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juillet 2014
Peu de temps avant sa disparition, Pierre
de Villemarest nous avait fait le cadeau dune magnifique
biographie de Vladimir Poutine. Le passage en France du maître
de la Russie est loccasion de la partager avec nos lecteurs. Si cette tutelle revient en force, à présent quéconomiquement la Russie saffirme, le rêve dune Eurasie, sétalant de Brest à Vladivostok, ne sera plus un rêve mais une réalité. Au lieu de consacrer son équilibre au bonheur matériel de ses citoyens, la Russie de ce début de siècle rêve de reconquérir par lénergétique et la technologie de pointe les territoires de ses voisins. Elle pense y parvenir non par les armes, mais à lombre de ses armes. Cest vers quoi la mène Vladimir Poutine. Il est né le 7 octobre 1952 à Leningrad, aujourdhui Saint-Pétersbourg. Son père, Vladimir Spiridonovitch, avait combattu dans un bataillon du NKVD pour la défense de Leningrad. Son grand-père, Spiridon, fut cuisinier chez Lénine, puis Staline durant les années vingt. Une filiation qui marque un homme, encore que Vladimir Poutine eut une enfance agitée. Dans un rare moment de confidences,
il a admis devant la journaliste Elena Trebugova que, de 12 à
17 ans, il avait Heureusement Poutine pratiquait plusieurs sports, et apprit non seulement à se discipliner, mais rechercha les raisons et les moyens de quitter le monde des vauriens. Il lisait beaucoup, en particulier des livres traitant de lespionnage, ce qui le conduisit tout droit vers les écoles du KGB, à Leningrad, puis à Moscou, tout en poursuivant des études universitaires. Les recruteurs du KGB, en général danciens espions à la retraite, avaient repéré le personnage et vu comment exploiter ses talents et ses ambitions. À 23 ans, Poutine débuta sa vie secrète, en ce sens quil ne fréquentait pas les étudiants qui, entre 1975 et 1980, faisaient et refaisaient le monde. Au contraire, il vivait replié sur lui-même, en loup solitaire. Il voulait vivre les aventures de ses héros, dont les odyssées ne sont pas vraiment des romans, mais des doubles vies au service dune cause : celle de lÉtat soviétique. Ceux du KGB qui lavaient déniché lhabituèrent alors à fréquenter les étrangers et à rendre compte de ce quils faisaient et disaient. Un de ses amis de lépoque est aujourdhui un de ses seconds, Viktor Cherkessov. Il sera rapidement nommé directeur du 5ème Département du KGB, celui qui traite les dissidents et, au fur et à mesure du temps, les traquera sans pitié. Elena Trebugova na jamais plus été réinvitée au Kremlin. Poutine la même fait surveiller de près, tandis que les journaux de moins en moins libres ont compris que leur consoeur figurait sur les listes noires. La raison en est très simple : durant leur unique conversation, Poutine sétait lui-même piégé. Elle était jolie et intelligente, il avait cherché à la séduire et sétait quelque peu livré en dévoilant des faits inconnus sur son adolescence. Ce quil navait jamais fait auparavant et ne fera plus jamais. En 1985, ses maîtres estiment quil a acquis une culture politique et une connaissance suffisantes de la langue allemande pour lenvoyer en poste en Allemagne de lEst. Non à Berlin-Est, où résident 400 des 450 officiers du KGB affectés en RDA, mais à Dresde, où sa couverture sera la Maison de lAmitié germano-soviétique, 4 Angelilkastrasse. Poutine est chargé en réalité dune mission très spéciale : recruter des Allemands pour quils soient désormais des agents du KGB, y compris au sein des services policiers et de services secrets qui dépendent dEric Mielke, le chef suprême de la Stasi. À linsu naturellement de celui-ci. Une partie des cadres est-allemands du « service » se dirent dailleurs vite rebutés par son style et ses méthodes qui relevaient plus des moeurs policières que des subtilités des