|
mars 2011
Les attentats islamistes revendiqués
par Al-Qaïda se multiplient à travers le monde. Certains
vont jusquà voir dans ces attaques un vaste complot
mis en place par la CIA. Dautres refusent lexistence
dune organisation baptisée Al-Qaïda et croient
les structures agissantes déconnectées, mais se
réclamant du même centre pour mieux impressionner. Alain Chevalérias |
Il faut faire un retour sur lHistoire. Dans les années 80, les États-Unis, inquiets de la pénétration soviétique en Afghanistan, soutinrent la résistance locale à loccupation. Puis, dans lidée de susciter un mouvement de masse contre le communisme dans le monde arabe, ils décidèrent de pousser les organisations islamistes, principalement les Frères musulmans, à participer aux combats contre lArmée rouge. Cheikh Abdullah Yusuf Azzam, Frère musulman et Palestinien enseignant en Arabie Saoudite, devint un acteur essentiel du projet américain. Dès 1980, il avait envoyé en reconnaissance lun de ses élèves, Oussama Ben Laden, à Peshawar, une agglomération pakistanaise qui servait de base arrière à la résistance afghane. Petit à petit, le projet prit forme, avec laide des autorités saoudiennes, pourvoyeuses de fonds, et des services pakistanais, eux-mêmes chaperonnés par la CIA. Depuis les années 70, les Américains avaient créé un camp, à Cherat, à 40 km au sud-est de Peshawar. Ils y formaient des hommes, issus de 70 nationalités différentes, à la guérilla pour susciter une résistance dans leurs pays respectifs, en cas de tentative de pénétration soviétique ou de coup de force communiste. Par Cherat passèrent des milliers dAfghans et, semble-t-il à partir de 1983, les volontaires islamistes arabes. Jai été le premier journaliste à témoigner de larrivée de ces derniers dans les maquis afghans dès 1984. Ben Laden faisait partie de cet environnement arabe qui profitait de laide des États-Unis. Néanmoins, il ne semble pas avoir eu de rapports personnels et continus avec les Américains. Azzam, sinstalla à Peshawar en 1983 ou en 1984 et créa une structure daccueil pour les volontaires, sous le nom de Maktab Al-Khadamat (Bureau des services). Comparé à Ben Laden, il professait néanmoins une idéologie moins radicale. On ne sait ce qui se passa entre les deux hommes, mais le 24 novembre 1989, Azzam fut assassiné à Peshawar dans un attentat dont on na jamais identifié les auteurs. De mes différents contacts avec les uns et les autres, jai tiré la conclusion que les Américains croyaient maîtriser et canaliser le processus mis en route. Cependant, détenteur dune immense fortune, à la mort de son maître, Ben Laden prit la direction du « Maktab » avec son lieutenant Ayman Al-Zawahiri. A la même époque, les Soviétiques ayant quitté lAfghanistan, les Américains cessèrent de sintéresser aux volontaires arabes. Quant à Ben Laden, il rentra tout dabord en Arabie Saoudite avec quelques dizaines de combattants. Ben Laden en compagnie d'officiels au Soudan Parmi les mouvement signataires de cette déclaration de guerre, figurent le Jihad Islamique égyptien, du moins la faction dont Zawahiri a pris le contrôle, le Gamaa islamiya, lui aussi égyptien, le Jamiat-e-Ulema-e-Pakistan, le Harakat Ul-Jihad-e-islami du Bangladesh et lorganisation terroriste Abou Sayyaf des Philippines. Le texte apparaît sans ambiguïté. Il affirme : « Tuer les Américains et leurs alliés, quils soient de simples citoyens ou des militaires, est un devoir personnel pour tout musulman, partout où il peut y parvenir et où cela lui est possible... » Ben Laden ajoutait à cette recommandation : « Jusquà la libération de la mosquée Al-Aqsa et de la mosquée Al-Haram de leur mainmise ». La première est à Jérusalem, construite à lemplacement du temple juif détruit par les Romains. La seconde se trouve à La Mecque. Il sagit de la Kaaba, le centre des pèlerinages musulmans. La mosquée Al-Haram est selon lopinion de Ben Laden occupée par les Américains, ce qui est une vue de lesprit. Mais en se référant à Al-Aqsa, très habilement, même si ce nest pas sa préoccupation essentielle, il associe « sa » guerre à la colère ressentie par tous les musulmans au spectacle de larrogance israélienne à légard des Palestiniens. Il tente, par ce moyen, de faire entrer
tous les musulmans dans une paranoïa collective aux ressorts
