Le Yémen sous tension

juillet 2011

Le 5 juin, Ali Abdullah Saleh, Président du Yémen, débarquait à la base militaire « King Khalid », en Arabie Saoudite. Blessé, visiblement à la face, peut-être au thorax, il était immédiatement transféré vers un hôpital. Les affrontements n’en continuent pas moins dans le pays où une partie de la population s’est soulevée, soutenue par des contingents de l’armée et quelques tribus, pour chasser Saleh du pouvoir. Une guerre civile dont les médias à grand tirage ne nous parlent pas. Le conflit a déjà pourtant fait environ 700 morts.


Dans les rues de Sanaa, avec le départ de Saleh, néanmoins, les combats s’arrêtaient. La foule envahissait les rues sous une forêt de drapeaux. Un cessez-le-feu était conclu entre les forces loyales au régime et la confédération tribale des Hashed. Les membres de cette confédération ne cachaient pas leur fierté. Quelques heures plus tôt, ce serait une roquette tirée par leurs hommes qui, d’un coup, avait décapité le pouvoir en place, blessant gravement le Premier ministre et les présidents des deux chambres, en même temps que Saleh. Ils étaient en prière dans la mosquée du palais présidentiel.

La crise se développe depuis la fin du mois de janvier 2011, prenant racine dans les difficultés économiques croissantes de la population. À partir du mois de mars, les manifestations gagnaient en ampleur, réclamant le départ immédiat du Président. Il répondait par la force, et allait causer la mort de plusieurs centaines de personnes.

Inquiet des risques de désordre dans un pays avec lequel elle partage des frontières, l’Arabie Saoudite, passant par le CCG (1), a proposé un plan de sortie de crise et le départ de Saleh. Par trois fois ce dernier a refusé d’y souscrire. Aujourd’hui, bloquant la situation, il s’oppose à la création d’un gouvernement d’union nationale tant qu’il ne sera pas rentré au pays.
Ce dernier a un passé agité et, plus encore que la Libye, jouit de conditions favorables à une implosion.

A la veille de la Première Guerre mondiale, le futur Yémen était partagé entre le Sud, avec le port d’Aden, sous contrôle britannique, et le Nord, rattaché à l’empire ottoman, sous l’autorité d’un imam zaydite, une branche de l’islam chiite.

En 1962, une République a supplanté l’imamat au Sud tout en gardant une politique conservatrice, tandis que le Nord, accédant à l’indépendance en 1967, prenait une orientation marxiste.

Après une guerre civile au Sud et des affrontements armés entre les deux Yémen, en 1990, les deux parties du pays finirent par s’unir sous le gouvernement de Saleh. Ce dernier dirigeait jusque-là le Nord, dont il avait été élu Président en 1978. De confession zaydite, il appartient à la famille dominant la confédération des Hashed, l’une des deux principales organisations de tribus du Yémen et celle-là même qui, comme nous l’avons vu, se rebellant, veut le chasser du pouvoir.

Impitoyable, en 1978 il ordonna l’exécution de 30 officiers accusés d’avoir comploté contre lui. Il sait néanmoins faire preuve de souplesse quand les circonstances l’imposent. Ainsi, après avoir fonctionné dans un univers marxisant, il s’est rapproché de l’Arabie Saoudite et de l’Occident. Il reste néanmoins difficile à manier pour ses alliés. Ainsi, dans les années 90, opposé à l’intervention américaine dans la région, il afficha un soutien déterminé à Saddam Hussein.

On ne peut pas nier l’habileté de l’homme pour conserver le pouvoir dans un pays aussi difficile que le Yémen pendant 33 ans.
D’une part, il a dû faire face à la turbulence des tribus. Armées, y compris de quelques équipements lourds, elles pratiquent le banditisme et, depuis leurs repaires montagneux, se livrent au kidnapping d’étrangers pour obtenir des rançons.

Al Chehri, saoudien d'Al Qaeda au YémenD’autre part, Saleh était menacé sur deux flancs. Sur le premier, il était confronté aux agitateurs zaydites, le mouvement dit des Houthis, soutenu par Téhéran. Sur le second à des éléments d’Al-Qaïda, installés dans le Sud. Retrouvant dans l’univers tribal de cette région, comme en Afghanistan et au Pakistan, les conditions idéales de l’implantation d’une guérilla, les hommes de Ben Laden y ont fondé l’AQPA (Al-Qaïda dans la Péninsule arabique). (photo: Al Chehri, saoudien d'Al Qaeda opérant au Yémen)

Profitant du désordre, quelques jours avant hospitalisation de Saleh, les hommes d’Al-Qaïda sont parvenus à s’emparer de la ville de Zinjibar, à une soixantaine de kilomètres au nord-est d’Aden, la capitale. Depuis, ils s’étendent vers d’autres agglomérations et l’armée ne parvient pas à reprendre le terrain.

Au Yémen, il faut craindre le pire. Al-Qaïda peut s’emparer des institutions de l’État, se donnant les attributs de la légitimité, dans un pays, de plus, dont est originaire la famille de Ben Laden. Un dangereux symbole. La guerre apparaîtrait alors comme la seule solution.

Note

(1) CCG : Conseil de Coopération des États du Golfe. Structure régionale regroupant les monarchies arabes de la région.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 
 
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