HISTOIRE
La mémoire serbe

De manière réductrice, en Occident, quand on pense à la mémoire de la Serbie, on évoque la bataille de Kosovo Polje, le Champ des Merles, en 1389, au cours de laquelle les Ottomans défirent les Serbes et conquirent leur terre. Le prince Lazar, tué pendant les combats, apparaît comme une figure héroïque de l’histoire de ce peuple, depuis élevé au rang de saint martyr de l’Église orthodoxe. La bataille de Kosovo Polje, qui se tint au Kosovo justement, constitue un événement central de la saga serbe. Un jour, peut-être comprendra-t-on à quel point la perte du Kosovo est une blessure aussi vive pour les Serbes que celle de l’Alsace-Lorraine en 1870 par les Français.
Mais, aujourd’hui, autre braise mal éteinte de l’Histoire, en Serbie, la Seconde Guerre mondiale s’impose à l’actualité.

Jovo Kapicic était un général des Partisans communistes pendant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, il se voit confronté à des difficultés croissantes pour les exactions qu’on l’accuse d’avoir commises contre d’autres résistants.

Il faut retourner 70 ans en arrière pour comprendre. Au printemps 1941, les Allemands ayant envahi la Yougoslavie pour soutenir les Italiens engagés en Grèce, le colonel Draza Mihailovic (ou Mihajlovic) entreprit d’organiser les groupes spontanés de résistants serbes qui se constituaient au nom du roi parti en exil.

Près de 46 000 hommes le rejoignent. On les appellera les « Tchetniks ». Quelques semaines plus tard, une autre résistance se constitue. Elle est dirigée par Josip Broz, dit Tito, un communiste ancien agent de recrutement des Brigades internationales qui ont combattu contre les troupes de Franco en Espagne. Ses volontaires prendront le nom de « Partisans ».

Au début, les alliés soutiennent Mihailovic. Mais, à partir de la fin de 1943, convaincu par Tito, Winston Churchill décide de concentrer ses efforts sur les seuls Partisans et de lâcher Mihailovic. Estimant que les Soviétiques s’empareraient de la région, contre l’avis de De Gaulle qui dénonce une trahison, il estime plus profitable pour l’avenir de soutenir le camp communiste en Yougoslavie.

 

 

Draza Mihailovic, il s’était lié avec un jeune officier du nom de Charles De Gaulle lors de son passage à l’École militaire à Paris.

 Draza Mihailovic
Afin de se débarrasser de concurrents gênants, Tito, dans le même temps, accuse les Tchetniks de collaboration avec les nazis. En 1944 et 1945, grâce à l’aide des Soviétiques et des puissances occidentales, les communistes libèrent le pays et, sans attendre, se lance à la chasse des Tchetniks.

Le 12 mars 1946, Mihailovic est capturé. Du 10 au 15 juillet, le régime organise un procès de collaborateurs serbes ayant appartenu au gouvernement soutenu par les nazis. Contre toute logique, Mihailovic figure parmi les accusés. Il est déclaré coupable et fusillé le 17 juillet.

De Gaulle n’oubliera pas. À la tête de l’exécutif français, il se fera porter pâle à chaque fois qu’une visite officielle sera programmée en Yougoslavie. Quand Tito viendra en France, il partira en vacances pour l’éviter.

Jovo Kapicic, est considéré comme l’un des responsables de l’arrestation de Mihailovic. Ce n’est pas tout. Une certaine Mira Mandic l’accuse d’avoir ordonné le meurtre de six Tchetniks en 1947. Parmi eux, son père, Miljan Mandic, un ancien juge sous la monarchie. Kapicic, de ses propres aveux dans un livre, aurait lui-même posé la charge d’explosif destinée à faire effondrer la grotte où se terraient les victimes.

La vieille dame raconte : les hommes de Kapicic, alors ministre de l’Intérieur du Monténégro, « nous ont obligé à rester 24 heures dans la neige... Avec ma soeur, ma mère et ma grand-mère, nous leur avons servi de boucliers humains ».

Kapicic, aujourd’hui âgé de 92 ans, dit avoir été agressé pour des raisons « politiques et historiques », le 12 décembre dernier dans le centre de Belgrade. « J’ai été proclamé ennemi du peuple serbe », déclare-t-il. Il a décidé de chercher refuge au Monténégro, son pays natal. Les fantômes du passé on la vie longue en Serbie... Et les Serbes n’oublient pas ! Nous serions bien inspirés d’en prendre conscience.

Jean Isnard

 

Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001
www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

Retour Menu
Retour Page d'Accueil