officiers de renseignement formés à lécole de Markus Wolf (1). Poutine ne rencontrera pas Markus Wolf, qui venait de démissionner de la direction de la HVA, la Haute Administration de lespionnage est-allemand dans le monde, dont les succès sont, et seront, plus ou moins connus des spécialistes occidentaux. À retardement, bien sûr. Wolf appartenait au clan des « réformistes » aux yeux des vétérans du parti, comme Eric Honecker (2), figés dans leurs fonctions, statues inamovibles, tout juste actifs dans les répressions aveugles. En moins de deux ans, Poutine recrutera une quinzaine dagents allemands. Seuls deux ou trois dentre eux feront carrière dans le sillage du KGB. Des rivaux prétendront alors que les choix de Poutine se révéleront nuls ou hasardeux. Pourtant, quand on compte parmi eux ne serait-ce que Warnig, qui réussit à sintroduire dans les principales banques de lAllemagne réunifiée, et surtout parmi les initiés des projets énergétiques germano-soviétiques, force est de constater que Poutine na pas été « quun petit officier médiocre et terne », comme continue à le prétendre le général Oleg Kalouguine, transfuge du KGB réfugié aux États-Unis. En fait, à partir de 1985, durant les quarante mois quil passe à Dresde, Poutine ne sendort pas. Il ne faut pas croire que cela va de soi car recruter en secret dans les « services » dun pays-frère nest pas si facile. Il faut du flair et de la psychologie pour persuader des hommes et des femmes moulés dans la discipline dun État comme celui de lAllemagne de lEst de doubler leur tâche au profit prioritaire du KGB. Ceci dautant plus que, depuis deux décennies, Markus Wolf a obtenu de Moscou une autonomie daction dont ne jouissent pas les autres services de renseignement et daction des États satellites. Markus Wolf ne rend compte à Moscou quà son gré des « affaires » quil mène à leur terme. Poutine manoeuvre au mieux. Il gagne la confiance dEric Mielke, le grand maître de la police secrète et des services spéciaux de la RDA, au point que celui-ci le décorera de la plus haute distinction de lAllemagne de lEst, pour services rendus. Mielke est peu subtil, il est vrai, au regard des méthodes de Poutine qui feint une coopération franche avec la Stasi et le HVA, les services est-allemands. Une des ses recrues, Mathias Warnig, un de ses meilleurs agents, ne sera jamais découverte. Ce nest pas nimporte qui. Il est spécialisé dans linfiltration du personnel des principales banques de la RFA : la Deutsche Bank et la Dresdner Bank. Poutine lui est redevable des centaines de fiches qui situent non seulement les fonctions des cadres de ce milieu, mais indiquent aussi, sil y a lieu, leur penchant à coopérer avec leurs interlocuteurs de lEst. Les plus âgés avaient en effet vécu le pacte germano-soviétique dans lidée dune domination de lEurope continentale par le couple Berlin-Moscou. Comme lui, plusieurs amis de Warnig sont persuadés que lavenir de lAllemagne réside dans la coopération sans arrière-pensées avec lURSS. Warnig est sans doute le premier à détecter en Gerhard Schröder, le chancelier qui a remplacé Helmut Kohl à Bonn, un partisan possible dune coopération énergétique à direction soviéto-allemande. Les premiers projets de gazoduc et doléoduc, passant sous la Baltique pour des livraisons directes des produits russes jusquaux rivages allemands, sont nés plusieurs années avant larrivée de Schröder à la chancellerie. Doù son annonce sans vergogne, du jour où il perd à son tour son poste de chancelier, quil devient désormais ladministrateur du consortium germano-soviétique qui gère lentreprise. Un des témoins de lopération Warnig sappelle V. Usoltzev, un jeune officier du KGB basé lui aussi au 4 Angelikastrasse. Poutine est son supérieur et aussi son ami. Il est déjà lieutenant-colonel en 1989, mais sa carrière risque de sinterrompre