de la révolte des Arabes |
avril 2011
Après la Tunisie et lÉgypte, la Libye à son tour sest soulevée. Kadhafi est acculé et, sans doute, quand ces lignes vous parviendront, aura-t-il été déchu, voire pire sil ne parvient pas à fuir. Au Yémen, contenues par Ali Abdallah Saleh, le retors Président du pays, les manifestations se multiplient. De même quau Bahreïn, en Algérie et maintenant au Maroc. Cela bouge même en Irak, ou le terrorisme est pourtant la cause dautres préoccupations, dans les territoires palestiniens et en Syrie. A la cause économique, dans certains pays à la colère suscité par la complicité des chefs dÉtats avec Israël et les États-Unis (1), sajoute un troisième « booster » à la colère des Arabes : le jeu des organisations islamistes et principalement des Frères musulmans. Limportance de lélément islamique semble, en particulier en Égypte, avoir été bien plus important que ne le laisse entendre en général la presse. Dans lancien pays des pharaons, les Frères musulmans (FM) proclament leur intervention en même temps quils se dévoilent par la voix de lun dentre eux, Khaled Hamza, le rédacteur en chef de leur site Internet, Ikhwan-web (2), Lanalyse des documents publiés à son nom ne manque pas dintérêt, en particulier une interview accordée à un chercheur français, Patrick Haenni. Il savère, quà légard du soulèvement populaire contre le régime de Hosni Moubarak, les FM étaient divisés. Les caciques du mouvement, la vieille garde, hésitaient à lancer leurs troupes dans la protestation. Dun côté, ils craignaient que la répression ne sabatte sur eux, les transformant en boucs émissaires de la police. De lautre, ils comprenaient limportance de leur participation à un soulèvement populaire pour préparer leur avenir en tant que parti politique. A luniversité Aïn Chams ou à celle du Caire, les jeunes militants des FM ne connaissaient pas les mêmes balancements. Le 25 décembre 2010, quand commencèrent les manifestations, appelées par « Facebook » (1), réseau social dInternet, ils se mobilisèrent. Ils entrèrent ainsi en contact avec des dissidents des FM qui, depuis plusieurs années, avaient quitté lorganisation. Une synergie se mettant en place entre les différents mouvements de contestation, la direction des FM fut obligée de suivre. Elle sinvestit, donc, mais avec prudence. Elle envoya des représentants sur la place Tahrir (4), quelques anciens députés et responsables du bureau exécutif, dit « Bureau de la guidance », accompagnés dun nombre limité de « jeunes » FM. Néanmoins, cette délégation se garda bien de se faire trop remarquer. Plus significatif, à aucun moment les FM nessayèrent dimposer leurs slogans, comme « Lislam est la solution », ou ne brandirent des exemplaires du coran en lair comme ils ont coutume de le faire. A première vue, on pourrait donc croire les FM sans rôle significatif dans le renversement de Moubarak. Ce serait une erreur. Dabord parce quà partir du 28 décembre, ils simpliquèrent plus lourdement, les jeunes Frères sinvestissant de plus en plus et la direction choisissant de les laisser faire. Ensuite en raison de leur rôle sur Internet. Lun de leur groupe, baptisé RNN.News2, par exemple, sattachait à rapporter les faits vus sur le terrain en évitant toute propagande. Pour cela, cette structure avait mis sur pied un réseau de 160 à 170 correspondants chargés dalimenter le site Internet en images. Comme le dit lui-même Khaled Hamza, « les Frères ont eu lintelligence de ne pas islamiser la révolution ». Quel avenir désormais pour les FM au sein de la société égyptienne ? Une réflexion dHamza nous apporte un début de réponse : « Parmi les jeunes Frères, explique-t-il, domine désormais lidée que loption de Hassan Al-Bannah (5) de changement progressif de la société « par le bas » a été une erreur. Les jeunes comprennent quils se sont enfermés dans un dilemme entre une stratégie de transformation par le bas, par lencadrement de la société, et une stratégie « par le haut », putschiste et violente. Entre les deux, ils découvrent une autre voie, la protestation