EN VOIE D'IMPLOSION |
octobre 2007
Au mois de septembre, Alain Chevalérias
a effectué un reportage de trois semaines au Pakistan
et en Afghanistan. Il connaît bien l'Afghanistan pour l'avoir
parcouru aux côtés de la résistance, pendant
les années 80, sous l'occupation soviétique. En
ayant appris la langue principale, le persan, et s'étant
imprégné des coutumes locales, quand sa sécurité
l'exigeait, il a pu réaliser son enquête en se faisant
passer pour un Afghan. Au lendemain de la mort d'un soldat français
dans un attentat, le 21 septembre 2007 à Kaboul, et quand
nous renforçons notre présence aérienne
et le nombre de nos instructeurs en Afghanistan, notre collègue
nous confie ses observations. Pierre de Villemarest |
Après avoir franchi la " Khyber pass " (1), quittant le Pakistan, on entre en Afghanistan. Encadrée au loin par les montagnes, une vaste plaine fertile s'étend autour de la ville de Jalalabad. Une patrouille de quatre Humvees blindés (2) précède notre minibus. Embusqué dans sa tourelle, un soldat américain nous tient dans la ligne de mire de son fusil-mitrailleur. Pas plus notre chauffeur que ceux des dizaines de véhicules qui nous suivent ne prennent le risque de doubler : avec leurs passagers, ils seraient déchiquetés par les balles. Sécurité oblige ! DES FORCES D'OCCUPATION La route a été refaite. Nouveauté aussi, de nombreuses stations services vendent de l'essence. Il y a vingt ans, cet axe routier était constamment attaqué par la résistance à l'occupation soviétique. Rares étaient les véhicules osant s'y aventurer. Aujourd'hui, il accueille un ballet ininterrompu de lourds camions transportant les containers débarqués à Karachi, port pakistanais. Ils assurent les approvisionnements de Kaboul, mais aussi des agences internationales et des forces étrangères. L'axe Karachi-Kaboul est devenu le cordon ombilical de l'occupation. Soudain, la patrouille américaine s'engage à droite sur une piste de terre battue. Elle disparaît dans un nuage de poussière. Dans le minibus, complices, les regards se croisent. En Pachtoun sa langue et celle des Taliban, le chauffeur grommelle un juron en pachtoun dans lequel sonne le mot " Amérika ". Je me fais tout petit dans mon " shalwar kamiz " (3). Néanmoins, le danger ne semble pas encore réel entre le Pakistan et Kaboul. A la différence des soldats américains, coincés dans leurs campements bardés de blocs de béton, ceux de l'armée afghane font leurs courses par petits groupes sans porter d'armes. Pour combien de temps cependant ? Certes, à Jalalabad, nous sommes à 500 kilomètres de Kandahar, épicentre des affrontements entre les forces d'occupation et les Taliban. Ces derniers contrôlent directement ou indirectement cinq secteurs : Khas Uruzgan, Panch Pay, Meywand, le Helmand et la région de Zaboul. Néanmoins, Jallaluddin Haqqani, le chef d'état-major des Taliban, exerce une forte influence sur les régions du Paktia, du Paktika, de Khowst et du Nangahar. Or, cette dernière est traversée par l'axe routier reliant le Pakistan à Kaboul. Installé dans les montagnes au sud de l'agglomération de Khowst, le poste de commandement d'Haqqani se trouve à une centaine de kilomètres de Jalalabad. Deux jours de marche, en voiture, à peine deux heures de route. Certes, des rumeurs le disent mort, mais le clan, avec ses fils, est là pour continuer le combat. Les observateurs locaux qui sont parvenus à approcher les Taliban font les mêmes commentaires. Les combattants fondamentalistes ont un excellent moral, des armes en quantité et de l'argent, par prélèvement de droits sur la production d'opium. On s'attend au doublement de leurs effectifs en l'espace d'un an et, après le Khas Uruzgan, à voir passer de nouvelles régions sous leur autorité.
Il ne l'est pas tant, en réalité, en proportion du nombre de soldats étrangers stationnés : 35000 en Afghanistan et 160000 en Irak. Par année et par tranche de 10000 hommes, cela représente un ratio de 64 morts en Irak pour 30 morts en Afghanistan. Proportionnellement, sur toute la durée des deux conflits, on compte donc, pour le moment, une mortalité moitié moindre, pour les troupes occidentales en Afghanistan. Cependant, pour l'année 2007, les chiffres se ressemblent, passant à 53 morts pour 10000 hommes en Irak, contre 50 en Afghanistan. Carte de l'Afghanistan Quand la plaine de Jalalabad se referme, la route attaque la montagne dans une suite de lacets. Les moteurs peinent. Du haut des parapets de pierre on voit les carcasses de camions qui ont fini leurs jours au fond du précipice.
