qui se moquent-ils ? » une attaque virulente contre les hommes politiques cités nommément. Après son épisode judiciaire, on comprend l’homme réglant ses comptes.

Cette dérive va le conduire jusqu’à l’intolérable. En 2003, il fonde le CIRET-AVT (Centre International de Recherche sur le Terrorisme et l’Aide aux Victimes). Beau programme, même si l’on n’a jamais vu cette structure prendre un quelconque soin des « victimes ».

En revanche, les noms des membres fondateurs du centre ne manquent pas (aussi orthographié Radjavi), le frère de Massoud Rajavi et lui aussi membre des Moujahidine-e-Khalq cités plus haut. Tout aussi intéressant, on remarque Mme Saïda Benhabiles, ancien ministre algérien et surtout membre du sérail des généraux.

Étrangement, l’adresse du Centre ne figure nulle part, même si on le dit « créé à Paris ». Il semble néanmoins plus algérien que français quand on observe le nombre d’interviews de Bonnet dans les médias algériens proches du pouvoir (5).

Du reste, faisant preuve d’un mimétisme d’opinion étonnant avec les généraux algériens, Bonnet assène les mêmes poncifs qu’eux.

Cette position lui fera commettre une bonne action... par inadvertance. En mai 2011, le CIRET-AVT publie sous sa direction un rapport sur la problématique libyenne. Mesuré et réaliste, le document s’avère un bon travail d’évaluation. À cela une raison, le régime algérien s’inquiète des conséquences pour lui de l’intervention de l’OTAN tout en nourrissant une certaine rancune à l’égard du colonel Kadhafi.

Au cours de ses interviews, cependant, Bonnet se rattrape. Dans le journal algérien « El Khabar », contre toute vraisemblance, il dit qu’un pays étranger pourrait être à l’origine de l’assassinat d’un chef de la rébellion, le général Abdel Fattah Younès, pour prendre le contrôle de celle-ci. Tout le monde pense à la France, compte tenu de son implication.

Car voilà bien, désormais, la cible de ce bon Samaritain de la lutte contre le terrorisme : son propre pays !

Dans la tâche qu’il s’est assignée, il trouve aux côtés des généraux d’Alger le soutien dont il a besoin. En échange, il ne craint pas de donner dans l’ignoble pour soutenir la cause de ces derniers. Dans une interview accordée au journal algérien « el Moujahid », du 20 septembre 2011, contre l’évidence, il affirme que les moines de Tibhirine ont été assassinés par les seuls terroristes et non avec la complicité des services de sécurité du pays.

Abdelkader Tigha, un transfuge des services algériens, dit pour sa part que l’opération s’est déroulée avec le feu vert du général Smaïn Lamari, l’ami de Bonnet, comme l’admet publiquement ce dernier. En outre, Tigha présente Zitouni, le chef du commando islamiste, comme une recrue des services algériens.

Ces jeux dangereux ont récemment coûté une déconvenue à ce pauvre Bonnet. Le 11 février 2010, le Tribunal de grande instance de Paris le condamnait « pour avoir diffamé publiquement Ehsan Naraghi, dans certains passages d’un livre intitulé « Vevak au service des Ayatollahs », paru au mois d’avril 2009... »

Dans ce livre, Bonnet s’en était pris aux déserteurs des Moujahidine-e-Khalq, les accusant de collusion avec les services iraniens. Ehsan Naraghi, ancien fonctionnaire de l’UNESCO, était mis dans le même sac.

Comme ils le font systématiquement, dénaturant les décisions de Justice sur leurs sites (2), les Moujahidine ont affirmé Naraghi condamné par le tribunal.

Tout cela pourrait passer pour de la broutille si, en se faisant le docile instrument des Algériens, Bonnet ne mettait pas en danger les intérêts de notre pays et la sécurité de nos concitoyens. Mais un lourd dossier est suspendu au dessus de nos têtes, celui de l’Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb). De lui dépendent le sort des otages français et de notre indispensable approvisionnement en uranium au Niger (3).

La France est donc directement concernée par la sécurité de la région du Sahel et principalement du Niger. Or, l’Algérie n’aime pas notre présence dans ce pays situé à sa frontière sud. Le 1er novembre 2010, le Premier ministre algérien, Ahmed Ouyahia, déclarait dans le journal « L’Expression » : « On n’a pas besoin d’un déploiement étranger au Sahel ». Créé le 21 avril 2010, le CEMOC (Comité d’état-major opérationnel conjoint) apparaît comme le bras tutélaire qu’Alger tente d’étendre sur le Niger, le Mali et la Mauritanie (4).

Il ne s’agit pas pour nous d’envisager une recolonisation de l’Afrique, mais de savoir que nos intérêts doivent être protégés en collaboration avec les pays concernés et dans le respect de leur souveraineté. Dans ce cadre, nous ne pouvons pas compter sur l’Algérie des généraux qui se positionne toujours contre nous.

Voilà pourquoi Bonnet, en choisissant le camp d’Alger, s'est dévoyé.

Alain Chevalérias

Notes

(1) J’ai rencontré à trois reprises Yves Bonnet.
(2) En 2005, les Moujahidine ont affirmé que j’avais été condamné par le Tribunal de Paris comme collaborateur des services de renseignements iraniens. J’ai fini par trouver cela comique.
(3) Capturés en septembre 2010 à Arlit (Niger), quatre Français employés de la société Areva sont toujours captifs de l’Aqmi. D’autre part, la France tire 78% de son électricité du nucléaire. 40% des nos achats d’uranium proviennent du Niger. En 2013, une nouvelle mine devrait être ouverte à Imouraren, deuxième site du monde par ses réserves. En d’autres termes, nous dépendons pour plus de 30% de la production nigérienne pour notre électricité et dépasserons les 50% dans les années à venir.
(4) Voir l'article sur le Niger.
(5) Nous avons-nous appris depuis le dernier article que, si le centre a été créé en 2003, il n’a été déclaré qu’en avril 2009 et son siège annoncé au 11, rue Juliette Lamber, 75017 Paris. Néanmoins, cette adresse figure comme « provisoire ». Du reste à ce numéro de la rue Juliette Lamber, rien ne signale le CIRET-AVT. Il n’y a qu’une étude d’avocat et des locataires. On imagine Bonnet bénéficiant dans l’immeuble d’une domiciliation de complaisance pour son centre.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

 

 
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