LE NIGER EN OTAGE

novembre 2011

Le Niger, pays pauvre et enclavé dans les terres, n’a pour grand large que le fleuve dont il porte le nom, et, dans une
certaine mesure, le désert. A ses difficultés économiques s’en ajoutent quatre autres : l’islamisme rampant exporté de l’étranger, la menace d’Al-Qaïda, l’AQMI, l’utilisation du territoire comme voie de passage de la drogue et la difficulté des Touaregs à trouver leur place dans un monde qui ne cesse de changer depuis l’arrivée des Européens en Afrique.
De notre reportage, en octobre, au Niger, nous rapportons notre inquiétude pour l’avenir de ce jeune État à la
population accueillante. Mais aussi la conviction que l’Occident, en premier lieu la France, sont confrontés à
l’impérative nécessité de dispenser une aide adaptée et intelligente au Niger.

À quelque chose malheur est bon ! La vingtaine de prises d’otages au Niger et au Mali, et la soixantaine par l’AQMI dans la région saharienne, ont appelé l’attention sur ces pays de l’Europe qui sommeille. Nous avons néanmoins l’impression que peu de gens évaluent la situation dans toute sa dangerosité.


L’ISLAMISME PROGRESSE

Islamisé depuis plusieurs siècles, les Nigériens n’en pratiquent pas moins une version très libérale de cette religion. Nous en voulons pour preuve la forte consommation d’alcool.

Cette situation déplait dans les pays arabes comme les émirats du Golfe, le Qatar et l’Arabie Saoudite. Forts de leurs pétro-dollars, ceux-ci multiplient sur place les ONG religieuses à façade caritative chargées de stimuler la ferveur des mahométans.

Les ayatollahs iraniens s’intéressent aussi au Niger. Dans ce pays sunnite, ils financent plusieurs entités chiites dont deux publications, l’une s’appelle « Assaqaleyne », un centre de reprographie (Imam Baqir), le lycée Az-Zahrah, et deux écoles à Niamey. Le chef de la communauté, El Haj Salifou Ahmed, est aussi appelé le cheikh de Lazaret, du nom du quartier où il oeuvre.

Dans la littérature produite par ces Nigériens convertis au chiisme, on lit, bien sûr, des envolées en faveur de l’exégèse chiite, mais aussi des attaques violentes contre les Occidentaux, qualifiés de colons barbares, et contre les juifs en tant que tels.

Résultat, chose inconnue autrefois au Niger, parfois on voit dans les rues des femmes lourdement voilées à l’iranienne ou à la saoudienne. En brousse, on assiste aussi, d’après un témoin, à la diminution de production de bière de mil, boisson traditionnelle des paysans pauvres.

À ces tentatives arabo-iraniennes d’implantation d’un islam rigide, s’ajoute l’influence montante de la secte Boko-Haram dans le sud haoussa, proche culturellement des habitants du nord du Nigeria voisin. Boko-Haram nous est connu en Occident en raison des attaques et des meurtres qu’il a perpétrés, en particulier à partir de Noël 2010, contre les chrétiens (1).

Preuves de l’influence de la secte sur le sud du Niger, l’émir de Boko-Haram a longtemps résidé à Dosso, sur la route de Niamey et, à plusieurs reprises, un témoin a vu de ses miliciens en uniforme dans la capitale.

Or, faut-il préciser, au cours du dernier été, Boko-Haram s’est déclaré affilié à l’AQMI, néanmoins sans confirmation, à notre connaissance, de cette organisation.

AL-QAÏDA AU MAGHREB

La zone d’influence de l’AQMI, ou Al-Qaïda au Maghreb islamique, s’étend sur l’Algérie, la Mauritanie, le Mali, le Tchad et le Niger. Elle est principalement active dans les régions sahariennes. Né du ralliement à Al-Qaïda du GSPC, en 2006, lui même mutation des GIA en 1998, l’AQMI est une formation algérienne dont le quartier général théorique se trouve en Kabylie sous l’autorité d’Abdelmalek Droukdal.

Son dispositif quadrille l’Algérie. Néanmoins, les katibas (2) sahariennes jouissent d’une large autonomie. On été identifiées dans cette région la katiba de Mokhtar Belmokhtar et celle d’Abdelhamid Abou Zeïd.

Avec un effectif d’environ 300 hommes, AQMI se sert du nord du Mali, en particulier la forêt de Wagadou, comme zone refuge. Mais, par le Niger, passent ses lignes communication vers la Libye et le Tchad. Pour en assurer la sécurité, ses hommes se sont constitué un réseau local de complicités et de trafiquants appâtés par l’argent.

