LA GENÈSE
DES ISLAMISTES DE LONDRES

septembre 2005
 Nous sommes au printemps 1985. Pour la quatrième fois, passant par le Pakistan, je pars pour l'Afghanistan. Depuis décembre 1979, les Soviétiques occupent militairement ce pays. Comme d'autres journalistes et membres d'organisations humanitaires, je passe la frontière, et survis dans les montagnes avec l'aide de la Résistance. Mon plus long voyage durera huit mois. Le plus court, trois mois. Je viens d'arriver dans une maison louée dans la zone tribale par les résistants, les moudjahidine comme ont les appelle. A quelques kilomètres de la terre afghane.

Trois camions Bedford occupent une partie de la cour. A côté s'entassent des caisses d'armes et de munitions. Je compte plusieurs centaines de roquettes anti-char de fabrication chinoise.

Des dizaines de combattants sont assis sur des bâches. Kalachnikovs en travers des genoux, la plupart n'ont pas dix-huit ans. Je reconnais une poignée d'anciens. Nous scellons les retrouvailles en buvant quelques verres de thé.

Des personnages étranges attirent cependant mon attention. Il sont quatre, assis un peu à l'écart, mais traités avec égard par les moudjahidine. Dans la chaleur étouffante, ils étanchent leur soif avec force sodas tirés d'un seau de glace. Un luxe pour les Afghans désargentés.

J'interroge le responsable de l'endroit, un homme d'une quarantaine d'années la main estropiée par l'explosion d'une grenade :
"Qui sont ces gens?
- Des Arabes venus combattre avec nous contre les Soviétiques," m'explique-t-il.

Curieux, je m'approche des quatre hommes. Agé d'une trentaine d'années, l'un d'eux, qui paraît le chef, cache son visage émacié derrière une barbe noire. Vêtu d'une tenue sombre, à mon approche, il jette un regard méfiant. Je sens en lui l'agressivité. Il ne répond pas à mes salutations. Plus jeune, l'air un peu perdu, l'un de ses compagnons accepte de dire quelques mots, à ma surprise, en français. Il est Algérien et prétend être venu au Pakistan pour poursuivre des études. Serrée dans la main, sa kalachnikov dément son propos. Sentant l'hostilité des trois autres, je n'insiste pas.

Le soir, à la lueur des lampes à pétrole, je vois quelques Afghans entourer le groupe d'Arabes. Le plus vieux parle d'abondance dans un persan hésitant agrémenté de mots puisés dans le lexique de sa propre langue. Il tient des propos étonnants.

"Les médecins français, affirme-t-il, veulent détruire l'islam."

A l'écouter, notre généreuse jeunesse venue, au risque de sa vie, aider les Afghans avec " Médecin Sans Frontière " ou de " Médecins du Monde, " distribuerait des photos de femmes nues à ses patients et, comble de l'horreur aux yeux de ces musulmans, des crucifix. Si ces calomnies font souche, les jeunes Européens intégrés dans les maquis risquent de se faire écharper par la population.

L'homme est intarissable.
"Savez-vous à qui appartient le monde? Avance-t-il avec autorité.
Devant le silence du cercle formé autour de lui, il affirme:
- Mais aux musulmans, bien sûr ! Et un jour, nous convertirons tous les infidèles à l'islam. Nous leur ferons la guerre sainte et gouvernerons la planète..."

***

Quelques jours plus tard, sur la route afghane, l'Arabe à la barbe noire daignera m'adresser la parole. Il a retrouvé l'usage du français, dont il prétendait tout ignorer. Ayant entendu parler de ma relation d'amitié avec Zabihullah, le chef de maquis de Mazar-e-Sharif, il cherche à me convertir à sa religion. J'en profite pour en savoir plus.

"Pourquoi ne pas nous rejoindre? Offre-t-il. Déjà des milliers de tes compatriotes ont pris la vraie religion. Bientôt des millions vont se convertir. Nous installerons un gouvernement islamique à Paris et appliquerons la charia (la loi islamique) sur l'ensemble du pays.
- Qu'adviendra-t-il des Français qui refuseront de se soumettre ?
Osai-je.
- Ceux qui accepteront de payer un impôt spécial, la "jizya", pourront pratiquer librement leur religion. Les autres seront exécutés. C'est l'ordre de Dieu...
- Et les athées?
- Les impies doivent mourir".

J'apprends aussi, qu'Algérien, il se fait appeler Abdallah Anass (Abdallah Anas), de son vrai nom Boudjemah Bounoua. Je n'ai pas fini d'entendre parler de lui.

***


Moins d'une semaine plus tard, nos camions s'infiltrent en Afghanistan. Mais, notre voyage en camion est interrompu à une centaine de kilomètres de la frontière. L'aviation nous a repérés et, devant nous, nous informe la population, un convoi est tombé dans une embuscade. Nous nous replions sur le Pakistan. Je prépare un nouveau départ, préférant me déplacer à cheval.

