SUBVERSION IRANIENNE
EN AFGHANISTAN

 

Mars 2008

Comme le décrivait si bien Michael Barry dans " Le Royaume de l'insolence " (1), l'Afghanistan, avec son socle montagneux de l'Hindou Kouch, est un pays frontière entre trois grandes plaines : la steppe d'Asie centrale, demeurée sous la pression russe, la péninsule indienne, en premier lieu le Pakistan, et enfin le plateau iranien.

carte Iran, Afghanistan, PakistanSa position fait de la terre afghane un objet de convoitise pour les maîtres de ces trois plaines quand, poussés par l'esprit de conquête, ils cherchent à étendre leur pouvoir. Ceci est plus vrai encore pour l'Iran, ancien empire réduit à d'étroites frontières, dont l'Afghanistan constitua une partie du territoire, à plusieurs reprises et pendant plusieurs siècles, au cours des trois derniers millénaires. A cela s'ajoute, entre les deux pays, une communauté de références culturelles et de langue, le persan dénommé dari, dans sa variété afghane. Aussi, profitant des difficultés rencontrées par les forces d'occupation occidentales, l'Iran a repris pied en Afghanistan.

En Afghanistan, Téhéran joue traditionnellement de son alliance avec les Hazaras, peuple d'ascendance mongole qui partage avec l'Iran sa foi chiite. Pendant l'occupation soviétique, les villages de cette ethnie étaient les seuls endroits du pays où l'on voyait des affiches à l'effigie de Khomeiny placardées aux murs.

Les Taliban, sunnites intégristes, s'emparant du pouvoir en 1996, le pays se trouva interdit aux Iraniens, chiites et par conséquent leurs ennemis jurés. Paradoxalement, il fallut attendre le renversement des Taliban par l'Occident, au cours de l'automne 2001, pour voir les Iraniens revenir en Afghanistan.

Pour ce faire, ils s'appuyèrent sur l'ayatollah Mohammad Asef Mohseni, le chef du " Harakat Inqelob Islami ", mouvement chiite hazara qui combattit l'occupation soviétique pendant les années 80. Mohseni entra en relation avec Hamid Karzaï, le Président mis en place par les Américains, et lui promit son soutien politique.

Dans le même temps, il recevait de l'argent des Iraniens pour développer les structures chiites dans Kaboul et dans les villages du Hazarajat, le territoire des Hazaras.

On vit surgir de terre une université religieuse de 10 000 places, baptisée " Aouza Khata Manabihin ". Située non loin du Parlement, elle dispose de dortoirs et d'un système de restauration. La plupart des enseignants sont Iraniens. Les études y sont gratuites pour les jeunes chiites.

Puis Mohseni créa une chaîne de télévision, Tamadun, qui diffuse des programmes en persan d'Iran, et non en dari (2). Dans le même temps, il ouvrait des écoles religieuses, dans les districts chiites de la province, et les équipait avec des livres et du matériel pédagogique offerts par l'État iranien.

Dorénavant, pour coordonner l'action sur le terrain avec le soutien envoyé par le " pays frère ", tous les mois, un groupe d'une cinquantaine de religieux chiites afghans, rémunéré par Téhéran, se réunit au Centre culturel Iranien de Kaboul.

Mais Téhéran n'a pas arrêté là son offensive.

Pour renverser les Taliban, en 2001, les Américains s'étaient associés à l'Alliance du Nord, opposition armée dominée par les Tadjiks, l'ethnie du défunt Commandant Massoud. Or ces derniers se sentaient frustrés d'un pouvoir dont Karzaï réservait une bonne part à ses amis et à d'anciens Taliban ralliés.

Au coeur des institutions, la fronde grondait contre la Présidence. Les Iraniens se saisirent de cette opportunité. A la fin de l'année 2006, selon nos informations, ils exercèrent une forte pression sur Oustad Burhanuddin Rabbani, chef du Jamiat-i-Islami (3) et l'un des principaux leaders de l'ancienne Alliance du Nord. Or Rabbani, Président d'Afghanistan de 1992 à 1996 et chassé du pouvoir par les Taliban, s'estimait spolié par Karzaï d'une position qui, à ses yeux, lui revenait de droit. Il vivait si mal sa marginalisation politique, que ce fut un jeu d'enfants, pour les Iraniens, de le faire basculer dans leur camp.

Burhanuddine Rabbani (sept. 2007) Burhanuddine Rabbani

Il y avait néanmoins un prix à payer : une association politique avec les chiites de l'ayatollah Mohammad Asef Mohseni. Et là, il faut mesurer le poids de la puissance de conviction iranienne.

