DÉSTABILISATION IRANIENNE
EN AFRIQUE NOIRE

janvier 2016

Combien d'habitants de Zaria ont-ils été tués par l'armée nigériane à la mi-décembre ? Les langues se délient. Dans les milieux humanitaires et hospitaliers, on a compté des centaines de corps. L'IMN, le Mouvement islamique du Nigeria parle de 730 disparus.

Derrière ce massacre se cache un conflit religieux inter-islamique. L'IMN est un mouvement chiite apparu au début des années 80 dans un Nigeria où les musulmans sont tous sunnites. Son fondateur, un religieux né à Zaria, Ibrahim Zakzaky, revenait d'un voyage en Iran où il s'était converti au chiisme.

A l'époque, la Révolution iranienne de 1979 enflammait les esprits des jeunes musulmans épris de justice et de puritanisme religieux. Sur ce terrain Zakzaky était influençable. Ancien dirigeant des Frères musulmans à l'université, il avait conduit des manifestations accompagnées d'autodafés de la Constitution nigériane pour protester contre la laïcité de l'État.

Pour trouver des recrues, Zakzaky organisa de vastes meetings religieux consacrés à la publicité de la voie iranienne. Du même coup, comme souvent les organisations islamistes, il créait des écoles, des organismes de bienfaisance et des structures médicales. Les financements lui étant assurés par l'Iran, il recruta largement dans les milieux défavorisés allant, selon certaines estimations, jusqu'à toucher un million de personnes.

Viscéralement hostile à l'état de droit, aux responsables sunnites, aux traditions chrétiennes et à tout ce qui est occidental, Zakzaky suscite l'hostilité de tous. Néanmoins, s'il tient un discours proche de celui de Boko Haram, allant jusqu'à parler de jihad, il retient ses troupes.

Sur ce terrain, les événements du 12 décembre 2015 pourraient remettre en cause cette retenue de circonstance. Tout a commencé quand l'escorte du général Tukur Yusuf Buratai, chef d'état-major des armées, a été stoppée à Zaria par un barrage de l'IMN installé pour faciliter le passage d'une procession religieuse. L'arrogance du soldat et la suffisance des religieux se sont faites face. Les premiers coups de feu sont partis. La tension de la soldatesque et la haine anti-chiite ont fait le reste. Les partisans de Zakzaky ont répondu avec les moyens du bord, des pierres et des cocktails Molotov.

Dans cette affaire, on ne peut nier la brutalité et le manque de self-contrôle des militaires nigérians. On ne peut pas manquer non plus de signaler la dangerosité de la stratégie de pénétration iranienne en Afrique noire.

Le chiisme est arrivé sur le continent avec les Libanais de cette confession venus faire fortune dans l'empire colonial français. Le Hezbollah, dans une vaste campagne de sensibilisation, a bien essayé d'en faire son outil de propagande à partir des années 90, mais sans grand succès. Sauf exceptions, les Libanais d'Afrique privilégient les affaires sur les aventures idéologiques.

L'Iran de Khomeiny a vu dans ce continent une opportunité avec sa population sunnite vivant souvent dans la misère. Il suffisait d'un peu d'argent pour faire basculer des ventres affamés.

Il faut dire les ayatollahs jouissant d'une longue tradition en la matière. Pour ne pas remonter trop loin dans le passé, l'Empire safavide * avait mis au point une stratégie de missions chiites chargées d'infiltrer l'Empire ottoman afin de déstabiliser le pouvoir central sunnite en se servant du prétexte religieux.

En Afrique noire, l'Iran travaille à susciter un bouleversement global en favorisant l'apparition de Républiques islamiques sur le modèle fondé par l'Imam Khomeiny.

Par le haut, ils s'y sont essayés en vain dans les années 90 au Soudan en s'alliant au pouvoir en place sous la férule du général Omar Al-Bachir. Le réflexe sunnite et les pressions de l'Arabie Saoudite ont été trop forts. Les Iraniens ont été à peine plus chanceux aux Comores avec l'élection du Président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, surnommé l'ayatollah, qui bien que sunnite a poursuivi des études à Qom, le centre des études religieuses en Iran. Mais élu en 2006, il a dû céder le pouvoir en 2011, renonçant à faire du pays une République islamique.

Ailleurs, Téhéran travaille les couches populaires. Au Sénégal, Cheikh Mohammad Ali Aïdara, un arabe dont la famille vient de Mauritanie, a fondé plusieurs structures éducatives et humanitaires qui se réclament du chiisme. À Niamey, capitale du Niger, les Iraniens financent deux écoles et le lycée Az-Zahra dans le quartier de Lazaret. Le guide de la communauté chiite installée là s'appelle El Haj Salifou Ahmed.

On découvre de ces communautés chiites d'Africains anciennement sunnites dans toute l'Afrique de l'Ouest : au Mali, en Côte d'Ivoire, au Bénin, au Burkina-Faso etc...

À chaque fois on décrypte les mêmes tensions avec la majorité sunnite, les mêmes inquiétudes de la part des pouvoirs en place. Les mêmes risques de dérives violentes qu'au Nigeria.

Note

* Empire perse dirigé par la dynastie des Safavides de 1501 à 1736.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

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