TENSIONS CROISSANTES
DANS LE NORD DE L’AFGHANISTAN

octobre 2018

Pour l’opinion occidentale, le conflit qui ensanglante l’Afghanistan est d’essence religieuse. Il oppose une frange islamiste radicale à des « modernistes » épris de nos coutumes occidentales.

Jusqu’à aujourd’hui, cette analyse simpliste suffisait à expliquer la guerre qui persiste en Afghanistan depuis l’offensive américaine de fin 2001.
Rappelons que celle-ci était justifiée puisque, en dépit de certains fantasmes, l’armée US venait traquer les auteurs des attaques terroristes du 11 septembre 2001 sur son sol et expulser du pouvoir ceux qui les soutenaient, les Taliban.

Carte de l'Afghanistan -Prinicipales villesDans le Nord, une majorité non-Pachtoune
Problème, aujourd’hui, au nord de l’Afghanistan, dans les provinces où la majorité est faite de Tadjiks, d’Ouzbèks, de Turkmènes ou d’Hazaras, l’animosité monte. Non seulement contre les Taliban mais aussi contre les Pachtouns.

Certes, les Taliban se recrutent parmi lesdits Pachtouns, mais tous les Pachtouns ne soutiennent pas pour autant les Taliban.

À Kaboul, et même dans le nord du pays, beaucoup de membres de cette ethnie nourrissent un fort ressentiment contre les Taliban. Le Président lui-même, Achraf Ghani, appartient à l’une des tribus pachtounes, les Ahmadzaï. Or, cet ancien fonctionnaire international n’a rien d’un intégriste musulman. Il a même épousé une chrétienne libanaise de la famille Saadé. Pourtant, souvent, dans les provinces du nord, on l’associe confusément aux Taliban, l’accusant de pactiser secrètement avec eux.

Les Pachtouns... jamais sans leur armeGuerrier Pachtoune

C’est qu’il existe chez la plupart des Pachtouns le sentiment bien ancré de détenir le droit inaliénable de gouverner le pays.

Il est vrai qu’ils furent les fondateurs du royaume d’Afghanistan, en 1747, avec Ahmad Shah Durrani. Aussi vont-ils jusqu’à s’estimer les seuls à pouvoir revendiquer l’autorité sur le pays et à porter légitimement le titre d’Afghans. Les Taliban s’inscrivent dans cette revendication, trouvant là un terrain d’entente avec beaucoup de Pachtouns.

Sans doute les ethnies non-pachtounes auraient-elles accepté, longtemps encore, la prééminence politique des Pachtouns, du moins si en 1979 les Soviétiques n’avaient pas envahi le pays. Mais, cette violation de l’espace national par un État voisin suscita un soulèvement de toutes les ethnies. Les non-Pachtouns se familiarisèrent à l’usage des armes et, dès lors, s’estimèrent le droit de gouverner l’Afghanistan au même titre que les Pachtouns qui n’en perçoivent pas moins comme intolérable cette « prétention ».

Une animosité croissante entre Pachtouns et les autres ethnies

Sous le gouvernement des Taliban, les affrontements avec le nord, à majorité non-pachtoune, cachaient déjà mal le refus de la soumission aux Pachtouns derrière le prétexte religieux.

Les Américains, conscients de cette réalité, favorisèrent la montée aux affaires de Présidents pachtouns, s’assurant ainsi le ralliement d’une partie de leur ethnie.
Mais, aujourd’hui, alors que la puissance américaine montre des signes de faiblesse et qu’elle perd en influence en Afghanistan, les tensions se font de plus en plus fortes entre les deux blocs ethniques.

Ainsi, à Mazar-i-Sharif, métropole du nord où j’ai de nombreux contacts, ai-je pu constater le mécontentement croissant contre les prétentions pachtounes. En particulier chez les jeunes et ce jusqu’à l’université.

Dans le même temps, les opérations menées par les Taliban s’avèrent de plus en plus nombreuses dans le nord du pays.

Les attaquants s’appuient sur les poches de Pachtouns installés autrefois sous la monarchie pour renforcer l’autorité de celle-ci.
Ainsi, le 11 septembre dernier (2018), 17ème anniversaire des attentats de 2001, 37 personnes ont été tuées à travers l’Afghanistan, dont 29 membres des forces de sécurité. Les provinces de Kunduz et Jazwjan, toutes les deux au nord, ont été particulièrement touchées. La veille, 60 policiers avaient déjà été tués de Sar-e-Pul à Samagan, dans quatre des provinces septentrionales. Le 22, toujours dans cette région, une bombe a tué 8 enfants dans la province de Faryab.


Certes, le nord n’est pas le seul touché.

L’est et le sud, peuplés de Pachtouns, essuient aussi les attaques des Taliban. Néanmoins, dans la partie septentrionale du pays, on interprète d’abord cela comme une poussée militaire pour assurer la domination pachtoune.

Il faudrait beaucoup de doigté pour bloquer le processus qui se met en place : la division de l’Afghanistan en deux. Comment éviter cela quand l’Occident fait étalage de son impuissance et que les pays de la périphérie se montrent plus que favorables à l’idée. Le Pakistan aimerait annexer le sud dominé par les Pachtouns, dont une partie de l’ethnie vit déjà sur son territoire, et les Iraniens se verraient bien prendre le contrôle du nord persanophone. Quant aux Russes, ils sont favorables à l’établissement d’une zone tampon entre les Taliban et leur ancien empire, où ils sont très présents. Restent les Chinois : tout est bon pour eux à condition qu’ils puissent exploiter les ressources minières du pays.

Alain Chevalérias

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

Lire aussi:

Interview de Atta Mohammad Noor gouverneur de la province de Balkh en Afghanistan

 
Retour Menu
Retour Page d'Accueil