Le Dan Fodio (1) du Nord Mali |
juin 2012
Depuis le début du mois de mars, devenu une donnée incontournable du soulèvement touareg, Iyad Ag Ghali défraie la chronique. La CEDEAO (Communauté économique des États de lAfrique de lOuest), inquiète de la déstabilisation du Nord Mali et des risques de partition, met sur pied un plan dintervention militaire avec plusieurs pays de la région. Lenjeu concerne la sécurité dune quinzaine dÉtats périphériques, les États-Unis, soucieux dendiguer lislamisme radical, et la France, qui ne peut renoncer à ses investissements humains et économiques en Afrique sub-saharienne (2). Âgé dune cinquantaine dannées, Iyad Ag Ghali est originaire de la région de Kidal (Nord Mali). Cest un Kel Afella, tribu touarègue noble de la confédération des Ifoghas (3). Au début des années 80, fuyant la pauvreté, il se rend en Libye où il entre dans la « Légion islamique » fondée par le colonel Kadhafi. Il aurait alors servi au Liban contre les résistants chrétiens. Le 28 juin 1990, avec Ibrahim Ag Bahanga (4), il dirige la seconde rébellion touarègue. En 1992, déposant les armes, il participe au Pacte national de réconciliation et devient conseiller du Président de la République du Mali. Lui, qui ne boudait pas un verre de whisky, se rallie à lislamisme aux environs de 1995. De 1996 à 1998, il introduit dans sa région des fondamentalistes pakistanais qui viennent prêcher lislam radical dans les mosquées. En 2003, Ag Ghali entre en relation avec les dirigeants du GSPC (5), en tant que négociateur, afin dobtenir la libération des otages occidentaux capturés dans le Sahara. Le 23 mai 2006, il participe à une nouvelle insurrection touarègue qui se termine en juillet à la suite des accords dAlger. Le Président du Mali, ATT (Amadou Toumani Touré), estime plus prudent déloigner ce remuant personnage et, en 2007, le nomme conseiller consulaire à lambassade du Mali en Arabie Saoudite. Mais Ag Ghali continue dentretenir des contacts par téléphone avec les islamistes algériens. Ayant capté ses communications, les Saoudiens lexpulsent et, via Paris, le renvoient à Bamako fin mai 2010.
Le Mali. En jaune foncé, la région revendiquée par la rébellion touarègue du MNLA.
À la fin de lannée 2011, il disparaît de la capitale malienne et rejoint le nord du pays. Les Touaregs préparant une nouvelle rébellion, il cherche à simposer comme chef du mouvement en formation, le MNLA ou Mouvement national de libération de lAzawad. Manque de chance pour lui, on ne lui offre quun strapontin de président dhonneur. Se repliant sur les jeunes gens de sa confédération tribale, il constitue un groupe à part, Ansar Eddine. Au mois de décembre, il dit à un témoin : « Il y a quatre formations dans la région : le MNLA, lAQMI, les trafiquants de drogue et moi, avec Ansar Eddine ». Preuve que le soulèvement du 17 janvier 2012 navait rien dimpromptu. Le MNLA fait alors mine de le considérer
comme quantité négligeable, le désignant
comme une partie de leur mouvement. Mais le 14 mars, après
la chute de la base de Tessalit aux mains des insurgés,
devant les hommes rassemblés, il fait descendre le drapeau
du MNLA, qui remplace les couleurs maliennes, et hisse loriflamme
noire des islamistes. Puis, il dit aux combattants du MNLA :
« Ceux qui veulent rejoindre mes forces peuvent rester.
Les autres doivent partir ». Cest un véritable
coup dÉtat. Le 1er avril, certes, le MNLA sempare de Tombouctou mais Ansar Eddine pénètre dans le centre ville et loblige à camper sur la périphérie. Plus inquiétant, des responsables de lAQMI, comme Abou Zeid et Mohktar Ben Mokhtar, sont vus sur place. La collusion entre la succursale dAl-Qaïda au Maghreb et Ansar Eddine se voit confirmée. Une relation dautant mieux scellée quun chef de bande de lAQMI, Amada Ag Hama, connu sous le nom dAbdelkrim le Touareg, est un cousin dAg Ghali. Certains peuvent croire la solution dans la division du Mali en deux entités, le sud gardé par les populations négro-africaines, et le nord abandonné aux Touaregs. Ce serait cependant faire fi de deux réalités. Dune part, dans la région quils revendiquent et désignent sous le nom dAzawad, les Touaregs, des Blancs et des Noirs, sont minoritaires. À Tombouctou, ils ne représentent que 10% de la population. Reconnaître lindépendance à cette ethnie reviendrait à placer les autres, en particulier les Songhays, voire les Peulhs et les Arabes, sous leur domination. Dautre part, si le MNLA revendique un État touareg indépendant, Ag Ghali, après avoir rejoint leur cause, déclare désormais vouloir étendre la loi islamique non seulement au nord, mais aussi sur lensemble du Mali. Il soppose à sa partition. En clair, même avec un nord indépendant, le sud serait toujours exposé aux tentatives de conquête des islamistes dAg Ghali et de lAQMI. En dautres termes, si un certain degré dautonomie peut être concédé au Nord Mali, et non pas aux Touaregs, pour surmonter les difficultés de Bamako à gérer cette région, aucune concession nest tolérable en direction dAg Ghali. Certes, lhomme est habile et intelligent. À Tombouctou il sest opposé aux pillages des différentes factions et a facilité, ou au moins toléré, lexfiltration des derniers Occidentaux. Le 24 avril, il a même libéré une ressortissante suisse prise en otage par des hommes agissant pour le compte de lAQMI. Mais négocier avec lui reviendrait à lauréoler de prestige et à lencourager dans sa tentative de transformer le Mali en émirat islamiste, voire, comme Dan Fodio, de se tailler un empire aux dépens des autres pays et au nom de lislam radical. Alain Chevalérias
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