lorsque après avoir tout tenté pour sauver ses archives des assauts de la foule qui, à Dresde comme à Berlin, profite de la chute du Mur pour piller les locaux soviétiques. Poutine quitte alors lAllemagne pour Saint-Pétersbourg, sa ville natale. Le retour en Russie Vladimir Poutine se retrouve en Russie en 1989, en pleine Perestroïka, sans consignes ni même affectation. Découragé comme nombre de ses collègues par le silence de ses dirigeants. Cest alors quil pense écrire une lettre de démission motivée. Cette lettre ne sera pas envoyée. Patron dune des sections du Directorat chargé de la chasse aux dissidents, son ami Viktor Tcherkessov, le lui a déconseillé. Il la persuadé quil
faut attendre que le chaos se dissipe, et la convaincu
que, devant la gravité de la situation, non seulement
de lURSS mais de leurs services, des noyaux de responsables
du KGB et du GRU cherchent enfin à sentendre
au lieu de rivaliser. LEmpire sest écroulé, mais des ruines et du désordre émergent un nouvel ordre et une fulgurante prise en main de ses richesses énergétiques, jamais connue depuis que la Révolution de 1917 avait compromis leur exploitation. À ce moment, Poutine cherche et obtient un poste auprès du Recteur de lUniversité. Il est ensuite présenté par des amis à Anatoli Sobchak, le maire de Léningrad qui a repris son nom historique: Saint-Pétersbourg. Sobchak rêve de faire de la ville, dont le port vit dun trafic en expansion, une plaque tournante du commerce avec les États Baltes et lAllemagne, puis lEurope. Séduit par la vivacité intellectuelle et lesprit dentreprise de Poutine, il le charge des relations extérieures de Saint-Pétersbourg. Poutine saisit loccasion pour se rendre à plusieurs reprises en Allemagne sous un faux nom, et renouer les contacts avec au moins cinq de ses anciennes recrues, tel Warnig, qui dailleurs, de son côté, vient souvent le voir à Saint-Pétersbourg. Avec laccord de Sobchak, lui et ses adjoints créent alors une firme commerciale, la SPAG, acronyme dune société russo-allemande qui sera légalisée en 1992. La voie royale tracée par Gorbatchev En fait, la voie royale sur laquelle avance Poutine en lan 2000 a été ouverte par la politique de Mikhaïl Gorbatchev. Pour comprendre Pouti-ne, il faut savoir en quoi consistait la Perestroïka de Gorbatchev. Beaucoup seront surpris. Pas ceux qui, durant les années 1980-1990, lisaient nos Lettres dinformation, fruit de nos recherches sur lévolution intérieure de lUnion soviétique (3). Certains doutaient, quand nous affirmions que la perestroïka nétait quune supercherie pour faire croire aux Occidentaux que Gorbatchev conduirait lURSS vers une démocratie convenant aux libéraux américains et à leurs affidés européens. Seul A.M. Rosenthal, un ancien directeur du « New York Times », se faisait lécho de nos avertissements, dans des termes qui lui ont dailleurs valu dêtre banni des références de lEstablishment auquel il avait pourtant appartenu pendant plus de trente ans. Son éditorial du 20 octobre 1989 vaut dêtre relu tant il exprime de façon prémonitoire la situation dans laquelle se trouve dix ans plus tard la Russie après la transition qui la conduisait de Gorbatchev à Eltsine et, de là, au règne de Poutine. « « Nous voulons que la perestroïka réussisse », dit James Baker (NDLR alors Secrétaire au Département dÉtat). Il avance ainsi clairement sur le sentier tracé par Gorbatchev et une kyrielle de journalistes, intellectuels et politiciens américains qui simaginent que sen écarter serait blasphématoire. Or la perestroïka nest ni une religion ni même un plan. Cest lespoir frénétique du politburo gorbatchévien que des chemins peuvent être trouvés pour éviter un effondrement économique total, tout en assurant la survivance du système de lÉtat socialiste et du parti communiste... la vraie question est : lOccident