LISLAMISME AU POUVOIR |
septembre 2011
Le 12 juin 2011, les Turcs élisaient
leur nouveau Parlement. LAKP, le parti au pouvoir, renouvelle
son coup déclat en améliorant encore son
score. LAKP, ou Parti pour la Justice et le développement, est né en 2001, prenant la suite du Refah Partisi, parti islamiste sunnite créé en 1983 par Necmettin Erbakan (1). Il sest hissé au pouvoir a lissue des élections de 2002, en tant que parti ayant obtenu le meilleur pourcentage de voix, grâce au patient travail de pénétration de la population par Erbakan, qui développa des structures caritatives et créa des entreprises gérées de manière rigoureuse, quand la classe politique au pouvoir sillustrait par la corruption. Agissant à la tête de lÉtat, comme le Refah lavait fait dans lopposition, lAKP a joué la patience et la rigueur. En mars 2003, Recep Tayyip Erdogan, ancien du Refah et maire dIstanbul, où il avait fait la démonstration de ses compétences de gestionnaire et de son honnêteté, devient Premier ministre. Puis le 28 août 2007, Abdullah Gul est élu Président de la République par la majorité parlementaire. Lui aussi a milité autrefois au Refah. En outre, diplômé en sciences économiques, il a travaillé dans une banque islamiste saoudienne, lIslamic Development Bank de Djeddah, de 1983 à 1991. Maître des appareils exécutif et législatif, lAKP aurait pu se croire arrivé et appliquer une politique islamiste dans toute sa radicalité. Ses dirigeants nen font rien. Ils se savent deux adversaires embusqués dans lappareil dÉtat : les fonctionnaires, tous peu ou prou dobédience kémaliste (2), et larmée, « garante de la Constitution » et surtout, par le passé, auteur de plusieurs putschs destinés à remettre de lordre dans la gabegie politique. LAKP ne va pas attaquer de face. Il préfère agir dans les coulisses pour affaiblir ses adversaires. Cest ainsi quéclate laffaire Ergenekon, en juin 2007. En deux ans, 300 personnes sont arrêtées et 194 inculpées. Plusieurs généraux, des officiers de larmée et des renseignements sont accusés davoir comploté contre lÉtat et lAKP quils auraient eu pour intention de renverser par la force. On sétonne néanmoins de voir des gens dextrême gauche et des Kurdes mêlés dans les actes daccusation aux militaires, au service dun même projet insurrectionnel. Sans compter que larmée, avec ses propres forces, pouvait renverser seule le gouvernement islamiste. Tout donne à penser que lAKP, portant des accusations sans fondements véritables, compte se débarrasser de quelques gêneurs, en même temps quil purge larmée des éléments les plus hostiles. Sur le front de ladministration, loffensive est encore plus sournoise. Elle sappuie sur la confrérie religieuse de Fethullah Gülen. Cet homme de 70 ans a organisé un réseau décoles turques dans 120 pays. Il défend une ligne islamiste et nationaliste turque, pour ne pas dire ultra-nationaliste. Fort de 3 millions de membres et de 10 millions de sympathisants dans les pays turcophones, il pénètre patiemment les milieux du pouvoir et fait entrer ses disciples dans ladministration et la police. Sans le dire, cest à une mutation idéologique des services de lÉtat quil travaille. Certes, pour le moment, lislamisation sociale de la Turquie reste discrète. Depuis trois ans, néanmoins, à Istanbul, on a signalé la fermeture de plusieurs débits de boisson. Quelques journalistes, jugés trop curieux, se sont aussi retrouvés en prison. Ahmet Sik et Nedim Sener en savent quelque chose. Le 6 mars dernier, ils ont été inculpés pour « incitation à la haine » puis pour appartenance au complot Ergenkon. Ils enquêtaient sur la pénétration de la confrérie de Fethullah Gülen dans les rangs de la police. Un ancien commissaire divisionnaire, Hanefi Avci, portant la même accusation contre la confrérie, sest vu lui traduit en justice pour collusion avec un groupe terroriste. Sous des dehors modernistes et libéraux, pour ne pas effrayer, nous croyons lislamisme au pouvoir en Turquie nous préparant des lendemains inquiétants.
(1) Erbakan est mort le 27 février
2011 à lâge de 75 ans. |
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