EN TURQUIE
L’ISLAMISME AU POUVOIR

septembre 2011

Le 12 juin 2011, les Turcs élisaient leur nouveau Parlement. L’AKP, le parti au pouvoir, renouvelle son coup d’éclat en améliorant encore son score.
Il remporte 50% des voix, contre 47% en 2007 et 34% en 2002, quand il arriva au pouvoir. Il doit néanmoins se contenter de 326 sièges sur 550, contre 341 obtenus en 2007. Raison de ce déficit en députés, le système de la proportionnelle défavorise un peu le parti dominant. À l’AKP, on ne dissimule pas sa joie, même si cette victoire occulte une déception. Le parti veut réformer la Constitution et, pour y parvenir, a besoin d’une majorité des deux tiers au Parlement.

L’AKP, ou Parti pour la Justice et le développement, est né en 2001, prenant la suite du Refah Partisi, parti islamiste sunnite créé en 1983 par Necmettin Erbakan (1).

Il s’est hissé au pouvoir a l’issue des élections de 2002, en tant que parti ayant obtenu le meilleur pourcentage de voix, grâce au patient travail de pénétration de la population par Erbakan, qui développa des structures caritatives et créa des entreprises gérées de manière rigoureuse, quand la classe politique au pouvoir s’illustrait par la corruption.

Agissant à la tête de l’État, comme le Refah l’avait fait dans l’opposition, l’AKP a joué la patience et la rigueur. En mars 2003, Recep Tayyip Erdogan, ancien du Refah et maire d’Istanbul, où il avait fait la démonstration de ses compétences de gestionnaire et de son honnêteté, devient Premier ministre. Puis le 28 août 2007, Abdullah Gul est élu Président de la République par la majorité parlementaire. Lui aussi a milité autrefois au Refah. En outre, diplômé en sciences économiques, il a travaillé dans une banque islamiste saoudienne, l’Islamic Development Bank de Djeddah, de 1983 à 1991.

Maître des appareils exécutif et législatif, l’AKP aurait pu se croire arrivé et appliquer une politique islamiste dans toute sa radicalité. Ses dirigeants n’en font rien. Ils se savent deux adversaires embusqués dans l’appareil d’État : les fonctionnaires, tous peu ou prou d’obédience kémaliste (2), et l’armée, « garante de la Constitution » et surtout, par le passé, auteur de plusieurs putschs destinés à remettre de l’ordre dans la gabegie politique.

L’AKP ne va pas attaquer de face. Il préfère agir dans les coulisses pour affaiblir ses adversaires.

C’est ainsi qu’éclate l’affaire Ergenekon, en juin 2007. En deux ans, 300 personnes sont arrêtées et 194 inculpées. Plusieurs généraux, des officiers de l’armée et des renseignements sont accusés d’avoir comploté contre l’État et l’AKP qu’ils auraient eu pour intention de renverser par la force. On s’étonne néanmoins de voir des gens d’extrême gauche et des Kurdes mêlés dans les actes d’accusation aux militaires, au service d’un même projet insurrectionnel. Sans compter que l’armée, avec ses propres forces, pouvait renverser seule le gouvernement islamiste. Tout donne à penser que l’AKP, portant des accusations sans fondements véritables, compte se débarrasser de quelques gêneurs, en même temps qu’il purge l’armée des éléments les plus hostiles.

Sur le front de l’administration, l’offensive est encore plus sournoise. Elle s’appuie sur la confrérie religieuse de Fethullah Gülen. Cet homme de 70 ans a organisé un réseau d’écoles turques dans 120 pays. Il défend une ligne islamiste et nationaliste turque, pour ne pas dire ultra-nationaliste. Fort de 3 millions de membres et de 10 millions de sympathisants dans les pays turcophones, il pénètre patiemment les milieux du pouvoir et fait entrer ses disciples dans l’administration et la police. Sans le dire, c’est à une mutation idéologique des services de l’État qu’il travaille.

Certes, pour le moment, l’islamisation sociale de la Turquie reste discrète. Depuis trois ans, néanmoins, à Istanbul, on a signalé la fermeture de plusieurs débits de boisson. Quelques journalistes, jugés trop curieux, se sont aussi retrouvés en prison.

Ahmet Sik et Nedim Sener en savent quelque chose. Le 6 mars dernier, ils ont été inculpés pour « incitation à la haine » puis pour appartenance au complot Ergenkon. Ils enquêtaient sur la pénétration de la confrérie de Fethullah Gülen dans les rangs de la police.

Un ancien commissaire divisionnaire, Hanefi Avci, portant la même accusation contre la confrérie, s’est vu lui traduit en justice pour collusion avec un groupe terroriste.

Sous des dehors modernistes et libéraux, pour ne pas effrayer, nous croyons l’islamisme au pouvoir en Turquie nous préparant des lendemains inquiétants.

 

Notes

(1) Erbakan est mort le 27 février 2011 à l’âge de 75 ans.
(2) Mustapha Kemal, ou Ataturk, est le fondateur de la République turque, en 1923, sur les ruines de l’Empire ottoman. Il adopta une ligne politique laïque, moderniste et se tourna vers l’Occident. Peu appréciée des islamistes, son idéologie, encore en vigueur, est désignée sous le nom de kémalisme.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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