INTERVIEW
DE AHMAD SHAH AHMADZAI

juin 2008

Nous avons réalisé cette interview en Afghanistan, au mois de juin 2008, avant l'embuscade au cours de laquelle, en août, dix soldats français ont été tués. Ahmad Shah Ahmadzai appartient à l'ethnie pachtoune, parmi laquelle recrutent les Taliban. Pour sa part, il se range dans l'opposition politique, non armée donc, au gouvernement en place. Il représente bien cette catégorie d'anciens leaders politiques mécontente d'avoir été laissée de côté par les Américains lors de la répartion des fonctions à la tête de l'Afghanistan. A l'entendre, on comprend la distance séparant les troupes d'occupation d'une grosse partie de la population de plus en plus grande. Les experts apprécieront...

Ahmad Shah AhmadzaiAlain Chevalérias : Monsieur Ahmad Shah Ahmadzai, qui êtes-vous ?

Ahmad Shah Ahmadzay : Je suis ingénieur de formation. Je suis aussi le président du "parti du pouvoir islamique " ou " Hezb-Ektedader-e-islami-e-Afghanistan ". J'ai créé un centre islamique de recherches sur l'islam et les autres religions, afin de réaliser des études comparatives.

A.C. : Mais vous avez été à la tête de l'Afghanistan par le passé...

A.S.A. : Oui, après le jihad contre les Soviétiques, j'ai été ministre de l'Intérieur, puis vice Premier ministre et enfin Premier ministre. Avant la prise du pouvoir par les Taliban, j'étais ministre de l'Education. Alors de passage en Turquie, pour donner une conférence à Istanbul, je suis resté dans ce pays pendant deux ans. Puis je me suis installé à Londres, où j'ai résidé trois ans. Depuis mon retour en Afghanistan, je me consacre à la direction du centre de recherches islamiques et de mon parti politique.

A.C. :
Quelle opinion avez-vous de l'actuelle situation en Afghanistan ?

A.S.A. : Je suis déçu. Nous espérions le progrès mais, jour après jour, la situation empire. Il n'y a pas de sécurité et l'administration est corrompue. On ne voit pas les effets de la reconstruction. On nous nourrit de belles paroles, on nous promet 20 ou 23 milliards de dollars mais rien ne se produit sur le terrain

A.C. : Où va l'argent ?

A.S.A. : Le gouvernement dit que l'argent est donné aux ONG. Il y a des ONG, des sous-ONG, des sous-sous ONG. Ne parviennent aux Afghans que 10% de des énormes montants distribués. 90% vont dans les poches des ministres de Karzaï et des fonctionnaires. Nous, les pauvres, nous ne voyons même pas nos besoins minimum satisfaits. Par exemple, nous n'avons pas d'eau potable en ville. Tout le monde boit une eau malsaine quand Kaboul regorge de ressources aquifères. J'ai une maîtrise en matière hydraulique. Pour vous dire, ici, dans mon bureau, pour préparer le thé je dois faire venir des bouteilles d'eau minérale. Il y a quelques mois, j'ai eu un entretien avec des Espagnols de l'ambassade. Une bouteille d'eau, leur ai-je expliqué, coûte ½ dollar. Les gens ordinaires ne peuvent pas faire cette dépense, ou il ne leur resterait rien pour manger. Les Occidentaux, au lieu de construire des usines et d'importer des téléphones portables, feraient mieux de se pencher sur le problème de l'eau.

A.C. : Concernant la violence et l'insécurité, la situation est-elle meilleure ou a-t-elle empiré ?

A.S.A. : C'est bien pire !

A.C. : Donnez moi un exemple.

A.S.A. : Vous ne voyez pas d'étrangers, pas de grandes compagnies, et de riches Afghans qui pourraient investir. Ils ont peur pour leur sécurité. Dans la ville, des voleurs se déguisent en policiers pour dévaliser les passants.

A.C. : Quelle est la situation à Kaboul ?

A.S.A. : C'est surtout de Kaboul que je parlais, la population y étant très dense. Dans les provinces c'est très rare, parce que les gens ont moins d'argent.