Mais le Niger est aussi devenu une zone opérationnelle d’où l’AQMI cherche à chasser la France. Sur 12 enlèvements d’étrangers dans ce pays, 8 ont touché des Français. L’avant dernier, celui du 16 septembre 2010, visait plus spécifiquement Areva, qui exploite les mine d’uranium d’Arlit d’où nous tirons 30% de notre capacité électrique et bientôt plus de 50% (3). Plus significatif encore, les deux employés africains de l’entreprise ont été libérés sans rançon, seuls les Français restant aux mains des ravisseurs.

Certes, l’animosité d’Al-Qaïda et des islamistes à l’égard de notre pays est un fait acquis. On peut néanmoins se demander s’il n’existe pas une autre motivation plus « algéro-algérienne ».

Comme nous l’avons vu, à Alger, le pouvoir souhaite voir disparaître la France de la zone sahélienne et craint par-dessus tout une implantation de nos forces (3). Cette similitude d’aspiration instille déjà le soupçon.

Ce soupçon prend un peu plus corps quand on connaît l’habilité des services algériens pour manipuler les groupes terroristes à des fins peu avouables. À un moment, pendant le soulèvement islamiste des années 90, ils agissaient ainsi pour avoir carte blanche de l’Occident dans leur répression de l’opposition. Aujourd’hui, l’objectif serait de se débarrasser d’un gêneur, la France, pour étendre l’influence d’Alger au sud du Sahara.

Nous ne tenons pas ces propos à la légère. En février 2003, le rapt des 32 touristes européens en Algérie était le fait d’Abdelrazak El Para (écrit aussi Abderrazak). Or, cet homme jouit d’un parcours singulier. Parachutiste dans l’armée algérienne, alors sergent, il déserte en 1992 et rejoint les islamistes armés des GIA. En 1994, cependant, il se rend aux autorités et devient capitaine. Puis il rejoint à nouveau les maquis islamistes en 1997 et devient un chef important du GSPC.

Ce n’est pas tout. En mars 2004, dans le Tibesti, il est intercepté par un groupe rebelle tchadien proche de la Libye qui le livre à cette dernière. Exfiltré vers l’Algérie le 27 octobre, il demeure des années sous la protection des forces armées de ce pays. Mieux, en juin 2005, s’il passe en jugement, c’est par contumace, les autorités militaires ayant refusé de le livrer à la Justice.

Sans risque, nous pouvons qualifier Abdelrazak El Para d’agent infiltré. Problème cependant, il a commandé des attaques, des rapts et des assassinats. Sans doute pour faire taire les rumeurs qui circulent dans les milieux du renseignement, en juillet 2011, on apprenait la remise d’Abdelrazak El Para à la Justice. Un peu tard.

LA ROUTE DE LA COCAÏNE

En septembre dernier, un réseau de vendeur de cocaïne, quatre Nigérians et un Nigérien, étaient arrêtés à Niamey, capitale du Niger. Le 12 octobre, un steward d’Air Algérie arrivant de Bamako était intercepté au débarquement, lui aussi en possession de cocaïne. Il travaillait en liaison avec sept autres collègues. Début décembre, deux Nigérians se faisaient prendre à l’aéroport de Brazzaville, capitale du Congo, en possession de 10 kg de la même drogue.

Nous pourrions multiplier les exemples de ce genre. La cocaïne arrive en Afrique de l’ouest, par avion et par bateau, d’Amérique latine. Essentiellement de Colombie. Sauf une infime partie destinée aux catégories aisées, l’essentiel repart vers l’Europe, principal marché avec les États-Unis.

Concernant le Niger, les plus grosses quantités sont acheminées à partir du Nigeria. De petits passeurs assurent le transfert à travers la frontière poreuse entre les deux pays, avant que la drogue ne soit stockée dans des villes du sud comme Zinder. Là, de véritables entreprises de transporteurs clandestins offrent leurs services aux réseaux de la drogue.

Rien n’est laissé au hasard : ces structures mafieuses utilisent des 4X4 flambants neufs servis par un équipage de deux hommes : un chauffeur expérimenté et un chef de bord. Pendant tout le trajet, le second reste en liaison téléphonique par satellite avec ses employeurs. Quand une région est réputée dangereuse, en raison des attaques possibles de brigands ou des patrouilles des forces de sécurité, des véhicules armés de mitrailleuses lourdes apparaissent pour encadrer les 4X4 qui transportent la drogue. Le voyage se termine à l’intérieur du territoire algérien, en plein désert, quand un autre réseau de passeurs prend la relève.

Détail qui n’est pas dépourvu de sens, les 4X4 sont immatriculés en Algérie. Plus significatif encore, les mêmes noms de généraux algériens impliqués dans le trafic circulent dans le Sahel, à Alger ou à Paris. Des sources bien informées affirment : « Les autorités algériennes ne veulent pas de présence française dans la région du Sahel, parce qu’elles craignent que leur juteux négoce n’en subisse les conséquences ».

