Le 23 octobre dernier (2017), Hassan Rohani,
le Président iranien, déclarait sur la télévision
d'État de son pays : " L'importance de la nation
iranienne dans la région (moyenne-orientale) est plus
forte qu'à toute autre période ". Il ajoutait
: " En Irak, en Syrie, au Liban, en Afrique du nord et
dans la région du Golfe persique, où peut-on mener
une action décisive sans tenir compte du point de vue
iranien ? " Certes, Rohani répondait aux propos,
la veille, de Rex Tillerson, le chef de la diplomatie américaine
en visite à Riyad. Celui-ci avait dit qu'un Irak fort
allait " permettre d'une certaine manière de contrecarrer
les influences négatives de l'Iran ". Les États-Unis
ont généré leur dose d'instabilité
au Moyen-Orient. Tillerson a néanmoins des raisons de
dénoncer la politique étrangère de Téhéran.
La
fâcheuse tendance des Perses à s'étendre
à l'ouest de leur espace remonte à l'empire achéménide,
du VIe au IVe siècles avant l'ère chrétienne.
À l'époque, ils s'étaient approprié
les territoires allant de la Mésopotamie à la Libye.
Défaits par le Grec Alexandre le grand, ils rebâtirent
leur empire sous la dynastie des Sassanides, à partir
du IIIeme siècle de l'ère chrétienne. Ils
s'étendirent à nouveau jusqu'à l'Égypte,
avant de devoir se contracter sur la Mésopotamie et les
terres arabes du sud du Golfe.
Cependant vaincus par les Arabes
au VIIe siècle, les Perses n'eurent alors
de cesse de reconstituer leur empire. Convertis à l'islam,
ils optèrent pour le chiisme. Puis, installant
en Perse le centre de cette religion, ils en firent un
instrument d'expansion politique. Sous ce prétexte, se
développèrent l'empire des Bouyides (Xe
et XIe siècles) et celui des Safavides (XVIe au
XVIIIe siècles). Cette prétention impériale
ne s'est pas affaiblie avec le temps, séduisant les classes
dirigeantes mais s'étendant aussi à tous les Perses,
rebaptisés Iraniens.
L'imam
Moussa Sadr
et la montée du Hezbollah
Les Libanais en sont témoins.
Dans les années 50, arrivait chez eux l'imam
Moussa Sadr. D'origine libanaise, il est né en Iran
et a poursuivi une partie de ses études à Najaf,
en Irak. Surtout, ce transnational était envoyé
au Pays du Cèdre par le shah d'Iran, Reza Pahlavi
en personne. Et non pas, comme certains le croient encore, par
la caste religieuse. Sadr avait pour mission d'organiser
la population chiite du Liban.
Moussa Sadr dans un camp
d'entraînement au Liban
Homme d'une grande culture, charismatique et
madré, avec subtilité il a préparé
le terrain pour le Hezbollah. Certains penseront qu'il
a agi inconsciemment. Nous n'en sommes pas convaincus, tant sa méthode ressemble
à celle utilisée ailleurs par le pouvoir de Téhéran. Il a d'abord pris la défense des chiites
les plus pauvres, en particulier dans le sud frontalier d'Israël.
Puis, en 1973, il a fondé pour eux le " Mouvement
des déshérités ", insistant
sur l'aide sociale aux plus démunis pour recruter. Enfin,
en 1975, il a créé la milice Amal
dont une partie sera à l'origine du Hezbollah,
né officiellement en 1985 à l'initiative
de l'Iran.
On retrouve cette volonté de
l'Iran d'étendre son influence, s'appuyant sur
les populations chiites, dans le reste du Moyen-Orient et
même en Afrique. Nous assistons à ce phénomène
dans l'est de l'Arabie Saoudite, au Bahreïn, en Afghanistan,
au Pakistan, en Égypte ou dans le reste
de l'Afrique du nord.
Chaque fois, le même cocktail
est utilisé : dogme chiite, action caritative
et révolution islamiste.
Néanmoins,
les chiites étant le plus souvent des minorités,
pour assurer leur emprise sur un pays, les Iraniens cherchent
aussi à embrigader des éléments sunnites.
Au Liban, ils ont favorisé la création des
" Saraya al-Muqawama " (brigades de la
Résistance) qui recrutent des sunnites pour combattre
aux côtés du Hezbollah. En Afghanistan,
nous les avons vus aller plus loin.
"Khomeiny nous voilà!",
slogan affiché
lors d'une fête du Hezbollah libanais
Séduction
des sunnites
La population y est à 20%
composée de chiites, pour la plupart des Hazaras.
L'Iran s'en est fait depuis longtemps ses clients. En
2008, à Kaboul, nous avons interviewé Ahmad
Shah Ahmadzai. Nous l'avions déjà croisé
pendant la guerre de résistance contre les Soviétiques.
