PEAU D'OTAGE

Octobre 2004

Alain Chevalérias

 

 

 Le 4 octobre 2004, Didier Julia, député UMP, déclarait coupés les contacts avec les ravisseurs de Christian Chesnot et Georges Malbrunot en Irak. Occasion de rappeler le cynisme et les tentatives de récupération des négociateurs de tous bords dans les affaires de prises d’otages. Occasion aussi de s’interroger sur la légitimité islamique de telles méthodes de chantage.

 

 La Présidence de la République a d’abord laissé régner l’ambiguïté sur son implication dans l’initiative de Didier Julia. Les risques d’échec apparaissant, elle a affirmé ne pas lui avoir donné de mandat. Enfin, l’affaire ayant capoté, Jean-Pierre Raffarin, dont on connaît la soumission à l’Elysée, s’est empressé de déclarer que toute initiative privée était « susceptible de faire naître une menace pour nos compatriotes » retenus en otages.

En d’autres termes, toujours prêts à ramasser les lauriers, les gens au pouvoir n’endossent jamais la responsabilité des échecs. Jouer avec eux, c’est toujours jouer perdant.

Jouer ! Ce mot fait frémir quand la vie de deux Français, journalistes par ailleurs, est menacée. Car voilà bien, chacun à sa manière, comment Didier Julia, Mustapha Aziz, un marchand d’armes, Laurent Gbagbo, président de Côte d’Ivoire, l’Elysée, pour notre part, et d’autres ont envisagé les choses. Ces gens misent pour récupérer un gain. Pas pour sauver la vie des victimes dont ils n’auraient rien, ou très peu, à faire si la presse taisait ce drame.
Les précédentes affaires d’otages sont d’une cruauté révélatrice.

Françoise Claustre, libérée en janvier 1977, resta trois ans prisonnière d’Hissène Habré dans le désert tchadien du Tibesti. Pour justifier l’inaction des autorités françaises, « on » fit circuler la rumeur qu’elle était la maîtresse de son kidnappeur. C’était sous Valéry Giscard d’Estaing.

 PRISE D’OTAGE ILLICITE EN ISLAM

Comme autrefois en Occident, c’est la notion non d’otage mais de prisonnier de guerre, rendus éventuellement contre rançon, qui domine. Le cheikh Youssef Al Qardaoui, un Frère musulman *, affirme : « Il n’est légal de kidnapper et de faire prisonniers que les combattants ou ceux qui les aident au combat. On ne prend pas quelqu’un d’innocent pour le séquestrer, encore moins, plus grave encore, demander quelque chose en échange. » En clair, les prises d’otages sont illicites en islam.
*sur Al Jazeera,(TV arabe satellite, Doha) programme "Al Charia wal Hayat", (la Charia et le quotidien) du 20/09/2004.

De 1985 à 1987, neuf Français sont capturés au Liban par des islamistes proches de l’Iran : Marcel Fontaine, Marcel Carton, Jean-Paul Kaufmann, Philippe Rochot, Michel Seurat, Georges Hansen, Aurel Cornéa, Jean-Louis Normandin et Roger Auque.

François Mitterrand, en ce temps, présidait. Jacques Chirac occupait les fonctions de Premier ministre. Les deux visaient les élections présidentielles de 1988.

Mandaté par Mitterrand, Eric Rouleau se rendit à Téhéran en mars 1986. Il a dit : « Pendant que je négociais, des envoyés de M. Chirac, dans le même bâtiment, surenchérissaient » offrant des conditions plus avantageuses. Ceux-ci voulaient, affirme-t-il, faire correspondre « la livraison » des otages avec la campagne des élections présidentielles pour en attribuer le mérite aux réseaux Chirac.

Affabulation? Brusquement, dit Rouleau, les Iraniens mirent un terme aux pourparlers engagés à Téhéran. La libération de Carton, Fontaine et Kaufmann eut lieu le 4 mai 1988. Deux ans plus tard mais, surtout, quatre jours avant les élections présidentielles. Les deux acteurs principaux de cette libération à retardement s’appelaient Charles Pasqua et Jean-Charles Marchiani.

Pour ma part, emprisonné en 1975 par L’UNITA de Jonas Savimbi, l’un des mouvements en lutte pour s’emparer du pouvoir en Angola, j’ai vu ma libération retardée par les calculs de Giscard d’Estaing. L’évacuation la plus rapide passait par la Zambie. Mais la presse internationale ayant fait de ce pays sa base arrière pour suivre le conflit angolais, les autorités Françaises, favorables à Savimbi, décidèrent de mon retour par Kinshasa (Zaïre). Ma détention en fut allongée de quinze jours. Une semaine après mon départ, mes compagnons de détention angolais furent exécutés.

En matière de libération d’otages, le temps c’est de la vie qui s’épuise. Les retards voulus par les négociateurs en raison de sordides calculs sont toujours criminels.


Alain Chevalérias

est consultant au Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001

Lire aussi:
 
Retour Menu
Retour Page d'Accueil