Pour lopinion
occidentale, le conflit qui ensanglante lAfghanistan est
dessence religieuse. Il oppose une frange islamiste radicale
à des « modernistes » épris
de nos coutumes occidentales.
Jusquà
aujourdhui, cette analyse simpliste suffisait à
expliquer la guerre qui persiste en Afghanistan depuis loffensive
américaine de fin 2001.
Rappelons que celle-ci était justifiée puisque,
en dépit de certains fantasmes, larmée US
venait traquer les auteurs des attaques terroristes du 11 septembre
2001 sur son sol et expulser du pouvoir ceux qui les soutenaient,
les Taliban.
Dans le Nord, une
majorité non-Pachtoune
Problème, aujourdhui,
au nord de lAfghanistan, dans les provinces où la
majorité est faite de Tadjiks, dOuzbèks,
de Turkmènes ou dHazaras, lanimosité
monte. Non seulement contre les Taliban mais aussi contre les
Pachtouns.
Certes,
les Taliban se recrutent parmi lesdits Pachtouns, mais tous les
Pachtouns ne soutiennent pas pour autant les Taliban.
À Kaboul,
et même dans le nord du pays, beaucoup de membres de cette
ethnie nourrissent un fort ressentiment contre les Taliban. Le
Président lui-même, Achraf Ghani, appartient
à lune des tribus pachtounes, les Ahmadzaï.
Or, cet ancien fonctionnaire international na rien dun
intégriste musulman. Il a même épousé
une chrétienne libanaise de la famille Saadé.
Pourtant, souvent, dans les provinces du nord, on lassocie
confusément aux Taliban, laccusant de pactiser
secrètement avec eux.
Les Pachtouns...
jamais sans leur arme
Cest
quil existe chez la plupart des Pachtouns le sentiment
bien ancré de détenir le droit inaliénable
de gouverner le pays.
Il est vrai quils
furent les fondateurs du royaume dAfghanistan, en
1747, avec Ahmad Shah Durrani. Aussi vont-ils jusquà
sestimer les seuls à pouvoir revendiquer lautorité
sur le pays et à porter légitimement le titre
dAfghans. Les Taliban sinscrivent dans
cette revendication, trouvant là un terrain dentente
avec beaucoup de Pachtouns.
Sans doute les ethnies
non-pachtounes auraient-elles accepté, longtemps encore,
la prééminence politique des Pachtouns,
du moins si en 1979 les Soviétiques navaient
pas envahi le pays. Mais, cette violation de lespace national
par un État voisin suscita un soulèvement de toutes
les ethnies. Les non-Pachtouns se familiarisèrent
à lusage des armes et, dès lors, sestimèrent
le droit de gouverner lAfghanistan au même titre
que les Pachtouns qui nen perçoivent pas
moins comme intolérable cette « prétention
».
Une animosité
croissante entre Pachtouns et les autres ethnies
Sous le gouvernement
des Taliban, les affrontements avec le nord, à
majorité non-pachtoune, cachaient déjà mal
le refus de la soumission aux Pachtouns derrière
le prétexte religieux.
Les Américains,
conscients de cette réalité, favorisèrent
la montée aux affaires de Présidents pachtouns,
sassurant ainsi le ralliement dune partie de leur
ethnie.
Mais, aujourdhui, alors que la puissance américaine
montre des signes de faiblesse et quelle perd en influence
en Afghanistan, les tensions se font de plus en plus fortes entre
les deux blocs ethniques.
Ainsi, à
Mazar-i-Sharif, métropole du nord où jai
de nombreux contacts, ai-je pu constater le mécontentement
croissant contre les prétentions pachtounes. En particulier
chez les jeunes et ce jusquà luniversité.
Dans le
même temps, les opérations menées par les
Taliban savèrent de plus en plus nombreuses dans
le nord du pays.
Les attaquants sappuient
sur les poches de Pachtouns installés autrefois sous la
monarchie pour renforcer lautorité de celle-ci.
Ainsi, le 11 septembre dernier (2018), 17ème
anniversaire des attentats de 2001, 37 personnes ont
été tuées à travers lAfghanistan,
dont 29 membres des forces de sécurité.
Les provinces de Kunduz et Jazwjan, toutes les
deux au nord, ont été particulièrement touchées.
La veille, 60 policiers avaient déjà été
tués de Sar-e-Pul à Samagan, dans
quatre des provinces septentrionales. Le 22, toujours dans cette
région, une bombe a tué 8 enfants dans la
province de Faryab.
Certes,
le nord nest pas le seul touché.
Lest et le sud,
peuplés de Pachtouns, essuient aussi les attaques
des Taliban. Néanmoins, dans la partie septentrionale
du pays, on interprète dabord cela comme une
poussée militaire pour assurer la domination pachtoune.
Il faudrait beaucoup
de doigté pour bloquer le processus qui se met en place
: la division de lAfghanistan en deux. Comment éviter
cela quand lOccident fait étalage de son impuissance
et que les pays de la périphérie se montrent plus
que favorables à lidée. Le Pakistan aimerait
annexer le sud dominé par les Pachtouns, dont une partie
de lethnie vit déjà sur son territoire, et
les Iraniens se verraient bien prendre le contrôle du nord
persanophone. Quant aux Russes, ils sont favorables à
létablissement dune zone tampon entre les
Taliban et leur ancien empire, où ils sont très
présents. Restent les Chinois : tout est bon pour eux
à condition quils puissent exploiter les ressources
minières du pays.
Alain
Chevalérias
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