À plusieurs reprises ministre, ce sunnite pachtoun avait
été chef du gouvernement en 1995 et 1996.
Au début des années
2000, il a été recruté par les Iraniens
pour créer un réseau de mollahs sunnites
dévoués à Téhéran,
avons-nous appris par d'autres sources. Chaque recrue recevait
un véhicule, un téléphone Thuraya et
un salaire mensuel. Des stages de formation étaient organisés
en Iran. Comme nous l'avons vu sur les documents de propagande
distribués par ce réseau, leur idéologie
tournait autour de la révolution version iranienne et
de la diabolisation des Américains. D'après
un contact, ce réseau existe toujours.
On sait néanmoins les chiites
divisés en un grand nombre de sectes.
Dits duodécimains, ceux qui suivent la lignée
des Imams jusqu'au 12ème, comme les ayatollahs iraniens,
sont les plus nombreux. Autrefois distants des membres des sectes
chiites secondaires, depuis la révolution de 1979
les Iraniens cherchent aussi à recruter chez ces derniers.
Les Houthis
du Yémen, des chiites de la branche zaïdite,
en offrent le plus bel exemple. Pour combattre les forces sunnites
et la coalition arabe, le soutien militaire qu'ils reçoivent
d'Iran ne fait pas de doute.
Les
sunnites sénégalais seraient des chiites qui l'ignorent
!
Les services iraniens vont encore
plus loin. Ils approchent les populations sunnites, de pays autrefois
gouvernés par les chiites, pour les convertir à
leur foi.
Fondé au Xe siècle
et centré sur l'Égypte, l'Empire fatimide
s'est étendu du Maghreb à la Syrie.
Si ses dirigeants appartenaient à la secte des chiites
septimains, le peuple restait sunnite. Quand les Fatimides
s'effondrèrent au XIIe siècle, leurs croyances
ne survécurent que dans quelques familles du Moyen-Orient.
Pourtant, enquêtant dans les
milieux militants de l'islamisme radical dans les années
80 à Paris, nous sommes tombés sur des
Tunisiens qui se disaient chiites, non pas convertis mais
d'origine. En fait, ils tenaient une librairie financée
par Téhéran et s'étaient laissés
convaincre de l'appartenance de leurs ancêtres au chiisme.
Cette forme du prosélytisme
se développe. Les autorités égyptiennes
avouent l'apparition récente de chiites, près
de 1% des musulmans du pays, sans savoir d'où ils
viennent. Les Marocains font le même constat. Au printemps
dernier, le gouvernement a même interdit une association
chiite, Al-Khat al-Rissali, qui venait d'être fondée
à Tanger.
Les Iraniens ont trouvé
un angle de propagande en or dans cette région du monde
: Idriss 1er, le fondateur de la monarchie marocaine,
est le petit-fils d'Ali ibn Abi Talib, gendre et cousin
de Muhammad, surtout premier Imam de la lignée
chiite. Survivant de la bataille de Fakh contre les sunnites,
en 786 en Arabie, il s'enfuit au Maroc où
les tribus l'acceptèrent pour roi. Néanmoins, à
cette époque, la doctrine et les pratiques chiites ne
se différenciaient que très peu de celles de sunnites.
Si bien qu'au Maroc, ce depuis des siècles, tout
le monde a opté pour le sunnisme. Il a fallu l'intervention
des Iraniens pour semer la confusion.
Répression de manifestation chiite
au Nigeria
Désormais,
le phénomène touche l'Afrique noire. Au
Sénégal, nous avons rencontré Mohammad
Ali Aidara. Il a fondé un institut chiite. Il serait
descendant de la famille du premier Imam et se réclame
d'origines marocaines. Pour lui, " les Sénégalais sont des chiites
qui s'ignorent
". Il rêve de les
ramener à la foi de " ses ancêtres ".
Au Nigeria, des affrontements violents ont éclaté
entre le pouvoir et de nouveaux convertis au chiisme. Il faut
craindre le phénomène ne s'amplifiant pour s'étendre
à d'autres pays. Comme au Niger. Tout un quartier
de la capitale, Niamey, est aujourd'hui peuplé
de chiites convertis par l'argent iranien.
Le Croissant chiite fait peur. L'Iran
s'y appuie sur des États alliés, comme l'Irak et
la Syrie, ou infiltré au niveau du gouvernement, celui
du Liban. Mais la manipulation, année après année,
des populations chiites et sunnites n'est-elle pas plus dangereuse
encore ? Elle mène fatalement au sectarisme et à
la violence. Plus sans doute que le nucléaire, c'est de
l'action religieuse menée dans les pays musulmans par
l'Iran dont il faudrait discuter avec Téhéran.
Car cette bombe là est bien plus meurtrière !
Cet article
a été publié en arabe dans le quotidien
Al
Watan du Bahreïn
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