RÉVÉLATIONS SUR DAECH

juin 2015

Daech, ou l’État islamique, est né en Irak en 2006 de la fusion de plusieurs groupes jihadistes dont Al-Qaïda. À partir de 2013, il étendit son pouvoir jusqu’à la Syrie, installant sa « capitale » dans le nord de ce pays, à Raqqa, sur l’Euphrate. Depuis, il a pris ses distances d’Al Qaïda, allant jusqu’à combattre en Syrie une organisation jihadiste concurrente, Al-Nosra, qui après avoir déclaré son allégeance à Al-Qaïda tendrait elle-même à s’en dégager. Très tôt, on avait détecté une forte présence d’anciens officiers de Saddam Hussein au sein de Daech. Nous avions d’abord attribué ce phénomène à l’alliance des tribus sunnites irakiennes à cette organisation par dépit suite à l’offensive américaine de 2003, les hommes de Saddam étant autrefois recrutés dans les mêmes ethnies. Il semble que la collusion entre les « saddamistes » et les jihadistes de Daech soit plus profonde que nous le pensions. On pourrait alors parler de récupération et d’instrumentalisation des jihadistes par les d’anciens officiers de Saddam pour se venger.

Nous devons les informations permettant d’avancer cette thèse à des documents découverts à Tal Rifaat, à une trentaine de km au nord d’Alep (Syrie). Rachetés par l’hebdomadaire allemand « Der Spiegel », ils constituaient les archives d’un certain Haji Bakr, ancien colonel dans l’armée de Saddam Hussein


Haji Bakr avait rejoint le groupe d’Abou Moussab Al-Zarqaoui (1) à la chute du régime de Saddam. Arrêté et interné pendant deux ans par les Américains, il rejoignit le futur Daech puis, en 2013, partit pour Alep afin d’organiser les structures de l’organisation en Syrie.

Certains l’appelaient « le Maître de l’ombre ». Avec raison : il s’installa dans une maison discrète de Tal Rifaat, sans apparat, sans protection particulière, se fondant ainsi dans la population, avec sa femme pour seule compagnie. Là, il s’activa à recruter des agents, créant un réseau selon une méthode précise.

Pour ce faire, il faisait d’abord ouvrir un centre de prédication religieuse dans l’agglomération où il voulait s’implanter. Les éléments radicalisables étaient alors repérés et formés aux techniques de renseignement. Ces recrues avaient la mission de ficher la population pour détecter les familles riches et puissantes, leurs sources de revenus, établir la liste de leurs membres et détecter leurs faiblesses, en particulier leur activités illégales au regard de la loi islamique afin de les faire chanter.

Plus qu’une structure islamique, c’est un service de renseignement de type totalitaire qu’Haji Bakr mettait en place. Dans chaque province, il nommait un émir, (2) sous ses ordres un commandant en charge d’une brigade exécutant les assassinats et les enlèvements et assurant les communications, le codage. Surtout, un émir avait la fonction de surveiller les autres émirs, comme le dit Der Spiegel : « Au cas où ils ne feraient pas bien leur travail ».

Haji Bakr, le colonel Samir comme il se faisait appeler, n’avait rien d’un religieux. L’idéologie islamiste ne l’intéressait pas. On n’a même pas retrouvé un Coran dans son antre. Il n’était qu’un technicien de la guerre subversive.

Autre particularité, pour combattre et former l’armée à proprement parler, il ne comptait pas sur les Syriens, encore moins les Irakiens. C’est aux extrémistes étrangers qu’il fit appel. Plus facilement fanatisables, ces derniers n’étaient pas rebutés par les pires exactions contre des populations avec lesquelles ils n’avaient aucun lien. Ils étaient ainsi de meilleurs instruments de terreur.

Une fois les réseaux de renseignement mis en place, quelques hommes de Daech entraient dans les villes les moins tenues par les autorités de Damas. Au début, ils procédaient sans violence. Puis comme à Raqqa en mars 2013, ils faisaient élire un conseil de la ville constitué de notables volontaires. Ils lançaient un mouvement pour les femmes, un autre pour les jeunes. Ils appelaient les gens à s’organiser pour défendre leurs droits. Une société ouverte et « démocratique » semblait se mettre en place. Cela permettait à Haji Bakr et ses sbires d’identifier les meneurs et les opposants potentiels.

Alors, la chape de plomb tombait. Les uns après les autres, les opposants potentiels disparaissaient. Toujours masqués, les hommes de Daech nettoyaient la ville. Ainsi plusieurs régions aujourd’hui sous le contrôle du groupe terroriste sont-elles tombées sans combat.

Notes

(1) Zarqaoui était affilié à Al-Qaïda et combattait en Irak. Il a été tué en juin 2006 dans un bombardement américain ciblé.
(2) Émir veut dire chef en arabe.

 

 L’attaque US
contre Daech
remise en question

Dans la nuit du 15 au 16 mai, un commando héliporté américain a attaqué un bâtiment occupé par des administratifs de Daech à côté d’Al-Mayadin, sur le site pétrolier d’Omar, dans l’est de la Syrie.

Il s’agit de la principale région productrice de pétrole de Syrie. Les Américains voulaient de toute évidence porter un coup à la principale source d’enrichissement de Daech en Syrie, l’or noir.

La Maison Blanche a affirmé avoir tué plusieurs hommes de Daech, dont un certain Abu Sayyaf, un Tunisien qu’elle présente comme un haut responsable de l’organisation, en charge pour sa part des finances et de la vente du pétrole. Les Américains disent aussi avoir capturé sa femme, appelée Oum Sayyaf, et délivré une femme yezidie réduite à l’esclavage.

Nos correspondants en Syrie disent ces informations très exagérées. Ils affirment qu’Abou Sayyaf est un opérationnel du terrain sans responsabilités significatives. D’autre part, toujours selon nos sources, sa femme n’a pas été capturée. Elle réside en effet à Al-Mayadin, où vivait normalement son mari, mais qui était de permanence sur son lieu de travail la nuit de l’attaque.

Cette opération est la première avec intervention d’hommes au sol depuis le début de l’offensive lancée par Washington et ses alliés dans la région. Il semble que les Américains soient loin d’avoir atteint les objectifs escomptés leurs renseignements étant erronés.

D’un côté on ne peut que se réjouir de voir les États-Unis s’impliquer dans la lutte contre Daech, qui ne peut se faire sans eux. De l’autre, on se doit de les inviter, le plus amicalement du monde, à mieux gérer leurs sources d’informations.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
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