LA VARIABLE TOUARÈGUE

La population touarègue s’étend sur cinq pays : les déserts libyen et algérien, l’est du Mali, le nord du Burkina-Faso et l’ouest du Niger

Organisés en castes, en clans et en confédérations de tribus, les Touaregs sont par tradition des guerriers, experts de plus en matière de survie dans les régions sahariennes. Les aspects romantiques d’une ethnie à la riche culture ne doivent pas faire oublier des coutumes ancestrales qui font facilement d’eux des bandits d’honneur. Quand à cela s’ajoutent la difficulté de s’intégrer dans le monde moderne et la frustration de ne pas disposer d’un État propre, comme les Kurdes en Asie, eux aussi tronçonnés par les frontières, on comprend toutes les aventures guerrières possibles.

On retrouve des Touaregs dans l’épopée de Kadhafi, qui aujourd’hui reviennent dans leurs pays sans argent mais avec des armes. On en a vu quelques-uns d’entre eux se faire complices de l’Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb). D’autres enfin, servir d’hommes de main aux mafias des passeurs de drogue.

Ils ne sont néanmoins pas idiots. Plutôt que de servir les intérêts des autres, ils préfèrent servir les leurs. Aujourd’hui, qu’il s’agisse des réseaux de la drogue, de ceux de l’Aqmi ou des gouvernements en place, dominera le jeu celui qui parviendra à rallier les Touaregs. Reste à savoir ce que les uns et autres sont prêts à donner. De cela dépend l’avenir de la région, principalement du Niger et du Mali : futurs émirats mafieux ou États de droits.

Alain Chevalérias

Notes


(1) Boko-Haram a été dénoncé par le sultan de Sokoto, héritier spirituel du dernier dirigeant de l’empire de Sokoto (voir la page Histoire). En juillet 2009, lors d’affrontements avec l’armée nigériane, la secte a eu au moins 700 morts. Le 26 août 2011, commettant un attentat contre la représentation des Nations Unies à Abuja, Boko-Haram a tué 18 personnes.
(2) Une katiba correspond à un effectif d’une centaine d’hommes.
(3) Voir l'article «
Le préfet Yves Bonnet, passé à l’anti-France »,

 

 


L’Empire songhaï, du Sénégal au Niger


OTAGES DE L’AQMI ET DE SES PRÉDÉCESSEURS

Février 2003 :
32 touristes européens sont enlevés en Algérie. Un meurt, 17 sont sauvés lors d’une intervention armée, les autres sont libérés en août.

22 février 2008 : 2 Autrichiens sont kidnappés en Tunisie. Ils sont libérés en octobre.

14 décembre 2008 : 2 diplomates canadiens sont fait prisonniers au Niger. Ils retrouvent la liberté le 21 avril 2009.

22 janvier 2009 : 2 Suisses, une Allemande et un Britannique, Edwin Dyer, sont capturés à la frontière du Mali et du Niger. Le Britannique est décapité, les deux femmes libérées le 22 avril, le Suisse le 12 juillet.

26 novembre 2009 : Le Français Pierre Camatte est enlevé dans l’est du Mali. Il est libéré le 23 février 2010.

29 novembre 2009 : 3 Espagnols sont capturés en Mauritanie. Alicia Gamez retrouve la liberté le 10 mars 2010, ses deux compagnons, le 23 août.

18 décembre 2009 : Enlèvement de 2 Italiens, Sergio Cicala et sa femme au Mali. Ils retournent au monde le 16 avril 2010.

19 avril 2010 :
Le Français Michel Germaneau, 78 ans, est pris au Niger avec son chauffeur algérien. Il meurt en captivité.

16 septembre 2010 : 5 Français, un Togolais et un Malgache travaillant pour Areva sont kidnappés à Arlit. La seule femme du groupe, Françoise Larribe, et les deux Africains, sont relâchés le 24 février 2011. Les 4 autres sont toujours captifs.

7 janvier 2011 : 2 Français,
Antoine de Léocour et Vincent Delory, enlevés à Niamey, meurent dans la nuit au cours d’une tentative de libération par l’armée française.

23 octobre 2011 : 2 Espagnols et une Italienne sont enlevés dans un camp de réfugiés sahraouis à Tindouf (Algérie). Le rapt est attribué à l’AQMI.

24 novembre 2011: Lazarevic et philippe Verdon sont enlevés à Hombori au Mali

25 novembre 2011: enlèvement à Tombouctou de 3 européens, un allemand est tué.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

Lire aussi: Les otages français au Niger, l'Algérie dévoile ses ambitions au Sahel

 
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