doit-il simpliquer dans la vision gorbatchévienne de la préservation du communisme ? » À lépoque, Gorbatchev, de secrétaire aux Organes administratifs, de 1979 à 1980, était devenu titulaire du Politburo, puis secrétaire général du parti communiste de lURSS. Derrière sa phraséologie rassurante, il camouflait les pires répressions du pouvoir. Il faisait tirer sur des foules avides de justice sociale et de liberté, tant dans les États baltes que dans le Caucase, notamment en Géorgie. Les chancelleries occidentales se bouchaient les yeux et les oreilles. Jacques Chirac, maire de Paris, lavait invité en visite officielle, tandis que, le même jour, près de 5 000 manifestants se regroupaient place du Trocadéro, venus à lappel de la Conférence internationale des Résistances en pays occupés (la CIRPO). Ils étaient conduits par 300 représentants des maquis de la résistance à loppression soviétique. Plus tard nous devions découvrir quen tant que Secrétaire aux Organes administratifs, cest à dire « inspecteur », en 1979 des services secrets et de la sécurité de lURSS, il avait dressé devant le Politburo, à la demande de Youri Andropov, le réquisitoire qui devait décider de la condamnation à mort de Jean-Paul II (4). Mais en outre on devait apprendre, grâce à la soviétologue Françoise Thom, quune des clefs occultes de la perestroïka était sa prise en main par les « organes », dont Gorbatchev avait été et demeurait le haut responsable jusquà son éphémère présidence de lÉtat russe en 1990. La preuve apportée par Françoise Thom figure dans la collection de la revue interne du KGB, « Sbornik », de lautomne 1987 à lautomne 1988. Déjà le 25 septembre 1987, Philippe Bobkov, alors un des adjoints du directeur du KGB et responsable de la chasse aux dissidents, écrivait crûment : « Notre but ultime est dassurer par des moyens tchékistes le cours de la perestroïka. Il y a là un champ dapplication de la créativité véritable et de la virtuosité tchékistes » En décembre 1987, A. Loukianov, devenu patron de lancienne direction des Organes, réunit autour de lui 689 cadres du KGB dans le but daccélérer leur action en faveur de la perestroïka. Viktor Cherkessov, alors adjoint de Bobkov, devait écrire dans la revue « Sbornik » du 22 janvier 1988 : «Nous sommes entrés dans une étape décisive... Nous avons dressé un programme pour lavenir...» On nen finirait pas de citer cette revue tant elle est riche des confirmations que la perestroïka couvrait en réalité une opération du KGB, dont Gorbatchev ne pouvait ignorer, ni en 1987 ni par la suite, quelle menait à substituer lappareil des services policiers et secrets de lURSS à celui dun parti communiste en pleine déliquescence. Le putsch raté de lété 2001 na fait que retarder cette opération. Elle déroulait le tapis rouge sur lequel Boris Eltsine, conscient de ses failles, allait placer Vladimir Poutine pour son envol jusquà la présidence de la Russie. Une biographie très floue Il est nécessaire douvrir ici une parenthèse pour apporter au lecteur des explications sans lesquelles on ne saurait comprendre le cheminement de Gorbatchev dans les structures de lappareil du parti communiste. Il apparaît à lexamen de sa biographie que, malgré les recherches de ses deux principaux rédacteurs, le soviétologue français Michel Tatu et laméricain Strobe Talbott, des « blancs » subsistent. Ces « blancs » découlent des silences de ses biographes soviétiques sur de longues périodes de sa carrière, y compris lorsque, au sortir de lenfance, il devint adulte. Preuve évidente que lon cherche à occulter quelque chose. Il naît le 2 mars 1931 dans le village de Privolnove, à 125 kilomètres de Stavropol, préfecture régionale au coeur dun territoire connu pour labondance de ses récoltes en dépit du drame engendré par la collectivisation forcée des terres. Son grand-père