sentimentaux. On appelle cela de la manipulation psychologique. A partir de 1998, année, comme nous lavons vu, de création du Front islamique mondial, la létalité des attaques monte dun cran. Deux voitures piégées explosèrent à proximité des ambassades américaines de Naïrobi (Kenya) et de Dar Es-Salam (Tanzanie). Elles firent 224 morts. Les images de télévision révélèrent des scènes dapocalypse. A ceux qui doutent de lexistence dAl-Qaïda, létude des comptes rendus des audiences des procès, quand ils ont eu lieu aux États-Unis, révèlent les liens entre les exécutants et lorganisation de Ben Laden. Jen ai lu certains qui sont accessibles au public. Or, lon nétait pas encore à lépoque de ladministration de George W. Bush et des méthodes illégales, basées sur la torture, pour obtenir des aveux. Le 15 octobre 1999, avec la distance et le temps de réflexion nécessaires au consensus, pour une organisation internationale, ce qui vaut garantie, par la résolution 1267, le Conseil de sécurité des Nations Unies créa un Comité chargé de promouvoir la lutte contre Al-Qaïda. Puis, le 12 octobre 2000, au Yémen, une attaque suicide des hommes de Ben Laden contre un destroyer américain, tua 17 militaires. Enfin, le 11 septembre 2001, date fixée dans les mémoires de toute lhumanité, avait lieu le plus spectaculaire carnage terroriste de lhistoire. Nourrissant le soupçon, des dissonances apparaissaient néanmoins entre les informations et certains faits. Dans notre rapport publié sur lAfghanistan (1), nous avons évoqué les questions qui se posent à propos du 11 septembre. Nous avons aussi présenté des preuves que les attaques sont le fait dAl-Qaïda. Il est possible que, sans en prévoir lampleur, certains éléments de la sécurité américaine et israélienne aient décidé de « laisser faire » pour disposer dune sorte de Pearl Harbour anti-islamiste. Mais croire la CIA capable de monter une telle supercherie sur plusieurs années, relève, à notre avis, du délire. Il serait vain, en quelques lignes, de vouloir prouver quAl-Qaïda est bien lauteur des attaques du 11 septembre 2001. Rappelons néanmoins quelques éléments de preuve sur lesquels nous avons travaillé et largement argumenté dans notre rapport (1).
Quant aux nombreux commentaires accessibles sur Internet, tendant à démontrer que le 11 septembre est le fruit dun complot mené de bout en bout par les Américains, ils ne tiennent pas la route. Sils soulèvent en effet des questions réelles et mettent en évidence les contradictions du discours officiel, ils sont partiels et utilisent des informations non vérifiées. Il ne suffit pas de faire une compilation de ragots pour monter un dossier. En outre, aujourdhui, la nuisance dAl-Qaïda apparaît bien réelle, même si on en exagère limportance. Le réseau lui-même nest constitué que de 200 à 300 hommes concentrés au Pakistan et en Afghanistan, auxquels sajoutent quelques centaines de personnes au statut de tâcherons. Il est en état de survie, subissant le matraquage de lOTAN et en particulier des « drones » (2). Cependant, dune part, Al-Qaïda dispose du soutien de ses alliés, en particulier des Taliban. Dautre part, elle envoie des chargés de mission en Arabie Saoudite, en Irak, au Yémen et ailleurs pour assurer la liaison avec des groupes islamistes locaux. On se trouve dans une autre situation quand une structure, comme lAQMI, dans la région sahélienne en Afrique, se réclame dAl-Qaïda. LAQMI (Al-Qaïda au Maghreb) est le prolongement des GIA, né en 1992 dans le contexte du soulèvement contre le pouvoir algérien. Il prit le nom de GSPC en 1998, puis dAQMI en 2007. Il est en partie pénétré par les services algériens qui le manipulent à leurs propres fins (3). Cest dabord lAQMI, en 2007, qui a revendiqué son appartenance à Al-Qaïda. Après coup, un message audio supposé émaner de Ben Laden a avalisé. Cela fait-il pour autant de lAQMI et dAl-Qaïda une même structure obéissant au même chef et cherchant à atteindre les mêmes objectifs ? Tout nous permet de dire non. Dabord parce que les liaisons sont difficiles entre les maquis pakistano-afghans et la région sahélienne. Mais aussi en raison de lindépendance de fonctionnement des Algériens, de lhistoire de leur mouvement et de sa pénétration par les renseignements de leur pays. Quant aux services
algériens, pratiquant un double jeu, ils se donnent de
lampleur, en se présentant aux yeux des crédules
comme la cible dune organisation terroriste aux ramifications
internationales tout en instrumentalisant son capital de terreur. Abdelmalek Droukdal Si on ne peut douter
de la réalité dAl-Qaïda, il existe aussi
une récupération du mythe à des fins de
manipulations de tous bords. Ceci, ajouté aux théories
fumeuses émises par des experts de salon, complique la
compréhension des faits. Cependant, malgré les
erreurs de Washington, il ne faut pas se tromper dennemi
! (1)Comment sortir du conflit afghan: Un
dossier de 70 pages, " pour expliquer pourquoi l'occupation
s'enlise et, surtout, tenter de donner des solutions pour, un
jour, le plus proche possible, sortir d'Afghanistan ".
Ce document est le résultat
de plusieurs années de travail d'Alain Chevalérias.
De retour d'un nouveau voyage en Afghanistan, il connaît
bien ce pays pour y a voir vécu plus de trois ans aux
côtés de la résistance, pendant l'occupation
soviétique. |
www.recherches-sur-le-terrorisme.com |