A.C. : J'ai entendu dire que les Taliban contrôlent désormais des districts entiers de la province du Baghdis.

A.S.A. :
Ils sont présents dans toutes les provinces et ils pèsent plus que le gouvernement lui-même. Le gouvernement exerce principalement son autorité dans la capitale.

A.C. : Parlez-vous de tout l'Afghanistan ou des provinces du sud ?

A.S.A. : Dans le nord, les Taliban ne sont pas présents. Cela ne veut pas dire qu'y règne le calme et la sécurité.

A.C. : J'ai entendu dire qu'au Badakhshan le gouvernement rencontrait des difficultés.

A.S.A. : Oui, au Badakhshan, au Baghlan et ailleurs.

A.C. : Qui sont les auteurs de ces difficultés ?

A.S.A. : Les Taliban, les gens d'Hekmatyar et d'autres groupes indépendants. Mais les principaux sont les Taliban et les partisans d'Hekmatyar.

A.C. : Comment percevez-vous la présence militaire occidentale et celle des ONG ?

A.S.A. : Les forces occidentales présentes en Afghanistan n'y sont pas pour servir les intérêts des Afghans, au contraire. Les forces de l'OTAN, dénommées forces de maintien de la paix, sont les vrais terroristes. Au milieu de la nuit ils détruisent les maisons des habitants. Les avions ultra modernes des Américains bombardent les villages et tuent des innocents. N'est-ce pas du terrorisme ? Les Afghans ne sont pas des terroristes. Personnellement je ne peux pas qualifier les Taliban ou Hekmatyar de terroristes parce que les Afghans ne sont pas des terroristes. Les forces occidentales les ont acculés, les poussant à réagir.

A.C. : Néanmoins, les Taliban font sauter des bombes dans des villes et tuent des civils...

A.S.A. :
Ce n'est pas bien mais il a été prouvé que les forces de l'OTAN font la même chose. Elles tuent des soldats de l'armée nationale et de la police et posent des mines contre eux. Pourquoi me demanderez-vous ? Pour susciter de l'animosité entre la nation et le gouvernement et surtout pour, leur attribuant ces crimes, noircir l'image des Taliban.

A.C. : Si vous parlez comme cela dans les pays occidentaux, je peux vous assurer que personne ne vous croira...

A.S.A. :
J'aurais souhaité que les peuples occidentaux soient au courant de la situation mais ils suivent aveuglement les Etats-Unis. C'est le problème. S'ils ouvraient les yeux, et écoutaient les gens du commun, ils le croiraient.

A.C. : Il reste difficile de croire que les forces occidentales posent des mines pour tuer les soldats de l'armée afghane et les policiers.

A.S.A. :
Mais c'est vrai, aussi clair que le soleil.

A.C. : Il y a néanmoins des actions, que l'on peut qualifier de terroristes, parce qu'elles touchent des civils, et qui ont été revendiquées par les Taliban...

A.S.A. : Non, non c'est une contrevérité que d'accuser les Taliban de tuer des gens de leur propre peuple. Je ne suis pas content. Je vous demande pourquoi des étrangers tuent nos compatriotes, ce sont des êtres humains. S'ils sont là pour nous aider, ils devraient nous écouter, même si nos conseils ne vont pas dans le sens de leurs intérêts. Quand nous leur disons des choses à la fois bonnes pour eux et pour nous, ils devraient prêter attention à nos propos mais au lieu de cela, ils nous croient systématiquement en faveur des Taliban.

A.C. : Quel est votre sentiment concernant la conférence de Paris ?

A.S.A. : C'est une affaire entre gouvernements. Si soutien il y a, il ne profitera pas au peuple afghan. Par exemple, il y a tellement d'étrangers dans le pays que les loyers ont beaucoup augmenté. Cela cause un grand tort aux Afghans qui ne peuvent plus payer leurs logements. Je ne suis pas optimiste quant à l'usage de l'argent obtenu à Paris.

A.C. : Un nouveau parti a été créé en Afghanistan, le Front patriotique (1). Appartenez vous à ce parti ?

A.S.A. : Non !

A.C. : Vous avez pourtant de bonnes relations avec oustad Bourhanouddine Rabbani, le chef ce parti.

