LE PUTSCH
DU 21
MARS 2012
Le 21 mars, j'étais à Bamako,
capitale du Mali, quand le camp militaire de Kati se soulevait.
En quelques heures, toutes les garnisons de la capitale, puis
des agglomérations du pays, basculaient aux côtés
de la rébellion. Dès les premiers jours, un nom
surgissait à la tête de ce qui prenait l'air d'un
putsch, celui du capitaine Amadou Haya Sanogo (1).
Quasi inconnu jusqu'alors, cet officier d'une quarantaine d'années
n'a pas un parcours professionnel anodin. Du coup, on en vient
à se demander s'il n'est pas, peu ou prou, contrôlé
de l'extérieur.
Tout commence le 20 mars, quand
une manifestation de femmes de militaires est repoussée
par la police. Les épouses des soldats viennent du camp
Soundiata Keïta (2) de
Kati, garnison située à une quinzaine de km au
nord-ouest de Bamako. Elles refusent de voir leurs hommes
partir combattre la rébellion touarègue, dans le
nord du pays, affirmant qu'ils sont sous-équipés
et manquent de munitions.
Un second cortège est prévu.
Cette fois, il sera encadré par des soldats en armes,
prêt à faire face aux policiers. Le matin du 21
mars, Sadio Gassama, le ministre de la Défense, se
rend à Kati pour dissuader les mécontents
de manifester. Il est reçu à coups de pierres et
doit battre en retraite. Sans attendre, la troupe fracture les
magasins d'armes. Vers onze heures, très excité,
un sergent appelle le correspondant de RFI au Mali,
Serge Daniel, exigeant sur un ton intransigeant l'annonce
du soulèvement à la radio.
Pour le moment aucun officier ne se
manifeste. Il ne s'agit encore que d'une mutinerie. En fin d'après-midi,
les soldats rebelles s'emparent du bâtiment de la radio
et de la télévision, au centre de Bamako. Dans
la soirée, après un affrontement sanglant avec
la garde, ils prennent le palais présidentiel et le saccagent.
Dans la nuit on entend les échanges de tirs et l'on voit
les balles traçantes monter dans le ciel.
Les vols à destination et au
départ de Bamako sont annulés. Vers une
heure du matin, le 22 mars, la troupe s'installe à
l'aéroport et en chasse des voyageurs espérant
un vol pour le Portugal. Dans l'après-midi, un
lieutenant lit un communiqué à la télévision.
Petit à petit les informations
filtrent. Le Président Amadou Toumani Touré,
surnommé ATT, a disparu. Pour les uns, il est captif
des rebelles, pour les autres, il s'est réfugié
à l'ambassade des États-Unis. On apprend qu'un
capitaine, Amadou Haya Sanogo, a pris la tête des
mutins. Partie d'un mouvement de mécontentement, la rébellion
des soldats se transforme en putsch militaire, dirigé
par un groupe d'officiers subalternes rassemblés au sein
du CNRDRE ou " Comité national pour le
redressement de la démocratie et la restauration de l'État
". Un titre éloquent pour des putschistes !
Pendant deux jours, c'est l'incertitude.
Les magasins restent fermés et les rues désertes.
Des militaires " réquisitionnent " les
voitures les plus luxueuses pour leur usage personnel pendant
que leurs camarades pillent les bâtiments officiels. Les
tirs se font plus rares, mais la soldatesque étant souvent
ivre ou droguée à la " ganja ",
la ville reste dangereuse.
Le 23 mars, dans l'après-midi,
une rumeur dit Sanogo assassiné et la télévision
passée aux mains de soldats loyaux à ATT.
A 19 heures 15, le chef de la junte apparaît sur les écrans
de la télévision nationale pour démentir
l'annonce de sa mort. Il invite la population à reprendre
ses activités et cherche à rassurer.
Peu de gens savent
qui est Sanogo. Ce capitaine
d'infanterie a été formateur à l'école
d'officiers de Koulikoro, jusqu'à ce qu'il soit sanctionné
et semble-t-il mis en disponibilité à la suite
d'un bizutage qui a causé la mort de cinq élèves.
Il a aussi effectué de nombreux stages aux États-Unis
au titre de la coopération militaire (voir ci-contre).
Il porte même un badge des Marines américains
sur son uniforme.
Reste à savoir quand Sanogo
a pris la tête du soulèvement. On peut se demander
s'il ne travaillait pas en coulisse, avant le 20 mars, échauffant
les esprits pour susciter la rébellion. En outre, sa proximité
des Américains fait peser sur eux le soupçon d'ingérence.
Certes, Washington a dénoncé
le putsch, mais on peut y voir une réaction diplomatique
normale qui, dans la meilleure tradition des services de renseignement,
n'empêcherait pas une intervention secrète en parallèle.
Alain Chevalérias
Notes
(1) On écrit aussi Amadou Hawa Sanogo.
(2) Du nom du fondateur de l'empire du Mali au XIIIème
siècle.
(3) Serge Daniel est le nom de plume de ce journaliste d'origine
béninoise.
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LE
MALI
SENS DESSUS DESSOUS
Après avoir lui-même
participé à un coup d'État militaire, Amadou
Toumani Touré, dit ATT, a été élu
Président en 2002 puis en 2007. Il arrivait à la
fin de son deuxième mandat, les élections devant
se dérouler au mois d'avril.