et son père Sergueï participent à cet effort. Communistes, ils sont des privilégiés. Mikhaïl grandit donc sans endurer la faim dont souffre le reste de la population. La légende veut, quenfant, il ait été un paysan et, plus tard, un parfait connaisseur des problèmes agricoles. Une légende, car sil participe bien de 12 à 16 ans aux travaux des champs, on apprendra plus tard par des témoins, que ce fut en tant quaide-conducteur de tracteurs, pendant les vacances scolaires. Membre des Jeunesses communistes, il poursuit des études secondaires qui le mènent en 1950 à la Faculté de Droit de Moscou. Il y rencontre celle qui sera sa deuxième épouse, Raïssa Maximovna Titorenko, alors étudiante en philosophie (5). Gorbatchev avait dabord épousé une autre étudiante avec laquelle il eut une fille, Irina, qui elle-même eut un fils dont la carrière sest déroulée dans larmée de lair où il acquit le grade de lieutenant-colonel dans les années 1970. Sa biographie « soviétique » cache ces faits. Est-ce pour protéger sa vie privée ? Anatoli Golytsine, transfuge aux États-Unis des services de renseignements soviétiques, assurait à notre centre de recherches que Gorbatchev avait un frère et une soeur, et quune fille dIrina, âgée de 20 ans, Ksenia, avait été vue en 2002, en compagnie de son fiancé, Kiril Solod, à un bal du Crillon, à Paris, lors dune présentation de haute couture de Christian Dior. Pourtant, selon la biographie établie par les donateurs du Prix Nobel à Gorbatchev, il aurait épousé Raïssa en 1955. Wikipedia, pour sa part, affirme sur Internet quil la épousée le 21 septembre 1953. Gorbatchev, enfin, au fil de ses nombreux entretiens avec des journalistes, a évoqué tantôt une date, tantôt une autre. En tout cas sa fille Irina est bien née en 1956. Pourquoi ce flou ? Il faut savoir que le futur père de la perestroïka a été ce quon appelait un « Seksot », cest-à-dire un informateur secret de la police du parti sur le comportement politique de ses camarades détudes. Il avait dailleurs choisi durant le passage de ses diplômes, de suivre les stages du Parquet au lieu dopter pour les filières menant à une carrière de magistrat. Il est connu des soviétologues que le Parquet était un vivier dans lequel le KGB puisait des recrues. Ce qui explique, par exemple, le silence total de Gorbatchev sur les purges quil a vécues de très près à Moscou en 1952 et 1953 tandis quune vague antisémite frappait « les médecins juifs », et mettait en cause lépouse de V. Molotov, le ministre des Affaires étrangères de Staline du temps du pacte germano-soviétique. À lépoque, avec en poche son diplôme de Droit, Gorbatchev est rentré à Stavropol. Il nen bougera plus, en tout cas officiellement, jusquà sa fulgurante apparition en automne 1978 au secrétariat du Politburo. Depuis lété 1970, il était à la fois Premier secrétaire du parti pour le territoire de Stavropol, député au Soviet suprême et membre du comité central du PC de lURSS. Mais jamais il na élevé la voix tandis que de violentes polémiques opposaient ses collègues. Que pensait-il, par exemple en automne 1964, de léviction de Nikita Krouchtchev, ou de la mort subite de F. Koulakov, son protecteur à Stavropol ? Les rendez-vous de Mineralnye Vody Autre « flou » : Gorbatchev se rend en Tchécoslovaquie en 1969, mais on ne sait rien des raisons de son séjour à Prague, sinon quil y avait « un ami étranger », Zdewek Mlynar, qui avait été en 1967 le plus jeune des secrétaires du Politburo tchécoslovaque. Trop « réformiste » au sein du groupe, Mlynar croyait encore pouvoir créer un national-communisme « à la tchèque ». Il dût sexiler en Autriche pour échapper au stalinien L. Strougal, alors numéro un du parti et connu pour son obéissance totale à Moscou. Gorbatchev se rendra aussi à trois reprises en France, dès 1966, puis en 1975 et en 1976. Son