A.S.A. : Oui, mais il y a de grandes différences entre les membres de ce parti. Nous ne suivons pas aveuglement tel ou tel leader. Le Front patriotique compte d'anciens communistes. J'ai combattu les communistes pendant 14 ans, comment pourrai-je les rejoindre maintenant ? Pour leur dire vous êtes innocents et j'avais tort ? Après avoir défait les communistes, nous n'avons pas à les combattre mais nous n'avons pas non plus à partager le pouvoir avec eux.

A.C. : Quelle est la philosophie du Front patriotique ?

A.S.A. : Ses fondateurs veulent prouver à l'Occident que nous ne sommes pas des fondamentalistes, ce que l'on appelle des islamistes ou des terroristes. Pourquoi tous ces détours ? Pourquoi ne pas être clairs ? Je suis musulman, j'ai le droit de gouverner mon pays et d'y vivre. Cela m'est égal que les bouddhistes, les juifs ou les chrétiens soient contre moi. Je ne leur suis pas hostile quand je me rends dans leurs pays. De leur côté, ils ne doivent pas s'ingérer dans ma religion et la gestion de mon pays. Certains affirment que l'Occident étant devenu la superpuissance mondiale, nous devons le suivre. C'est ridicule et les Afghans ne nous écouteront pas. Si Rabbani, une figure du jihad contre les Soviétiques, veut diriger ce pays avec une combinaison de communistes, de démocrates et d'islamistes, ce sera un échec. Nous respectons les règles et les principes des autres mais ils doivent respecter les nôtres. En résumé, si les lois américaines ne me respectent pas, je n'ai pas à les respecter.

A.C. : Il y a donc une divergence entre vous et M. Rabbani...

A.S.A. : Il n'y a pas de divergence. Si vous me dites, venez avec nous, faisons la paix avec les communistes, je dirais d'accord. Quand j'étais ministre de l'Intérieur, j'ai réuni tous les responsables et les généraux communistes, de braves gens. Je leur ai dit : " Maintenant la guerre est finie entre nous mais il y a un tabou dans ce pays, la religion, personne ne doit toucher l'islam. Je ne dois pas entendre dire que vous avez touché à l'islam. Maintenant vous devez obéir. Vous êtes dans votre pays, si vous voulez votre passeport, prenez-le. Si vous voulez occuper des postes dans le gouvernement, vous êtes les bienvenus mais vous devez respecter la règle générale du pays qui est, en premier lieu, de respecter l'islam et, en deuxième lieu, d'être loyal à l'Afghanistan. Celui qui se dit Afghan doit être musulman et aimer son pays. C'est la règle ".

A.C. : J'ai entendu dire que M. Rabbani et le Front National avaient reçu beaucoup d'argent d'Iran...

A.S.A. : Je ne sais pas. S'il avait reçu de l'argent des Américains, qui le saurait ? Qui aurait des preuves ?

A.C. : Apparemment ce ne sont pas les Américains qui les ont financés...

A.S.A. : Je dis cela, parce que certains sont plus loyaux envers les Américains qu'envers l'Iran. Tous les communistes, aujourd'hui, sont loyaux envers l'Amérique.

A.C. : Quel changement !

A.S.A. : Oui, quel changement ! En attendant, ces communistes ont changé de slogan, ils sont pro-américains. Or, ils sont nombreux aux côtés de Rabbani. Il n'est pas nécessaire que l'Iran soit derrière.

A.C. : Peut-être, mais dans ce parti il y a aussi le leader chiite Mohseni qui dirige l'université islamique. Cette dernière est financée par Téhéran.

A.S.A. :
Sur ce sujet aussi il y a controverse. Pendant les quatorze années du jihad, nous n'avons pas de preuves que Mohseni avait de bonnes relations avec l'Iran. Il était soutenu par des groupes chiites qui pourraient être irakiens voire iraniens sans être associés à l'Etat. Certes, en Iran les ayatollahs sont très puissants, mais en Irak aussi. S'ils appellent leurs fidèles à donner un million de dollars à Mohseni, ces derniers le feront sans hésiter. Ce dont nous sommes sûrs, Mohseni est un personnage honnête et très ouvert. C'est un universitaire, un monsieur très raisonnable (2).