Adepte du consensus, il a dirigé
le pays sans à-coups, mais préférant ignorer
les menaces, il les a laissés grandir jusqu'à menacer
la stabilité de l'État.
Considérant l'AQMI inoffensive
pour le Mali, il n'a rien fait pour l'empêcher de
s'implanter dans le nord du pays, principalement dans la forêt
de Wagadou. Résultat, l'organisation terroriste
a transformé la région en zone refuge où
elle retient prisonniers les
otages capturés au Niger, en Mauritanie
et dorénavant sur le territoire malien lui-même.
Pire, l'AQMI est devenue une
cause de pourrissement interne du pays. Organisant ses réseaux
d'approvisionnement et de renseignement avec l'argent des rançons,
elle a secrété un tissu de complicités au
sein de la communauté touarègue, de l'armée
et de l'administration. On sait par exemple des véhicules
de l'armée malienne assurant, contre rémunération,
les transports de carburant, de nourriture, voire de munitions
pour l'AQMI.
Dans le même temps, les divers
trafics, armes, essence, cigarettes mais surtout celui de la
cocaïne, passant par le Mali pour rejoindre l'Europe à
travers le Sahara ont pris de l'ampleur. Nous disposons de listes
de personnes, jusque dans l'entourage du Président, qui
fournissent des laissez-passer et des plaques d'immatriculation
officielles pour sécuriser les transports.
À cette situation, se sont ajoutées
les conséquences du renversement de Kadhafi en Libye. Le Mali entretenait
d'excellentes relations avec le potentat de Tripoli et bénéficiait
de ses largesses sous forme d'investissements pharaoniques. Première
difficulté, la manne s'est brusquement tarie. Deuxième
problème, les mercenaires touaregs servant dans les unités
libyennes sont rentrés au Mali avec de grosses quantités
d'armes.
Une nouvelle rébellion de cette
ethnie a éclaté à partir du 17 janvier trouvant
face à elle une armée sous-équipée
et manquant de munitions. Fidèle à sa politique
du consensus, ATT a réagi mollement allant jusqu'à
retenir des moyens militaires dont il disposait.
La colère de l'armée,
mise en déroute, a suscité la révolte des
soldats et aujourd'hui l'émergence d'un régime
militaire.
Peu de gens, sinon des profiteurs du
système, pleurent la mise à l'écart d'ATT,
dorénavant dévalorisé aux yeux de tous.
Mais l'Afrique change et la grande majorité aurait voulu
un processus de renouvellement de l'autorité conforme
à la Constitution.
Des manifestations sont signalées
à Bamako dénonçant le nouveau pouvoir.
De plus, ce dernier se voit appelé à se démettre
autant par les pays voisins que par l'Occident pourvoyeurs
des fonds indispensables à l'équilibre budgétaire.
Ceci alors que l'effort de guerre suppose des dépenses
accrues.
En d'autres termes, condamné
à régler le problème par la force autant
que par la négociation et l'argent, la junte se voit confrontée
à un dilemme insoluble.
Pire pour elle, profitant de la situation,
les rebelles touaregs ont relancé leur offensive. Après
la prise de Tessalit, le 11 mars, ils se sont emparés
de Kidal, point de départ de la contre-offensive,
le 30 du même mois.
En d'autres termes, la junte n'a
aucune chance de redresser la barre d'un navire en perdition.
Si une solution n'est pas rapidement trouvée, l'AQMI et
les trafiquants de drogue vont transformer le nord du Mali en
bastion inexpugnable.
A.C.
BIOGRAPHIE: AMADOU
HAYA SANOGO
Âgé
d'une quarantaine d'années, il est le fils d'un infirmier
à la retraite, quatrième garçon d'une famille
de sept enfants. Né à Ségou, il appartient
à l'environnement ethnique bambara, est marié et
père de trois filles. Il est très populaire dans
la ville de Kati où il donne des cours d'anglais.
Après
avoir fréquenté le Prytanée militaire de
Kati. N'ayant pas pu terminer le cycle normal, il a été
admis dans l'armée avec le simple grade de caporal.
Il a alors entrepris
une série de formations aux États-Unis dans les
Marines et à l'école d'application d'infanterie
à Fort Benning (Georgie). Nommé sous-lieutenant,
il est reparti en 2007 pour recevoir une formation d'officier
de renseignement à Fort-Wachica en Arizona. Il est alors
devenu lieutenant. Il a en outre étudié l'anglais.
Détaché
à l'EMIA, l'école d'officiers, il y a servi
quatre ans comme instructeur tout en suivant des cessions organisées
par les Américains, dont une sur la lutte anti-terroriste,
au Maroc en 2008, et une autre dans le contexte de l'ACRI
(African Crisis Response Initiative) mise sur pied par les
États-Unis sous George Bush père en 1996.
Il a ensuite été élevé au grade de
capitaine.
Tout le désigne
comme un élément sur lequel comptent les Américains
dans le cadre de
leur discrète compétition avec la France dans la région
sahélienne.
Sa carrière,
pourtant prometteuse, a été interrompue par un
bizutage d'élèves officiers qui a mal tourné,
causant la mort de cinq d'entre eux. S'il n'était pas
présent au moment des faits, il a été sanctionné
en tant que chef de l'unité de formation. D'autres officiers
ont été mis aux arrêts.
La mutinerie
a mis fin à leur punition et avec Sanogo, ils ont alors
pris la tête du soulèvement dont ils ont fait un
putsch armé. Une vraie revanche !
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