DROIT DE RÉPONSE
À RENAUD GIRARD

février 2006

 Je n'ai rien contre vous Renaud Girard. Vous avez mené votre carrière refusant de vous inféoder aux courants de pensée. En outre, j'ai partagé votre surprise et votre inquiétude pour le futur, quand, à Belgrade, au printemps 1999, au pied de l'ambassade, nous étions témoins de l'attaque américaine contre la représentation diplomatique chinoise.

 Concernant votre article du 7 février 2006 publié dans " Le Figaro, " sous le titre " Y aurait-il en islam deux poids deux mesures dans l'indignation ? " vous me permettrez, j'en suis sûr, de vous faire part de mon opinion.

Dans votre papier, vous évoquez l'affaire des caricatures de Mahomet et des débordements qu'elles ont provoqués de la part de certains musulmans.

" ... Pourquoi ces musulmans de Belgique n'ont-ils jamais manifesté auparavant sur des sujets autrement importants ? Dites vous. Les a-t-on vus dans la rue pour exprimer leur rejet de la pensée de Ben Laden après les attentats du 11 septembre ? "

Vous avez raison. Mais " a-t-on vu " beaucoup de communistes défilant dans les rues pour demander la fermeture des goulags soviétiques ? De juifs hurlant leur colère pour critiquer les excès israéliens ? Dans les années 90, de Serbes, de Croates ou de Bosniaques dénonçant les crimes de leurs autorités respectives ?

" Y aurait-il, en islam, deux poids, deux mesures dans l'indignation ? " Vous interrogez-vous en constatant la colère sélective des musulmans.

Sans doute convient-il de le leur dire. Mais à condition de manifester la même exigence à l'égard de tous les autres groupes humains, y compris de nous-mêmes.

Or, justement, en matière de comportements gouvernés par le principe du " deux poids deux mesures, " aux yeux des musulmans, nous ne sommes guère plus brillants. En 2003, les Anglo-Saxons ont attaqué l'Irak l'accusant de ne pas se soumettre à une résolution des Nations unies sur les armes de destruction massive. A l'arrivée, point de bombe atomique ni d'ogives chimiques. Mais qu'importe !

Nous connaissons pourtant un pays, né des faveurs des Nations unies, qui depuis 1948, refuse d'appliquer des centaines de résolutions de l'organisation internationale le concernant. Israël. Citons l'une d'elles, la Résolution 242, émise le 22 novembre 1967 par le Conseil de sécurité. " Soulignant l'inadmissibilité de l'acquisition de territoire par la guerre, " elle demandait " le retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés. "

Quand il s'agit de l'Irak s'emparant du Koweït par la force des armes, les Résolutions des Nations unies deviennent exécutoires six mois après. Entre parenthèses, en 1991, contre Saddam, nous avions raison. Mais quand Israël, au regard du droit international, occupe indûment des territoires, en quarante ans nous n'avons rien fait de plus qu'émettre de vertueuses déclarations.

Voyez combien, cher Renaud Girard, en matière de " deux poids, deux mesures dans l'indignation " et les prises de position, nous prêtons, nous aussi, flanc à la critique. Or, soyez-en convaincu, en plus de la bonne conscience excessive des musulmans, cela est aussi une cause de leurs excès.

Je parlerai moins des textes produits par Alexandre Adler et François Burgat.

Adler, dans " Le Figaro " du 2 février, a publié un article baptisé " Le Hamas et l'influence des Frères musulmans. " Il s'y fait l'avocat d'une " solution pakistanaise. " Dans un pays comme l'Égypte, selon ses explications, la cooptation par le pouvoir en place des " Frères musulmans." Pour tout arranger, si Hosni Moubarak ne peut mener à bien la tâche, sous la férule d'une main de fer, celle d'Omar Suleïman, le chef des Services de renseignement.

Quant à Burgat, répondant à une interview dans " Le Monde " daté du 14 janvier, il affirme " que les Frères (musulmans) sont bel et bien des vecteurs de la modernité de leur société... "

Adler est un compagnon de route du sionisme. Burgat un chercheur adulateur de l'islamisme.

Étonnant de les voir se rejoindre ponctuellement dans une vision promotionnelle des Frères musulmans !

Mon cher Renaud Girard, je crains votre rejet trop global de l'ensemble musulman ne servir que les aspirations antinomiques, d'Adler et Burgat. Pour le premier la montée de l'animosité avec les musulmans, donnant à Israël l'occasion de tailler un peu plus dans les terres de ses voisins. Pour le second, en pamoison devant l'objet de ses recherches, la soumission de l'Orient à l'intégrisme.

Voilà pourquoi, avec mes amis, nous prônons une solution de justice et refusons partout le " deux poids, deux mesures. " Du coup, nous nous retrouvons pris entre deux feux. Situation inconfortable, mais aujourd'hui, à nos yeux, la seule tenable au regard de nos principes.


Alain Chevalérias

est consultant au:

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis de 11 septembre 2001

 

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