A.C. : N'est-il pas lui aussi au Front patriotique.

A.S.A. : Non il n'en fait pas partie.

A.C. : Dostom en fait partie...

A.S.A. : Oui. Tous les grands seigneurs de la guerre ont rejoint le Front patriotique. Des forces, des pays travaillent avec acharnement afin de défendre leurs intérêts. Par exemple, derrière Dostom, il y a la Turquie et l'Ouzbékistan qui le financent. Il en est très content et ne s'en cache pas. Comme vous l'avez dit, d'autres reçoivent de l'argent d'Iran, d'autres encore d'Europe et des Etats-Unis.

A.C. : Bien, mais je sais qu'il existe deux chaînes de télévision, l'une, Noor TV, appartient à Rabbani, l'autre à Mohseni. Or il semble bien qu'elles soient toutes les deux financées par l'Iran.

A.S.A. :
Peut-être, je n'ai pas de preuves. Mais, même si c'était le cas, où serait le mal ?

A.C. : Ce qui m'intéresse ce sont les faits.

A.S.A. : Nous avons beaucoup de télévisions financées par les Etats-Unis. L'une d'elle s'appelle Ariana. Une autre reçoit de l'argent d'Allemagne. Selon nos critères religieux, il vaut mieux bénéficier d'un financement iranien que recevoir de l'argent des juifs ou autres ennemis de la morale (3).

A.C. : Donc, à vos yeux, cela permet de générer une sorte d'équilibre....

A.S.A. : Sous un régime tel que le régime de M. Karzaï, n'importe qui peut apporter n'importe quoi. Personne n'est là pour s'y opposer. Des gens voulaient voler des millions de dollars appartenant à l'Afghanistan. Il ont été appréhendés à Dubaï et laissés en liberté.

A.C. : Les Iraniens sont très actifs en Afghanistan. Ils ouvrent des écoles, distribuent des documents religieux, des livres et des pamphlets. Parfois cela prend l'apparence de propagande politique. Quel est votre sentiment à ce propos ?

A.S.A. : L'Iran est, comme l'Afghanistan, un pays musulman. Si des livres viennent d'Iran en Afghanistan, où est le mal ? Personnellement j'y suis favorable. Si par exemple l'Allemagne envoie des livres en Grande-Bretagne, est-ce condamnable ? Si vous me donnez des livres français, de l'argent français, tout dépend de la manière dont je l'utiliserai. Si je m'en sers pour exécuter les ordres de la France je serai un traître à l'Afghanistan.

A.C. : Vous savez aussi bien que moi, l'Iran est un Etat chiite. Même si des sunnites y vivent, on peut dire que c'est un pays chiite. En outre, la politique de l'Iran est basée sur cet aspect religieux chiite. Or, en Afghanistan, la majorité de la population est sunnite...

A.S.A. :
Toutes ces différences se sont estompées maintenant. Je suis rentré d'Iran hier, où j'étais invité pour participer à l'anniversaire de l'imam Khomeiny. Je n'ai rien entendu de mal. J'ai seulement entendu de très bons discours révolutionnaires prononcés par des leaders iraniens et cela m'a réjoui. Ils ont dit que nous sommes tous des musulmans, que nous appartenons à la nation islamique et défendons l'islam. Je suis d'accord avec eux pour défendre l'islam, mais s'ils veulent attaquer l'Amérique, je ne suis pas avec eux. Nous devons coller à notre propre sensibilité. Le Guide Khamenei a fait de très bons discours islamiques. Je n'en savais pas autant sur la Révolution iranienne et j'ai beaucoup appris au cours de ce séjour d'une semaine. Je peux dire que je suis rentré avec une très bonne impression. Je n'ai entendu aucune déclaration contre les sunnites ou contre les Arabes. Je n'ai rien entendu de la part des Iraniens contre d'autres pays musulmans ou même contre des pays non islamiques à l'exception des Etats-Unis. Ils expliquaient pourquoi les Etats-Unis soutiennent l'Etat sioniste, appelé Israël, et ignorent les 57 pays musulmans. Ils exprimaient la même opinion que moi et la même foi religieuse qure moi. Regardez, il y a eu des élections en Palestine. Jimmy Carter s'y est rendu et a confirmé la loyauté du scrutin. Pourtant, M. Bush qualifie ce processus de terrorisme. Comment un homme normal comme moi peut-il se laisser convaincre que les Etats-Unis sont justes. Ils veulent privilégier quatre millions de juifs au détriment d'un milliard et demi de musulmans. Où sont les droits de l'homme ?