Je profite de ce changement de programme, pour me rendre à l'ambassade des États-Unis à Islamabad, capitale du Pakistan. En tant que principal soutien de la résistance, je crois les Américains seuls capables de gérer la menace des extrémistes arabes.

Un grand gaillard rougeaud me reçoit dans un bureau réservé aux entretiens. Je ne me souviens plus de son nom. Je ne suis même pas sûr qu'il soit un authentique diplomate. D'instinct je sens un homme de la CIA. Peu m'importe, je veux faire passer l'information. Il m'écoute.

Après les présentations d'usage, j'entre dans le vif du sujet: "J'ai rencontré des Arabes intégristes à la frontière et à l'intérieur de l'Afghanistan. Ils endoctrinent les Afghans et les montent contre l'Occident, principalement contre les médecins et employés humanitaires étrangers présents à l'intérieur. A mon avis, il y a un vrai danger pour la sécurité des étrangers et, à long terme, pour nos pays".

L'Américain affiche un grand sourire plein d'assurance pour asséner d'un ton protecteur : " Ne vous inquiétez pas, tout est sous contrôle. "

Cette affirmation péremptoire, je m'en souviendrai au moment le plus dur pour l'Amérique : le 11 septembre 2001.

Le rôle des Américains ne fait plus de doute aujourd'hui. Au Pakistan, ils contrôlent plusieurs camps où ils entraînent les Afghans. Dans l'agglomération d'Islamabad-Rawalpindi, par exemple, ils disposent d'une base souterraine où, ils instruisent des combattants à la mise en oeuvre des Stingers, ces missiles antiaériens qui changeront la face de la guerre. Or, dans ces bases, des Arabes reçoivent une formation militaire aux côtés des Afghans. La CIA le sait mieux que quiconque.

Pire, elle encourage les extrémistes arabes à rejoindre les fronts de la guérilla. Elle facilite l'obtention des visas et distribue des cassettes vidéos illustrant les combats contre les Soviétiques.

Preuve de mon inquiétude, je serais le premier journaliste à publier des articles sur l'arrivée des " Arabes " en Afghanistan (1).

Avec Abdallah Anass (Abdallah Anas), dont nous avons parlé plus haut, sans le savoir, je touche le coeur du dispositif arabo-islamiste en Afghanistan et au Pakistan. Anass fait partie de l'organisation dénommée " Bureau de service du jihad, " créée par le Palestinien Abdallah Azzam pour encadrer les Arabes partant en Afghanistan.

Au sens le plus complet du terme, Abdallah Azzam est le maître d'Oussama Ben Laden. A la fin des années 70, il lui a enseigné la théologie à l'université de Jeddah et, profitant des bonnes dispositions de l'adolescent, alors âgé d'une quinzaine d'années, il en a fait un adepte de l'islamisme.

Abdallah Azzam n'est pas n'importe qui. Il appartient à l'organisation des Frères musulmans (2) et donne de nombreuses conférences de par le monde. Il enseigne : " Seuls le jihad et le fusil. Aucune négociation, aucun discours et aucun dialogue... "

Anass a épousé l'une des filles d'Azzam. Un lien de profonde fraternité chez les islamistes. En 1992, il prendra fait et cause pour la révolte islamiste en Algérie. Il ne porte pas les armes mais, comme en Afghanistan, où il prenait ses distances des lieux de combat, de l'arrière il exhorte les recrues au sacrifice.

Très tôt, les services français ont identifié Abdallah Anass (Abdallah Anas). Il se voit interdire l'accès à notre territoire. Les Britanniques n'ont pas les mêmes méfiances. Ils le laissent s'installer à Londres où, sans ironie, il ouvrira une boucherie. Avec la complicité active de Londres, on le voit parfois parader sur Al Jazeera, la télévision basée au Qatar, pour proclamer ses idées perverses.

Grâce à des hommes comme Abdallah Anass (Abdallah Anas), voilà comment l'idée des attentats des 7 et 21 juillet derniers à Londres a pu germer dans les cerveaux de jeunes musulmans. Mais on voit aussi, après le 11 septembre 2001, les Anglo-Saxons à nouveau victimes de leurs méthodes.


Alain Chevalérias

est consultant au:

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001

 

 

 

 

 

 

 
Livre biographie de Ben Laden:"La Guerre Infernale: Le montage Ben Laden et ses conséquences"
 

 Pour commander le livre écrivez au Coordinateur
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Les Stinger
Ces missiles antiaériens qui changeront la face de la guerre
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Abdallah Azzam
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Boudjemah Bounoua alias Abdallah Anass
(Abdallah Anas)

 NOTES

(1)Notamment dans " Le Journal de Genève, " " Spectacle du Monde, " etc...
(2) Lire :Les Frères Musulmans

Retour Page d'Accueil
Retour Menu