Deuxième clef, l'histoire du Rwanda et du Burundi.
Colonisés par les Allemands, ces deux petits pays
passent sous mandat des Belges pendant la Première
Guerre mondiale. Ces derniers, comme leurs prédécesseurs,
pratiquent le gouvernement indirect, laissant l'aristocratie
tutsie administrer la population hutue. Montrant la même
préférence et renforçant le choix du colonisateur,
les écoles de missionnaires ouvrent largement les écoles
aux jeunes Tutsis, ne recevant qu'une très faible
proportion de Hutus (3).
Cependant, sous les pressions des
Nations Unies, dès 1952, l'introduction
de la démocratie ébranle les structures féodales
des deux petits pays et éveille les ambitions politiques
des Hutus. Puis, en 1962, le Rwanda et le Burundi
accèdent à l'indépendance.
En 1966, au Burundi,
l'avènement de la République voit le maintien au
pouvoir des Tutsis dans l'armée et dans les structures
politiques. Aussi, même s'ils ne représentent que
19% de la population, longtemps ils parviennent à se maintenir
à la tête du pays. Cette situation, génère
de nombreux et sanglants affrontements interethniques, dont sont
victimes tour à tour Hutus et Tutsis. Il
faudra attendre 2005, pour qu'un Président hutu,
élu par le plus grand nombre, finisse par s'installer
fermement au pouvoir.
Au Rwanda,
en revanche, en 1961, à la suite de plusieurs révoltes
des Hutus contre les Tutsis, la monarchie est renversée
et la République proclamée. Les Hutus, qui
forment 85% de la population, élisent alors un
Président de leur ethnie. Affolée, la minorité
tutsie s'exile, principalement en Ouganda, où elle
s'organise en guérilla et effectue des raids contre le
Rwanda.
C'est dans ce contexte que le Président
Valéry Giscard d'Estaing signe un accord de coopération
militaire au nom de la France avec ce pays en 1975. Cependant,
la tension ne cessant de croître entre les deux ethnies,
les pogroms répondent aux agressions. Puis, en 1987,
les Tutsis créent le FPR (Front patriotique
rwandais) et, toujours à partir de l'Ouganda, le 1er
octobre 1990, lancent une importante offensive contre le
Rwanda où, dans le nord, ils parviennent à
établir des bases.
La pression du FPR fouettant
le ressentiment des Hutus contre les Tutsis, une campagne de
haine organisée par le gouvernement trouve un terrain
fertile à travers tout le Rwanda. Résultat,
quand Juvénal Habyarimana (4),
le président hutu, est tué le 6 avril 1994
dans un attentat, un déferlement de violence s'empare
du pays pour prendre la forme d'un génocide anti-Tutsis.
Cette vague de meurtres fait de 800 000 à un million de
victimes, incluant des Hutus dits modérés.
Néanmoins, synchronisant une
nouvelle offensive avec les événements, le 4
juillet 1994, le FPR tutsi s'empare de la capitale,
Kigali, et s'impose par la force des armes à la
tête du pays.
Des Hutus, qualifiés
sans distinction de " génocidaires ",
se replient alors vers le Zaïre, future RDC
(1),
où à leur tour ils s'organisent en guérilla.
Au Rwanda, le chef du FPR, Paul Kagame, prend habilement
le titre de vice-président, laissant la magistrature suprême
à un Hutu, le pasteur Bizimungu, derrière
lequel il exerce la réalité du pouvoir. Pas pour
longtemps cependant.
En mars 2000,
Paul Kagame force Bizimungu à la
démission et se fait élire Président à
sa place par le Parlement. Puis, en avril 2002, il le
jetteen prison sous l'accusation " d'incitation à
la violence ". Au cours d'un interview accordée
à " Jeune Afrique " (5),
parlant des Hutus et des Tutsis, le malheureux avait eu le tort
de dire : " Chaque fois que l'un des groupes s'empare
du pouvoir, il essaie d'écraser l'autre. Jusqu'à
ce que ce dernier prenne sa revanche. Nous pensions qu'avec le
FPR les choses allaient changer, nous avons été
déçus ".