A.C. : En tant que journaliste, mon problème est de déchiffrer les rapports de force. Entre l'Iran, en tant qu'Etat chiite, et certains pays sunnites, il existe une tension. Par exemple si vous regardez les chaînes arabes satellitaires, plusieurs fois sur Al-Arabiya ou sur Al-Jazeera on a vu des sunnites se plaindre des Iraniens. J'ai entendu le cheikh Qardaoui (4) lui-même dénoncer les tentatives iraniennes de conversion des sunnites au chiisme...

A.S.A. : Dans les pays arabes la sensibilité est plus grande qu'en Afghanistan contre les Iraniens. Ici, en Afghanistan, je n'ai vu personne se convertir au chiisme. Les sunnites et les chiites ont dessiné des limites très claires entre eux. Un sunnite ne se convertirait jamais au chiisme ni un chiite au sunnisme. Cela est révolu. Aujourd'hui, nous parlons de nos intérêts communs en tant que nation islamique. Je ne peux pas dire que les chiites n'appartiennent pas à la nation islamique et eux non plus ne peuvent pas dire que je n'appartiens pas à la nation islamique. Ces divergences sont inventées par le gouvernement des Etats-Unis. Heureusement, le peuple américain est très bon. Je suis allé en Amérique et je sais de quoi je parle. C'est le parti au pouvoir qui suscite des problèmes, lui et ceux qui le suivent aveuglement, comme Tony Blair et Sarkozy. Je dis qu'il ne faut pas s'engager dans une guerre de religion. Les Croisades, les guerres entre les chrétiens et les musulmans ont duré des siècles. Qui a gagné ? Si les chrétiens gagnaient, ils tuaient les musulmans et les musulmans ne se convertissaient pas. Si les musulmans l'emportaient, ils tuaient les chrétiens sans obtenir leur conversion.

A.C. : C'est très bien, mais je ne parle pas de cela. Je pense au prosélytisme des chiites parmi les sunnites. Les Arabes se plaignent des Iraniens à ce sujet. Sans minimiser la responsabilité des Etats-Unis, on ne peut les blâmer de tous les malheurs de la terre.

A.S.A. :
Oui mais, voyez-vous, les Américains essaient de créer des problèmes entre les peuples. Ils créent des divergences entre les chiites et les sunnites. Cela ne marche pas de toute façon. Vous avez parlé de Qardaoui. Lui et Rafsandjani (5) sont passés ensemble sur Al Jazeera. Qardaoui a dit ce que vous avez évoqué à propos du prosélytisme. Il a dit aussi qu'il y avait des imbéciles des deux côtés. Rafsandjani, pour sa part, a ajouté en substance : " Nous respectons les compagnons du prophète et si quelqu'un en dit du mal cela ne vient pas de nous " (6). Deux mois plus tard, des rumeurs circulaient annonçant des bombardements imminents des Etats-Unis contre l'Iran. Qardaoui a répondu disant que si les Américains attaquaient l'Iran, tous les musulmans, les hommes comme les femmes, devaient résister face à l'Amérique.

A.C. : Oui je me souviens de cela.

A.S.A. : Vous savez quand vous arrivez à ce point, la défense de l'islam, il n'y a plus de chiites ou de sunnites mais seulement des musulmans. Parce que quand nous entendons que les juifs et les chrétiens, je parle du leadership et non pas des peuples, veulent attaquer l'islam, tous les musulmans doivent réagir de concert. Par exemple, quand les Occidentaux disent que l'Iran ne doit pas détenir l'arme nucléaire, quelle est la logique dans tout cela ? Israël a plus de 250 projectiles nucléaires et l'Iran n'aurait pas le droit d'en avoir un seul !

