Vladimir Poutine, pris d’un vertige stalinien, vire ses plus fidèles amis
du pouvoir

septembre 2016

Le 12 août, la nouvelle estomaquait les kremlinologues avertis : Sergueï Ivanov, le chef de l’administration présidentielle de Vladimir Poutine, perdait sa place pour une vague mission de « Représentant spécial du Président pour les affaires d’environnement et de transport ».

Quand on sait le chef de l’administration présidentielle plus puissant que le Premier ministre, on apprécie l’humiliation subie par Ivanov. Une situation d’autant plus étonnante qu’il fait partie des « Siloviki » (1), des hommes issus des services de sécurité et de l’armée. Depuis les années 90, les Siloviki se sont ligués pour éviter l’effondrement de la Russie et tenter de redonner au pays la puissance qu’il avait du temps de l’Union Soviétique. Ce sont eux qui ont fait monter Poutine au pouvoir.

Mieux, Ivanov fait partie du groupe dit de Leningrad, ces Siloviki qui ont croisé Poutine dans les couloirs de l’administration municipale ou à l’école du KGB, installée dans cette ville. C’est la garde rapprochée de l’actuel maître du Kremlin en somme. Ivanov et Poutine sont du reste issus de la même promotion d’officiers du KGB.

Preuve de la proximité entre les deux hommes, Poutine accédait en 1996, sous Boris Eltsine, au poste d’adjoint du directeur des affaires de la Présidence. Quand en juillet 1998 il devenait directeur du FSB, qui a succédé au KGB, il appela Ivanov à ses côtés comme directeur adjoint. En 2000, Poutine était élu Président de la Fédération de Russie et, à peine un an plus tard, Ivanov se voyait nommé ministre de la Défense.

En 2008, Ivanov est même pressenti pour remplacer Poutine à la Présidence, la Constitution interdisant à ce dernier d’effectuer un troisième mandat consécutif. Mais un scandale l’éclabousse qui nuit à son image : à la suite d’un byzutage qui a mal tourné, un jeune soldat, Andreï Sytchev, est amputé des deux jambes et des testicules. L’opinion l’estime responsable. Ce sera Dimitri Medvedev qui aura l’honneur d’assurer ce qui apparaît comme un intérim.

Il faut dire, les moeurs ont évolué au Kremlin depuis Staline. Sous la férule du Géorgien, Ivanov aurait fini en Sibérie. Avec Poutine, on lui demande seulement de partir en disant que c’est de sa propre initiative. En passant sous les fourches caudines, a-t-il pensé à son fils, Aleksander, mort noyé dans des circonstances mystérieuses, le 3 novembre 2014 aux Émirats Arabes Unis ? Âgé de 37 ans, celui-ci était membre du conseil d’administration de la banque dite Vnechekonombank.

Ivanov n’est pas le seul Siloviki à rendre son tablier. Le 28 juillet dernier, Andreï Belianinov, le patron des douanes russes, était prié de quitter ses fonctions sur ordre de Poutine. La veille, une perquisition avait été effectuée à son domicile et dans les bureaux de ses adjoints, permettant de découvrir des documents relatifs à un trafic d’importations illégales d’alcool de luxe dont Belianinov aurait profité.

Bienvenues parmi les pièces à conviction, à la luxueuse villa de Belianinov, les enquêteurs auraient découvert des boîtes à chaussures débordant d’euros et de dollars. Sans attendre, des photos prises pendant la perquisition se retrouvaient sur le site Internet de Gazera.ru, un média électronique d’information.

Belianinov lui aussi semblait à l’abri des mauvaises surprises. Dans les années 80, quand Poutine y était lui aussi officier, il était même en mission pour le KGB en Allemagne de l’Est. Cela crée des liens.
Un autre Ivanov, Viktor (2), ancien membre de la direction du KGB pour la ville de Leningrad, a connu un sort identique. Il dirigeait le Service fédéral russe de contrôle de la drogue depuis mai 2008. Le 30 mars dernier, il se retrouvait brusquement au chômage. Poutine avait décidé de supprimer ce service sans même en prévenir son chef.

Le 10 mai, un message signé d’Ivanov apparaissait sur Internet pour dire : « Camarades et frères soldats, je veux vous présenter mes excuses parce que je n’ai pas pu sauver notre organisation. Nous avons protégé honnêtement nos intérêts nationaux ». Des vraies paroles de Siloviki. En à peine une heure, ces mots pourtant bien innocents s’évanouissaient des écrans. Depuis, Ivanov n’a pas donné signe de vie.

Scénario à peine différent pour Vladimir Yakounine. Ancien de l’industrie militaire des missiles balistiques, il était diplômé de l’Institut mécanique de Leningrad. Patron des chemins de fer russes depuis 2005, il a perdu sa position l’année dernière. Quand on sait les chemins de fer russes indispensables pour déplacer une importante force armée d’un bout à l’autre d’un pays aussi grand que la Russie, on peut penser Poutine anticipant sur la possibilité d’un putsch.

Les esprits simples peuvent le croire cherchant à affranchir l’État de l’influence des services de sécurité. Ils se tromperaient. Le successeur de Belianinov aux douanes s’appelle Vladimir Boulavine. Il sort lui aussi du FSB.

Anton Vaïno et Vladimir Poutine
Anton Vaïno et Vladimir PoutineQuant au remplaçant de Sergueï Ivanov, comme nous avons vu l’ancien chef de l’administration présidentielle, il s’appelle Anton Vaïno et, âgé de 44 ans, présente une facette pour le moins préoccupante. Plusieurs des écrits qui lui sont attribués sont des thèses à la limite de l’ésotérisme, quasi incompréhensibles elles semblent proposer des raccourcis vers un contrôle total de la population.

Vaïno se dit l’inventeur du « nooscope », « un réseaux de scanners spatiaux ». « Le réseau de capteurs du nooscope, dit l’un de ces articles, permet de lire les occurrences entre le temps et l’espace, depuis les cartes bancaires dernière génération jusqu’à la poussière intelligente ».

Comprenne qui pourra ! Néanmoins, qu’un homme aux pensées aussi étranges jouisse de pouvoirs aussi importants, auprès d’un chef d’État comme Poutine, ne peut qu’inquiéter. Les croyances ésotériques dans la proximité d’un pouvoir totalitaire, nous en avons vu les effets en Allemagne avec Hitler et le nazisme. Nous n’en sommes pas encore là avec Poutine, mais la prudence devrait être de mise quand le maître du Kremlin renforce son autorité.

Notes

(1) Ce terme vient du mot force, « sila ».
(2) Il est sans liens familiaux avec Sergueï Ivanov.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

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