Dans ces défilés vertigineux, en janvier 1842, 16000 Britanniques moururent sous les coups des tribus pachtounes. Ils fuyaient Kaboul mettant un terme à une tentative d'occupation du pays. Un seul rescapé, le Dr William Brydon, parvint à rejoindre Jalalabad. Les Afghans l'avaient laissé passer pour qu'il décrive la fin du corps expéditionnaire britannique. Passant entre ces falaises abruptes, auscultant les crêtes menaçantes et découvrant les yeux noirs de grottes serties dans la roche comme autant de redoutes, on ne peut s'empêcher de frémir. La protection de cette partie du cordon ombilical reliant Kaboul au Pakistan, nécessiterait l'intervention de milliers d'hommes aguerris. En particulier, de troupes de montagne, pour s'assurer le contrôle des chemins d'accès dans un rectangle, au bas mot, de 60 kilomètres sur 40.
Kaboul aussi a beaucoup changé. On remarque de nouvelles constructions et la densité de la circulation. Mais, à part les quelques privilégiés bénéficiant des largesses des organisations internationales, la population souffre toujours de la pauvreté. Résultat, on sent une haine jalouse s'installant à l'endroit des étrangers. Pire, dans les conversations domine l'inquiétude, personne ne croyant les forces internationales capables de mater les Taliban. Les Occidentaux ne font pas grand-chose pour rétablir la confiance. Absents des rues, ils vivent reclus dans leurs résidences protégées par des compagnies de sécurité. N'arrangeant rien, à la suite du kidnapping de l'une d'entre eux, un vent de panique s'est abattu sur les expatriés. À la représentation de l'Europe, Michaël Semple, un Irlandais, se veut pourtant optimiste. Il est l'un des seuls Occidentaux à avoir fait l'effort d'apprendre le persan. Il affirme : " Il faut travailler à une solution politique, et non pas seulement militaire comme aujourd'hui. A cette condition, nous pourrons ramener la paix dans le pays ". Sans doute, mais qui y croit ? Les Taliban rêvent d'un pouvoir hégémonique. Les gens du Nord, de leur côté, refusent de se soumettre. Ancien commandant d'Ahmad Shah Massoud, un Panchiri (5) ose dire : " Les Taliban, il faut les renvoyer d'où ils viennent, au Pakistan ". C'est oublier l'influence des Taliban sur les tribus pachtounes. Leur imbrication même, tant les uns s'identifient aux autres. Or les Pachtouns représentent au moins 50% de la population du pays.
Au nord, à six heures de route de Kaboul, Mazar-i-Charif s'est imposé comme capitale régionale. Autrefois résistants à l'occupant soviétique, les anciens " Moujahidine " en ont pris le gouvernement. La ville s'est développée. Le béton tend à remplacer les maisons de terre et un effort est fait pour mettre en valeur les larges avenues s'organisant autour de l'antique mosquée bleue. Certes, les Turcs, les Japonais et quelques pays européens ont construit des écoles. Mais en trop petit nombre. Si 95% des enfants sont scolarisés, un record en Afghanistan, la plupart doivent étudier sous des tentes, d'autres à l'ombre des arbres. Ce n'est encore pas assez ! Les élèves sont répartis en trois équipes et étudient à tour de rôle. Faut-il rappeler à l'Occident l'importance de l'école pour éradiquer le terrorisme ? Mais, en dépit du calme apparent, à Mazar-i-Charif comme ailleurs, les divisions ethniques sont omniprésentes. Ici, les Tadjiks ont pris le pouvoir. Dans la province voisine, Jaouzjan, ce sont les Ouzbecks, plus au sud, les Hazaras de confession chiite. Au nord, les Turkmènes. Le pays est un patchwork d'ethnies à partir duquel les chefs de clans ont organisé leurs zones d'influence. Que les forces occidentales se retirent brusquement et le Nord entrera en conflit avec le Sud des Taliban. Puis il éclaterait à son tour en une multitude de seigneuries hostiles. Déjà présents sous des prétextes éducatifs et commerciaux, l'Iran, l'Inde et la Russie exacerberaient encore les tensions en cherchant à se ménager des zones d'influence. Quant au Pakistan, sur la frontière sud, mis de côté en Afghanistan par les Occidentaux au profit de l'Inde, il chercherait à prendre sa revanche. Pour toutes ces raisons, il est important
de trouver rapidement une solution politique en Afghanistan.
Car ni un départ brutal des forces occidentales, ni leur
maintien sur place ne sont possibles et souhaitables à
moyen terme. Alain Chevalérias
(1) C'est le nom du col historique à
la frontière des deux pays. |
www.recherches-sur-le-terrorisme.com |