hôte est le milliardaire Jean-Baptiste Doumeng (PDG de la firme Interagra, qui commerce avec lEst en échange de livraisons de matériels agricoles). A lépoque, Doumeng affiche comme un trophée sa carte de membre du parti communiste, tout en fréquentant un des frères Rothschild, Edgar Faure et autres Premiers ministres français. Décédé en 1987, Doumeng camouflait derrière un bagout émaillé de grasses plaisanteries et son accent de paysan du sud-ouest, une inébranlable fidélité à Moscou. En fait, il avait appartenu au Komintern et figurait dans la galerie des communistes de haut vol qui se mêlaient volontiers à la faune internationaliste, à ses pompes et à ses oeuvres, méprisant les braves militants de base. Nul ne sait aujourdhui encore qui payait les voyages à létranger de Gorbatchev, accompagné la plupart du temps de son épouse Raïssa. Voyages forcément, non seulement autorisés mais télécommandés par le KGB. Il se serait même rendu sous une fausse identité aux États-Unis et au Canada, à en croire le transfuge Anatoly Golytsine. Cela expliquerait son excellente connaissance de langlais, que pourtant durant des décennies, il a feint de ne pas parler. Nous voilà loin de limage du technicien de lagriculture, cantonné dans sa province de Stavropol, dans lombre de son patron Fedor Koulakov qui, lui, était un réel spécialiste de lagriculture. Une fois de plus apparaît ainsi la double face de Gorbatchev, limage quil veut donner de lui nayant rien à voir avec la réalité. Il est en fait un homme de lappareil secret du parti, comme on le constatera plus loin. Il ne sortira de son silence et de ses missions clandestines à létranger quen mai 1978 à loccasion dune conférence idéologique tenue à Stavropol. Pour lui, cest non seulement loccasion de faire parler de lui et de profiter de la maladie qui frappe soudain Koulakov, lequel mourra deux mois plus tard, sans doute dun cancer foudroyant. Koulakov se servait de la fausse modestie de Gorbatchev pour le tenir en laisse. La laisse est donc rompue cet été là. Gorbatchev joue alors de son poids accru dans lappareil régional pour faire paraître en feuilleton dans deux journaux locaux une oeuvre signée de Brejnev : « La petite terre ». Chacun sait combien le numéro un du PC de lURSS était sensible à la flatterie et même à la flagornerie. Témoin cet éloge du Secrétaire général du PC, dont on doit à Michel Tatu de lavoir sorti de loubli : « Le livre, La petite terre, écrit Gorbatchev, nest pas très épais quant au nombre de pages, mais il est grand par la profondeur de son contenu, par limportance des généralisations et des opinions exprimées par son auteur. Il est devenu un grand événement de la vie publique... Les communistes et les travailleurs de Stavropol expriment une reconnaissance sans limites pour cette oeuvre littéraire qui décrit avec une profonde inspiration philosophique les sources de notre héroïque pays...» Après un tel panégyrique, Brejnev se renseigne sur Gorbatchev, notamment auprès de Youri Andropov, le directeur du KGB depuis 1967 et qui va souvent en cure dans la station thermale de Mineralnye Vody, proche de Stavropol. Cela donne lidée à Andropov de faire venir auprès de lui Gorbatchev à Moscou, puisquil a su sattirer les bonnes grâces de Brejnev. Andropov a su déceler sa feinte humilité, ses ambitions rentrées, ses capacités danalyse. Il cherchait un homme de confiance assez souple pour suivre les intrigues de ses rivaux. Il fait de lui un des secrétaires du Politburo. Quelques mois plus tard, Gorbatchev reçoit le titre de suppléant. Le voici entrer dans le Saint des Saints du Kremlin, membre de la hiérarchie suprême. Il na pas le droit de vote lors des séances plénières de cet organisme, mais il peut donner son avis sur les sujets débattus... cest-à-dire celui de Youri Andropov. En fait il endosse lancien rôle