VLADISLAV SURKOV, L'HOMME À TOUT FAIRE DE POUTINE

En décembre 2006, Le Monde a soudain laissé la bride sur le cou à ses collaboratrices, spécialistes des questions russes. Le résultat en fut deux grandes pages sur la quinzaine d'oligarques et de " siloviki " (anciens officiers des services de sécurité et du contre-espionnage) groupés autour de Vladimir Poutine depuis deux ou trois ans. Des pages révélatrices, à conserver pour suivre l'évolution interne et externe du pouvoir au Kremlin. Manquait cependant un personnage de premier plan Vladislav Surkov, 42 ans. Il tient le secrétariat du Maître, et inspire souvent ses décisions.


Dudaiev, alias Vladislav Surkov

Surkov s'appelle en réalité Dudaiev. D'origine tchétchène, il mérite qu'on s'attarde sur sa carrière sinueuse, jusqu'au moment où il s'est ancré dans l'ombre de Poutine, en tant qu'homme de confiance et chef de cabinet.

Son père était tchétchène, sa mère, russe. Il a adopté le nom de Surkov grâce à d'obscures combinaisons lorsqu'il est entré au collège à Moscou, afin de faciliter ses études à un moment où des campagnes de presse ne cessaient de qualifier les Tchétchènes de bandes de sauvages, dont l'antisoviétisme avait " justifié " la déportation massive par Staline.

Il faut dire que Poutine n'a pas été le dernier à manipuler le goût des Tchétchènes pour l'intrigue -- jusqu'à des oppositions sanglantes entre clans -- pour en arriver à déclencher ce qui fut appelé la deuxième guerre de Tchétchénie en 1999. Celle-ci survenait après la trêve négociée par le général Lebed, qui avait ramené la paix.

Un autre personnage entretenait à l'époque des relations directes et personnelles avec les Tchétchènes, Boris Berezovsky qui, sous Boris Eltsine, fut chargé du Conseil de sécurité russe. Surkov était alors frais émoulu de ses études et, tout en plongeant dans des groupes de rock (le plus connu se nommait Agata Kristi) fréquentait des oligarques ou futurs oligarques, comme les dirigeants de la banque Menatep.

Parmi ses amis, le créateur de Youkos, M. Khodorkovsky, qui purge actuellement une peine de sept ans de camp de concentration, sans jamais que son ancien condisciple ne lève le petit doigt pour atténuer son sort.
Autour de Khodorkovsky fourmillaient nombre de juifs connus dans le domaine des "affaires, " qui se réfugièrent plus tard en Israël ou à Londres, fuyant la hargne de Poutine et les accusations de malversations, détournements fiscaux et les intrigues politiques. L'un d'eux, en particulier, s'appelle Leonid Nevzlin, qui fut un moment le patron de Surkov à la Menatep. Surkov doit une part de sa fortune personnelle aux commissions, prises légalement ou non, sur les combines réalisées entre 1991 et 1999. Puis il rompit en 1996 avec Nevzlin (réfugié en Israël) sous prétexte que ce dernier lui refusait une augmentation de salaire. Déjà il s'était trouvé un autre protecteur : l'oligarque Mikhaïl Friedman, un des rares juifs encore en grâce auprès de Poutine.

Pendant ce temps, il faisait parallèlement son chemin dans le dédale d'une radio-télévision en plein essor. Il y intervenait très souvent pour ou contre certains oligarques, lorsque les chroniqueurs jetaient leurs noms en pâture aux médias.

En 1999, une cristallisation des hommes d'influence, soit oligarques, soit " siloviki, " servit de socle aux ambitions de Poutine qui, après dix mois de gestion du nouveau KGB (le SVR) s'empara des pouvoirs d'Eltsine et, en 2000, se fit confirmer à la présidence de la Russie.


La puissance d'un chef de cabinet

Vrai activiste, Surkov est à l'origine de la naissance des mouvements de jeunesse liés à Poutine et du parti Unité. Il a su déplacer les pôles d'influence dans la Douma et facilité l'intrusion des vétérans du KGB dans la politique. Il a réussi à convaincre les communistes du groupe parlementaire, important à la Chambre, de ne plus crier haut et fort leurs revendications. Il a aussi incité Dmitri Rogozine, le créateur du parti du Pays Natal de faire carrière. Mais lorsque Rogozine a connu trop de succès, il a personnellement ordonné que les médias (à 80% tenues par le Kremlin) cessent de parler de lui. Résultat sa cote dans l'opinion est tombée de 13 à 9% et, en 2007, à moins de 6%. Les partisans russes du marché libre ont de même été réduits à une influence zéro à la Douma, où ils n'ont plus aucun siège depuis les dernières élections. C'est dire la puissance du chef de cabinet qui, en moins de six années, a si bien pris en main les affaires intérieures, derrière Poutine, qu'il jouit de toute sa confiance, et sait en profiter.

Si Vladimir Dubov, un ancien associé de Khodorkovsky, a pu quitter la Russie et s'exiler en Israël, c'est avec la protection de Surkov, auquel Poutine doit d'avoir été réélu en 2004 devant un Parlement dont son secrétaire tire les ficelles et a accès à tous les dossiers.

Surkov agite sans cesse les prétendues ingérences des occidentaux dans la vie quotidienne des Russes. "L'ennemi veille à nos portes", déclarait-il récemment à un journal moscovite. C'est sur son injonction personnelle, que les services de sécurité harcèlent les " Organisations Non Gouvernementales " implantées en Russie, qui ont dû, pour la plupart, cesser leurs activités. Mais certains, tel Rogozine, ne pardonnent pas à Surkov de les avoir utilisés avant de leur tourner le dos. Ils cherchent les moyens de se venger.

Une petite guerre interne se développe autour de Poutine. Elle se greffe sur les rivalités entre oligarques et anciens du KGB et du GRU. Surkov a pris la précaution de s'assurer un siège dans l'administration de la société pétrolière Transneft, à l'ombre des dirigeants de Gazprom, Dmitri Medvedev et Aleksei Miller.

Il se dit à ce propos que Poutine, dont le mandat présidentiel expire en 2008, exigerait d'être alors couronné tsar de l'Énergétique. Un moyen de perpétuer sa puissance. Il retrouverait alors, dans les arcanes de Gazprom et de Transneft, son cher Surkov. Mais rien n'est encore joué dans un pays dont les mafias ont pénétré tous les rouages économiques, même si ces deux firmes majeures sont placées sous la garde de dix-sept anciens du KGB, introduits dans les bureaux directoriaux, à titre d'administrateurs.

Pierre de Villemarest

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com
 
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