L’ART DE COMBATTRE
LE TERRORISME

mai 2010

Le 2 mai 2010, un commando américain attaquait la maison où se cachait Oussama Ben Laden depuis plusieurs années sur le sol du Pakistan. En déplacement dans le Golfe arabo-persique, nous avons écouté les réactions émanant de ressortissants pakistanais et de la population musulmane en général. Dans leur grande majorité, nos interlocuteurs suspectent l’opération de n’être qu’une mascarade. Certains vont jusqu’à croire Ben Laden décédé depuis longtemps. D’autres évoquent l’utilisation possible d’un sosie ou pensent le chef d’Al-Qaïda retenu dans une geôle de la CIA. Tout cela parce que la communication de Washington, se contredisant par ailleurs à plusieurs reprises, n’a pas eu l’habileté de produire des preuves convaincantes de la mort de leur cible. Que ce soit des photos ou une analyse ADN réalisée par un laboratoire indépendant. Mais il y a plus grave : les Américains, une fois de plus, ont violé le droit international en menant une opération sur le sol d’un État souverain, sans l’accord de celui-ci.

Si l’armée mexicaine ou celle du Canada lançaient une opération sur le territoire des États-Unis, sans l’accord de la Maison Blanche, pour capturer, voire éliminer, un terroriste recherché par Ottawa, pire par Mexico, on sait comment Washington répliquerait : au moins en déposant une plainte auprès des Nations Unies, peut-être même en lançant des représailles.

Il est vrai, les Américains n’ont pas beaucoup à craindre de l’armée pakistanaise. D’une part parce qu’elle dépend de leurs subsides. D’autre part en raison de la disproportion des forces. On comprend-là, dépassant la loi internationale, une autre plus réelle, celle du plus fort.

Certes, les États-Unis ne sont pas seuls à se croire tout permis. Sous leur parapluie, Israël recourt aux mêmes pratiques. On se souvient de l’assassinat par le Mossad d’un responsable de Hamas, le 20 janvier 2010, sur le sol des Émirats, à Dubaï. Ou, le 19 février dernier, de la capture de Dirar Abou Seesi en Ukraine. Cet ingénieur palestinien est depuis détenu en Israël, où les autorités interdisent la publication d’informations sur les raisons de son enlèvement. Pourtant, l’État hébreu n’est en guerre ni contre les Émirats, ni encore moins contre l’Ukraine.

Certes, à chaque fois, et encore conconcernant le raid mené contre Ben Laden, les attaquants peuvent se prévaloir de la nécessité du secret pour donner toutes les chances de succès à leur opération. Mais l’efficacité doit-elle prévaloir sur le droit ? Un juriste répondra non, un militaire sera tenté de répondre oui.

Au premier réflexe, ce dernier semble avoir raison, puisqu’il apparaît comme l’un des garants de la sécurité. Mais c’est oublier que le droit est d’abord là pour protéger les plus faibles des excès des plus forts. Il est donc, lui aussi, une garantie de sécurité.

Les Américains, et leurs amis israéliens, devraient y songer. Aujourd’hui, les États-Unis n’ont pas d’adversaire militaire de taille. Mais il ne nous semble pas inimaginable que, s’affaiblissant économiquement, ils ne se retrouvent un jour dépassés par la Chine. Comment pourront-ils faire appel au droit international, pour les protéger des excès de Pékin, quand eux-mêmes auront violé ce droit ? Allant plus loin, toujours produit d’une imagination débridée mais non-point délirante, allons jusqu’à envisager un soutien des Chinois, devenus première puissance mondiale, aux Arabes, principaux fournisseurs du pétrole, dont les usines de l’Empire du Milieu sont assoiffées. L’État juif, lui aussi, se retrouverait exposé.

Si, dans le temps présent, nous préparons les règles et pratiques de demain, on comprend à quel point le plus fort s’expose, sur le long terme, en appliquant, aujourd’hui, ses propres règles.

Ce n’est pas tout. Peu de musulmans, encore moins de Pakistanais, mêmes opposés aux menées terroristes de Ben Laden, n’acceptent cette violation délibérée du sol pakistanais. Agissant comme ils l’ont fait, les Américains donnent des arguments aux mouvements djihadistes. En effet, quand les puissants ne respectent pas le droit, il est facile d’affirmer que le terrorisme, réponse du faible au fort, reste le seul argument possible.

Ainsi, étrangement, voit-on un succès contre la terreur, l’élimination de Ben Laden, venir au résultat renforcer ce qu’il voulait combattre.

En matière de relations internationales, comme de lutte contre le terrorisme, il est dangereux de privilégier l’efficacité immédiate. Si les Américains ont raison de combattre une nuisance criminelle, ils ont trop souvent tort dans leurs méthodes. Il conviendrait que leurs alliés, principalement occidentaux, le leur disent. Mais qui, parmi eux, aura la clairvoyance et le courage nécessaires ?

Alain Chevalérias

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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