de Seksot du temps de ses universités. Grâce à lui, Andropov navigue avec aisance au milieu du panier de crabes, dautant plus agité que Brejnev est frappé des premiers signes de gâtisme, et meurt en automne 1982, aussitôt remplacé par Andropov. Le nouveau « secrétaire aux Organes » Gorbatchev ne siège encore quau troisième rang de la hiérarchie, mais il a le titre de « Secrétaire aux Organes administratifs » (les « 0.0.»). Lopinion, même avertie des structures du parti communiste au cours du XXème siècle et de ses secrets internes, ne sait pas ce que recouvre cette fonction. Ladjectif « administratif » lui donne un cachet bureaucratique, or elle est tout autre chose depuis que Staline, dans les années trente, imité par ses successeurs, ont utilisé à leurs propres fins le Secrétaire aux 0.0. Pour lHistoire, notons que Leonid Brejnev fut Secrétaire aux 0.0. en 1963 et 1964, et remplaça Khrouchtchev comme Secrétaire général du parti. Alexandre Chelepine lui avait succédé à ce poste de 1964 à 1966, avant de devenir directeur du KGB. Michel Souslov, responsable des 0.0. de 1966 à 1968, devint le n°2 de lappareil, chargé de lidéologie, autrement dit de la stratégie du PC de lURSS et de lappareil soviéto-communiste. Andropov na pas eu besoin de franchir cette étape puisque, à partir de 1967, il prit en main le KGB. Andropov nomme Gorbatchev aux 0.0. en 1979. Il lutilise comme homme de confiance chargé de déjouer les intrigues de ses rivaux et dentretenir à létranger la propagande qui doit faire de lui une sorte de libéral-communiste ouvert à des compromis avec le monde occidental. Nest-il pas amateur de jazz et favorable à ce quon appellera la perestroïka ? Tout en servant dindicateur à lintérieur du secrétariat du Politburo, Gorbatchev est aussi chargé de missions secrètes. Andropov avait suivi de près ses voyages à létranger. Il a utilisé ses observations sur les PC étrangers. Il a noté « quil ne craint pas de dire ce qui peut déplaire à ses interlocuteurs, sil estime exprimer la vérité des faits ». Puis survient une mission décisive pour Gorbatchev : Andropov ne se contente plus des rapports du directeur du KGB en Pologne, le général Pavlov, qui décrivent au jour le jour la dégradation du communisme sans proposer de solution au fait quest apparu pour la première fois dans lHistoire un pape venu du monde communiste. Un Pape qui ne craint pas de les affronter sur sur leur terrain. Nous avons raconté, avec des documents inédits, ce combat des Polonais dans notre ouvrage « Le KGB au coeur du Vatican ». Gorbatchev partageait avec Andropov lidée quil fallait écarter les dirigeants sclérosés du PC polonais. Le Pape est la cible En 1979, le directeur du KGB demande à Gorbatchev, détudier les moyens de pénétrer Solidarnosc, de fissurer lentente entre ses responsables et dapprocher la personnalité du Pape, son entourage, de connaître ses habitudes, ses déplacements, ses projets. Gorbatchev fait létat des lieux. En mai 1980, grâce à une personnalité russe qui vivait à Moscou, et qui durant des années nous avait donné des informations jamais démenties (6) nous avons obtenu de précieuses indications sur lun de ses rapports. Il déduisait de la situation que si Solidarnosc était bien pénétrée par le KGB et le GRU, le Pape demeurait lui un obstacle. Aussi longtemps que Jean-Paul II vivrait, on ne pouvait sattendre à aucune concession de la part du Vatican. Il rejetterait toujours le marxisme. Il sétait dailleurs insurgé contre le progressisme dans lequel une fraction de lOrdre des Jésuites tentait dentraîner lÉglise. Doù lidée de Gorbatchev dune opération contre la personne du Pape, mais montée de telle façon quon ny puisse suspecter « la main de Moscou ». Laction dun musulman fanatique serait habile (7). Pierre de Villemarest
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