Le Parlement pakistanais contre l’intervention
de son armée au Yémen

mai 2015

L’affaire est passée quasiment sous silence en France. Elle est pourtant d’importance en même temps que révélatrice des rapports de forces dans la région.

Le 26 mars, lançant l’offensive d’une coalition arabo-sunnite contre les Houthis du Yémen voir ci-dessous), l’Arabie Saoudite annonçait la participation du Pakistan. Cela allait de soit, le Pakistan dépendant économiquement de l’Arabie Saoudite et sa fourniture à celle-ci de militaires représentant une autre source de revenus.

Mais le 10 avril, le Parlement pakistanais rejetait la demande de participation formulée par l’Arabie Saoudite et appelait le gouvernement à rester neutre.

À l’analyse, on comprend la réaction du Parlement d’Islamabad.
La population pakistanaise, certes à majorité sunnite, est cependant chiite à 30%. De plus, cette minorité est idéologiquement pénétrée par l’Iran voisin. S’engageant contre les Houthis du Yémen soutenus par Téhéran, le
Pakistan risque qu’une nouvelle campagne de terrorisme, chiite cette fois, ne s’abatte sur lui.
De plus, on sait le Pakistan intégré dans un projet économique chinois, Pékin envisageant l’acheminement du gaz iranien par le territoire pakistanais. Or Islamabad dépend aussi beaucoup de Pékin. Autrement dit, sauf à payer très cher l’aide du Pakistan, l’Arabie Saoudite devra s’en passer.

Ce n’est pas sans conséquences. Dans le cas d’une confrontation directe avec l’Iran, le Pakistan était, avec l’Égypte, un pays potentiellement pourvoyeur de troupes. Aussi, le rapport de forces entre la coalition menée par l’Arabie Saoudite et l’Iran n’est-il plus le même sans le Pakistan .


Les Saoudiens s’en vont en guerre au Yémen

 

Le 26 mars, on apprenait que, dans la nuit, les avions d’une coalition avaient attaqué la rébellion des Houthis au Yémen.

L’Arabie Saoudite apparaissait comme le chef de file de l’intervention. Cette dernière répondait à la prise de la capitale, Sanaa, par les Houthis et à la destitution du Président en place.

Il faut savoir les Houthis des rebelles chiites zaydites (*). Sur le plan du dogme, ils apparaissent éloignés de la principale branche du chiisme, celui pratiqué en Iran, mais sont néanmoins soutenus par Téhéran, qui multiplie ses points d’ancrage politico-religieux dans les pays à majorité sunnite comme le Yémen.

On comprend dès lors que la coalition soit formée de pays sunnites, tous arabes à l’exception du Pakistan, pour sa part très lié militairement et économiquement à l’Arabie Saoudite. Si la participation des pays du Golfe arabo-persique (Qatar, EAU, Bahreïn, Koweït) et de l’Égypte n’est pas une surprise, celles du Maroc, lointain pays du Maghreb, ou de la Jordanie, en générale prudente, et du Soudan, sont plus inattendues.

Elles prouvent que les menées de Téhéran ont beaucoup élargi le cercle de ses ennemis. Dès lors, peut-on craindre, dans l’immédiat, une guerre frontale entre les pays arabes et l’Iran ?
À elle seule, l’Arabie Saoudite dispose d’un budget militaire de 30 milliards de dollars par an, et est passée à 57 milliards pour 2015, quand l’Iran se contente de 9 milliards de dollars. Les Émirats à eux seuls, disposent de 16 milliards.

Sur le plan du nombre d’hommes, certes l’Iran apparaît en bonne place avec 755 000 soldats mais l’Arabie Saoudite, le Pakistan et l’Égypte peuvent mettre ensemble un million et demi de troupes en ligne. En clair, l’Iran ne fait pas le poids ! Téhéran ne se fait pas d’illusions et, dans les jours suivant le début de l’intervention arabe, a fait dire par ses diplomates qu’ « il n’y a pas de solution autre que politique à la crise yéménite ».

Côté saoudien, on ne se montre pas plus emporté. Sans attendre, le roi Salmane déclarait, dans une dépêche de l’agence officielle SPA, les autorités saoudiennes prêtes à rencontrer les représentants « des partis politiques yéménites attachés à la sécurité et à la stabilité de leur pays ». Il ajoutait vouloir la préservation de la légalité, c’est à dire le retour du Président de la République chassé par les Houthis et, comme condition du dialogue, réclamait le désarmement des milices.

À y réfléchir, il se pourrait que les Saoudiens aient joué un coup de maître. Attaquant les Houthis, ils facilitent un retour à la légalité en même temps qu’ils donnent un signal fort à l’Iran, au Yémen, certes, mais aussi en Syrie et en Irak. Ils montrent que la guerre contre Daech (l’État islamique) ne doit pas servir de prétexte à Téhéran pour prendre le contrôle de la région.

Mais, réclamant en condition de dialogue le désarmement des milices, c’est à dire sans doute des Houthis, mais aussi de Daech et de l’AQPA (Al-Qaïda dans la Péninsule arabe), l’Arabie Saoudite rappelle sa nouvelle détermination contre ses autres adversaires dans la région, fussent-ils un peu ses enfants, les jihadistes.

 

Note

* On sait les chiites donnant à leurs chefs suprêmes le titre d’imam. En 713, à la mort du 4ème imam, les Zaydites ont refusé son successeur et se sont donné leur propre leader, créant une nouvelle branche du chiisme.


Menace voilée de l’Iran contre l’Arabie Saoudite

IRIB, la Radio Télévision iranienne, a publié un article des plus troublants. On lit : « L’est saoudien, où habite une majorité de Chiites saoudiens et de Saoudiens d’origine yéménite, ressemble selon les témoins à une véritable poudrière... C’est là qu’est extraite entre 50 et 70% de la totalité de la production pétrolière saoudienne... » Et d’expliquer : « La minorité chiite, qu’elle a toujours maltraitée (et) les Yéménites (...) ont plus d’une raison de vouloir mettre le feu à ces puits... Le roi Salman (d’Arabie) a-t-il pensé à tous ces risques quand il a donné l’ordre d’attaquer jeudi ?» le 26 mars dernier.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
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