PAUL KAGAME
Le parcours du nouveau maître
du Rwanda est lourd de signification politique. Né
en 1957, quand il a deux ans, il quitte son pays pour
l'Ouganda avec sa famille afin d'échapper aux violences
ethniques. A 22 ans, il part pour l'Ouganda, où
il rejoint les forces d'un certain Yoweri Museveni, le
chef d'une guérilla, qui lutte alors contre Idi Amin
Dada, l'ubuesque Président du pays (6),
avant de retourner ses armes contre les successeurs de celui-ci.
En 1986, Museveni finit par devenir Président
de l'Ouganda, position à laquelle il s'est maintenu jusqu'à
aujourd'hui. Comme beaucoup de Tutsis rwandais en exil, Kagame
l'accompagne dans son succès, et devient le patron
des renseignements militaires ougandais.
Il pourrait continuer une carrière
ougandaise mais le sort et Museveni en décident autrement.
En 1990, le chef du FPR, la rébellion tutsie du
Rwanda, meurt au combat. Kagame est alors en stage de formation
militaire aux États-Unis. Museveni le rappelle
et l'impose à la tête de la guérilla. Il
s'y maintiendra et, comme nous l'avons vu, suivant le modèle
de son parrain, finira par devenir le Président du
Rwanda.
LAURENT NKUNDA
Ensanglantant l'est du Congo, les
événements décrits au début de cette
page s'inscrivent dans la logique de l'expansion des Tutsis et
de leurs alliés. Laurent Nkunda apparaît
comme un marqueur de celle-ci.
Né le 2 février
1967 au Zaïre (1), il descend des Tutsis arrivés du
Rwanda dans la province du Kivu, au XIXème siècle,
au cours de leur poussée vers l'ouest. Au début
des années 90, il rejoint le FPR de Kagame, en Ouganda,
et fait ses premières armes avec lui.
En 1994,
après la prise de pouvoir de Kagame au Rwanda,
Nkunda sert pendant deux ans dans l'armée rwandaise.
En bref, aux côtés de son mentor, il a suivi un
itinéraire identique à celui de ce dernier derrière
l'Ougandais Museveni.
Puis il combat au Zaïre
avec les Tutsis de ce pays contre Mobutu (7).
On le comprend en mission pour le nouveau Rwanda. Plus
tard, en 1998, on le signale organisant la rébellion
tutsie contre le nouveau maître de la RDC (1),
Laurent Désiré Kabila.
Le Rwanda,
coeur d'un empire en expansion
Depuis,
à travers l'instabilité entretenue dans la région
par les pays voisins, Nkunda n'a jamais cessé de
mener des opérations militaires en RDC, dans le
nord du Kivu. Il porte pourtant le grade de général
de l'armée congolaise, acquis à l'occasion d'un
accord de paix resté lettre morte. Plus grave, accusé
de crimes de guerre, depuis 2005, il est sous le coup
d'un mandat d'arrêt international.
UNE COALITION ANGLOPHONE
L'héritage colonial avait
fait du Rwanda et de son jumeau, le Burundi, des pays
francophones. Aujourd'hui, on s'étonne d'y voir l'anglais
se substituant à la langue française.
Ce n'est pas tout. Museveni, l'Ougandais, se présente
comme un évangéliste du mouvement " born again
". Nkunda, le Congolais, se déclare lui aussi
de la mouvance évangéliste et porte à l'épaule
un insigne sur lequel on lit en anglais " Rebelles pour
le Christ ". Il dit avoir converti ses troupes à
la même foi.
Déjà, en Côte
d'Ivoire (8), au Bénin, au Togo et ailleurs, nous
avons vu l'instrumentalisation de ce courant religieux, venu
des États-Unis, au service des intérêts de
Washington et de Londres. La saga expansionniste des Tutsis
dissimule mal les appétits anglo-saxons. Mais pourquoi
cet intérêt pour une région enclavée,
dont les habitants ne tirent qu'un maigre revenu ?
Il faut savoir la zone des affrontements,
le Kivu, riche en minerais de haute valeur stratégique.
On y trouve de l'or, du cobalt, du tungstène, de l'antimoine,
du thorium et autres métaux.