civile, pacifiste, de masse, la stratégie des manifestations du million ». La discussion est maintenant enclenchée au sein de la confrérie, rapporte Hamza. En opposition avec les anciens, les jeunes disent : « Nous voulons un État pour les musulmans, pas un État islamique ». Le renoncement à lÉtat islamique peut apparaître fondamental. Surtout que, ces jeunes, les futurs décideurs des FM, ajoutent quils souhaitent « un État qui préserve les libertés publiques, la justice sociale, la séparation des pouvoirs et légalité » entre les citoyens. Une formulation plus conforme à lÉtat de droit à laquelle nous souscrivons quà lÉtat islamique, dont la seule référence est la charia, la loi islamique. Ils vont plus loin et ajoutent que lÉtat décrit plus haut « garantit les grands buts de la charia ». Jusquoù ce discours nest-il cependant pas de circonstance et destiné à tromper les naïfs ? Hamza prononce des mots qui nous incitent à le penser. Il laisse tomber : « Qui dit encore que nous voulons lÉtat islamique, ce qui aurait pour seul effet de nous attirer lhostilité des autres forces qui ont aussi pris part à la révolution ? » On sent lexemple turc servir de référence non-dite. Or que signifie ce dernier ? : éviter de faire peur et, au contraire, séduire la population par des actions positives dans les secteurs de léducation, de la charité publique ou de la médecine de proximité afin de semparer de lÉtat par les urnes. On peut alors procéder à la « réislamisation » progressive de la société. Comme aujourdhui le gouvernement turc le fait, répandant par exemple lusage du voile dans la cité et interdisant petit à petit les débits de boissons alcoolisées. Dans un tel contexte, on le comprend, pour les démocraties, le combat ne saurait être dordre policier. La voie politique simpose. Encore faut-il, pour cela, avoir une idéologie construite à opposer pour convaincre lopinion. Or, tout le problème est là : les slogans des Occidentaux sont de plus en plus creux et leur discours suinte dhypocrisie, comme on la vu en Irak. Ancienne ou nouvelle, lidéologie des FM tire sa force de la faiblesse de la nôtre. (1) Voir l'article « La
haine dIsraël et de lAmérique
». |
Rappel de
lhistorique La première cellule des Frères musulmans fut créée en 1928 à Ismaïlia, sur le canal de Suez, où le fondateur de la confrérie, Hassan Al-Banna, avait été envoyé comme instituteur. Vingt ans plus tard, lorganisation comptait deux millions de membres répandus à travers toute lÉgypte. Né dans une famille très religieuse, Al-Banna nourrissait un sentiment dadmiration pour la monarchie saoudienne et son idéologie, le wahhabisme. Dans son discours et ses écrits, il affirmait que « lIslam est une loi complète pour diriger cette vie et lautre ». Dans le « credo » des Frères, on lit : « Je crois que chaque musulman a pour mission déduquer le monde selon les principes de lislam ». Les jeunes recrues sengagent aussi « à accomplir le jihad ». La perte de contrôle de la tête de la confrérie sur la base nest pas nouvelle. Ainsi, au printemps 1948, un jeune Frère tua un juge et en novembre, deux officiers britanniques furent lynchés au cours dune manifestation des FM, provoquant une vague de répression contre eux. Le 12 février 1949, Al-Banna fut assassiné dans un attentat, apparemment organisé par la police. Après une période de retour en grâce, sous Nasser, dont ils avaient favorisé laccès au pouvoir, les FM se virent à nouveau victimes de restrictions en janvier 1954. Jamais totalement interdits, mais surveillés, parfois soumis à des poussées de répression, les Frères nen continuèrent pas moins de recruter. Sous Sadate, puis sous Moubarak, ils ne pouvaient pas former de parti politique. Mais, en 2005, se présentant à nouveau sous létiquette « indépendant », ils raflèrent 20% des sièges provoquant un véritable bouclage des bureaux de vote par la police pour le deuxième tour. "L'islam est la solution", peut-on lire sur cette affiche d'un candidat Frère Musulman. (Elections législatives 2005) |
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