En Afghanistan, les membres de la minorité hazâra de Mohseni sont méprisés à double titre : en tant qu'ethnie et en tant que chiites. De plus, dans un monde musulman où, de l'Irak au Liban, la tension monte entre sunnites et chiites, cette alliance pouvait paraître impossible. Pourtant, chose a priori inimaginable, le 19 janvier dernier (2008), jour de l'Achoura (4), on vit Rabbani assistant aux cérémonies chiites qui répugnent d'habitude tant aux sunnites.

En échange de son allégeance, Rabbani reçut beaucoup d'argent de Téhéran pour créer un nouveau parti, le Front patriotique. Au sein de celui-ci, il cherche à regrouper tous les mécontents. Pendant tout l'automne, sous son égide, des meetings se sont déroulés dans les villes principales, regroupant d'anciens résistants déçus de ne pas recevoir plus d'argent des États-Unis.

Des propos anti-occidentaux, critiquant l'action des forces de l'OTAN et demandant son départ, ont alors été tenus.

Début novembre 2007, une équipe d'Iraniens arrivait à Kaboul pour installer une nouvelle chaîne de télévision, Nour TV, offerte par Téhéran à Rabbani. Vers le 15 du même mois, cette équipe partait dans le Takhar et le Badakhshan, deux provinces du nord où Rabbani est très implanté politiquement, afin de poser des antennes de retransmission. Pendant le voyage, des membres de l'équipe ont distribué du matériel de propagande dans un réseau d'écoles religieuses sunnites financées par l'Iran.

Enfin, à la fin du mois de novembre, nous apprenions l'installation à Kaboul d'une branche de l'Université iranienne de technologie.

Ce n'est pas tout. D'après des personnalités locales proches du Président Karzaï, des mouvements iraniens ont été signalés dans le sud et l'est, dominés par l'ethnie pachtoune et minés par la guérilla des Taliban.

Selon ces informations, des médecins iraniens fourniraient des soins gratuits à la population. Plus critiquables, des livraisons d'armes et de munitions parviendraient dans les provinces insurgées à travers la frontière iranienne. Il reste néanmoins difficile de dire si ce trafic se fait avec ou sans l'assentiment des autorités iraniennes.

Il faut ajouter que Téhéran nourrit un intérêt particulier pour les provinces du nord de l'Afghanistan. Celles justement où Rabbani jouit de la meilleure assise politique. Or, cette région forme une longue plaine joignant l'Iran aux républiques d'Asie centrale. Par cette voie, on accède aussi à la Chine. Nous évoquons ces points en raison de propos entendus au mois de décembre 2007, dans une conférence organisée par un institut de recherche iranien. Un intervenant avait évoqué la possibilité pour l'Iran de servir de relais ferroviaire entre la Chine et l'Europe. Un tel axe passerait obligatoirement par les plaines du nord de l'Afghanistan.

Dans cette région du monde, l'Iran entend jouer un rôle essentiel, cependant, ses ambitions sont loin d'être en cohérence avec les aspirations de l'Occident. Afin de réaliser ses plans, Téhéran souhaite le départ des forces de l'OTAN et des Américains. Pour y parvenir, il mine politiquement les positions de Karzaï, s'appuyant sur les mécontents et, discrètement, encourage les Taliban sur le terrain militaire.

Ou bien nous voulons faire de l'Afghanistan un pôle de stabilisation de la région, et il faut accepter d'en payer le prix économique et militaire. Ou bien il vaut mieux partir le plus rapidement possible, parce que l'Iran, lui, décidé à rester, en paye le prix.

Alain Chevalérias

 

Notes

(1) " Le Royaume de l'insolence ", chez Flammarion, publié en 1984.
(2) Le dari est une variété du persan, parlé en Afghanistan, plus proche de l'ancienne langue et moins pénétrée par les locutions arabes.
(3) Le Jamiat-i-Islami, était l'un des principaux partis combattant l'occupation soviétique. Le Ct Massoud appartenait à ses rangs et le Jamiat doit beaucoup à l'Occident.
(4) L'Achoura commémore la mort du troisième Imam chiite, Hussein, tué à Kerbala par les sunnites en 680 de l'ère chrétienne. Pendant les célébrations, les chiites s'auto-flagellent jusqu'au sang en scandant le nom d'Hussein.Chiite célébrant Achoura s'infligeant des blessures sanglantes
 
 
 
 
Un chiite célébrant Achoura à Nadjaf, en Irak.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

Lire aussi: Les ambitions impériales de l'Iran

 
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