A.C. : Pourquoi ne travaillez vous pas à obtenir la dénucléarisation du Moyen-Orient, Israël inclus ?

A.S.A. : Les Etats-Unis ne voudront pas. Les statistiques officielles du ministère de la santé afghan, ont révélé que les Américains utilisent des armes chimiques et de l'uranium dans des régions de l'Afghanistan où tous les enfants naissent victimes de malformations. Cela est-il permis ?

A.C. : Il faut des preuves...

A.S.A. : Ce sont les déclarations officielles de notre ministère de la Santé. Quand les Etats-Unis et l'Occident utilisent l'uranium et la force nucléaire contre un pauvre pays comme l'Afghanistan, pourquoi l'Iran ne pourrait-il pas détenir cette arme ?

A.C. : Vous êtes ingénieur et vous ne l'ignorez pas, il ne s'agit pas du même uranium. Dans le premier cas on parle d'un produit dont l'usage pourrait être nocif pour la population, dans le second d'une bombe. Mais je suis d'accord on ne peut pas accepter des Américains qu'ils utilisent certaines armes.

A.S.A. :
C'est encore plus criminel parce qu'ils l'utilisent contre des innocents et surtout contre des enfants...

A.C. : Revenons au débat Qardaoui-Rafsandjani puisque vous en avez parlé. J'ai vu cet échange très intéressant. A un moment donné Qardaoui a dit, si vous vous souvenez, que l'on ne pouvait dans le principe rien cacher en religion. Rafsandjani l'a regardé très surpris et même un peu choqué. Il a répondu " mais il faut cacher certaines choses en religion, on ne peut pas tout dire ! " Vous en souvenez-vous (7) ?

A.S.A. : Non, mais il ne faut pas s'attarder sur ces débats religieux. Parce qu'un chiite est un chiite, et que les chiites sont importants autant en qualité qu'en quantité. Pourquoi n'interférons-nous pas entre les orthodoxes, les catholiques ou les protestants ? Nous voyons en eux des chrétiens et n'entrons pas dans les détails pour savoir qui est catholique ou qui est protestant. Cela ne nous intéresse pas. Ces discussions surtout faites par des occidentaux nous rendent encore plus unis.

A.C. : Je ne cherche pas à vous diviser, cela ne m'intéresse pas, mais à comprendre les motivations des uns et des autres. Surtout j'espère que ma curiosité ne vous a pas blessé...

A.S.A. : Je vous en prie, ces discussions sont les bienvenues et nous nous connaissons assez pour les mener ensemble.

 

 

NOTES

(1) Parti créé récemment par Oustad Bourhanouddine Rabbani.
(2) On appréciera les précautions d'Ahmadzay en ce qui concerne le financement, connu, de Mohseni par l'Iran pendant le " jihad " contre les Soviétiques. Il se montre bien moins pusillanime quand il s'agit de dire plus bas que Dostom est financé par la Turquie te l'Ouzbékistan.
(3) Nous avons conservé l'expression utilisée par Hamadzai. Précisons qu'il a relu le texte dans la version anglaise, langue dans laquelle a été réalisée l'interview. Il va de soi que, pour notre part, nous n'approuvons pas la formulation et l'idée qu'elle véhicule.
(4)Cheikh Youssouf Qardaoui (Qaradawi) est un religieux sunnite Frère musulman et égyptien qui sert de référence sur la télévision Al-Jazeera en matière religieuse. Il est aussi très influent auprès de l'UOIF (Union des Organisations islamiques de France), elle-même sous influence des Frères musulmans. Président du comité international des oulémas musulmans
(5) Rafsandjani est un ancien président iranien, très riche, et à la tête des Gardiens de la Constitution. Il est hodjatoleslam.
(6) Les compagnons du Prophète Mahomet sont une référence religieuse en islam.
(7) La différence essentielle entre les deux islam est là : chez les sunnites, le dogme, relativement simple est entièrement exposé. Chez les chiites, tout n'est qu'occultation, au point qu'il est quasiment impossible, pour le plus grand nombre, de connaître certains aspects très cachés du dogme.

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