HISTOIRE
Les chrétiens d’Irak

mai 2010

Depuis l’invasion anglo-américaine de l’Irak, en 2003, 2000 chrétiens ont été assassinés dans ce pays. Poussés à l’exode, aujourd’hui, ils ne sont plus que 600 000, contre 1,2 millions en 2003.
Les départs se poursuivent à une cadence élevée. Derniers chiffres, entre les 27 février et 1er mars, 870 familles, soit environ 4 400 personnes, ont pris le chemin de l’exil. Le 23 février, à nouveau, une famille était décimée. A Mossoul, des inconnus, pénétrant dans la maison d’Aishoua Maroki, 59 ans, l’ont tué par balle avec ses deux fils, Mokhlas et Bassem. L’État irakien ne fait rien. Les États-Unis, cause première de ce drame, gardent le silence. Retour sur l’histoire des chrétiens d’Irak.

La majorité des chrétiens irakiens fait remonter la conversion de la Mésopotamie au Ier siècle sous la conduite de St Thomas. Elle date plus probablement du IIIème siècle, sous les Parthes puis sous les Perses de la dynastie sassanide, en conflit avec l’empire romain.

Au début du Vème siècle, cependant, le moine Nestorius, élu patriarche de Constantinople, se fait l’apôtre d’une théologie particulière et, pour simplifier, refuse de voir dans Marie « la mère de Dieu ». En ces temps de foi profonde, l’affaire fait scandale. Réuni en 431 à Éphèse, un concile condamne Nestorius, mais son dogme se propage vers l’Orient et est adopté par les chrétiens de Mésopotamie.

Cette différence dogmatique accentue la rupture déjà en gestation entre l’Église locale et celle de Rome. Pendant plusieurs siècles, en Mésopotamie, les « Nestoriens », comme on les appelle en Occident, vont se développer sous l’autorité de l’Église dite assyrienne.

En dépit de son éloignement, elle n’en jouera pas moins un rôle primordial, étendant son influence en Iran, en Inde et jusqu’en Chine et en Indonésie. Au VIIème siècle, les Nestoriens ont semble-t-il influencé Mahomet, avant qu’il n’entame son apostolat. Ils intéresseront même les Mongols avant que ces derniers, au XIVème siècle, ne préfèrent finalement l’islamisation.

Tolérés sous les Parthes et les empires successifs dominant l’Iran, les Assyriens vont encore parvenir à survivre sous les Arabes, jouant un rôle intellectuel important auprès de la cour des califes abbassides, qui gouvernaient l’empire musulman depuis Bagdad.

Tout bascule au XIVème siècle, avec les invasions turques et mongoles. Les persécutions, dont ils sont victimes, obligent les « Assyriens » à chercher asile dans les montagnes du Kurdistan et de l’Hakkiari (dans l’actuelle Turquie). Certes, ils s’organisent, se donnent une structure para étatique et développent une culture originale. Mais décimés par les persécutions et souffrant de l’isolement, à partir du XVIème siècle, la plus grosse partie de la communauté se rattache à l’Église de Rome, sous le nom de Chaldéens. Côtoyant les Assyriens, ils continuent néanmoins de célébrer la liturgie en langue araméenne.

Mais au XIXème siècle, sous la pression des Ottomans, qui étendent leur autorité jusqu’au Golfe arabo-persique, les Kurdes durcissent leur position à l’égard des chrétiens vivant dans leurs montagnes. De 1843 à 1846, on signale même des massacres de chrétiens commis par l’émir kurde de Bohtan qui se voulait leur suzerain.

Sous la pression occidentale, ce dernier est déchu. Assyriens et Chaldéens passent alors sous l’autorité directe de la Sublime Porte, jouissant d’une autonomie de fait, compte tenu de leur éloignement de la capitale et de l’inaccessibilité de leurs territoires.

Brève accalmie ! En 1914, la Première Guerre mondiale éclate. L’empire turc s’aligne sur l’Allemagne. Les alliés, en particulier les Russes et les Britanniques, envoient des émissaires aux Chaldéens et aux Assyriens pour les inviter à se soulever. En 1915, ceux-ci prennent les armes contre l’empire.

Tragique décision. Face aux Kurdes et aux Turcs, sans appui militaire de l’extérieur, les chrétiens ne tiennent pas longtemps. Conduits par leurs patriarches, ils doivent quitter le Hakkiari pour rejoindre l’armée russe, présente en Perse, et combattre avec elle. Ce n’est que le début d’une longue suite de désillusions.


La trahison britannique


En 1917, comme aux Juifs (1), les Britanniques promettent aux chrétiens assyriens qu’ils pourront retourner dans les terres de l’Hakkiari afin de constituer un foyer indépendant. A la fin de la guerre, cependant, Londres installe les Assyriens dans le nord de l’Irak (2), où quelques-uns d’entre eux vivaient déjà depuis des siècles.

Croyant obtenir ainsi satisfaction de leur demande de foyer national, nombre d’entre eux s’engagent dans des troupes de supplétifs, les « Levies », levés par les Britanniques. Mais l’occupation de ces derniers étant très contestée, plusieurs rébellions arabes et kurdes éclatent et les « Levies » sont largement utilisés pour les mater.

En 1925, cependant, le Hakkiari étant rattaché à la Turquie par la SDN (3), les Assyriens voient l’effondrement de leur rêve. Londres, pour se justifier, prétexte du manque de terres disponibles et, comble de l’ignominie, disperse les familles assyriennes en les plaçant comme fermiers chez les Arabes et les Kurdes.

On remarque au passage, à promesses égales, la différence entre le traitement réservé aux Juifs, en Palestine, et celui infligé aux chrétiens assyriens, à mille kilomètres de là.

A la condition déjà intenable des Assyriens, s’ajoute bientôt le comportement de l’autorité irakienne. Aux mains de nationalistes intransigeants, cette dernière ne supporte pas les revendications identitaires des Assyriens. En outre, les Arabes nourrissent une haine tenace à l’endroit de ces chrétiens qui ont participé à la répression de leurs soulèvements par l’armée britannique.
Résultat, au cours de l’été 1932, les « Levies » se soulèvent. Leur révolte est cependant vite réduite par la jeune armée irakienne avec l’aide des Britanniques.

Mais, déjà, un nouveau drame se noue. En mai 1933, le gouvernement irakien place Mar Shimun, le patriarche assyrien, en résidence surveillée. Il veut l’obliger à renoncer à son autorité politique sur sa communauté. Puis, les notables assyriens sont rassemblés à Mossoul en congrès, où leur est donné le choix entre quitter le pays ou se soumettre.

Exaspérés, en juillet 1933, quelques milliers d’Assyriens franchissent le Tigre et pénètrent en Syrie. Mais, puissance mandatrice, l’autorité française refuse d’accéder à leur demande en leur octroyant le droit de créer un territoire autonome d’un seul tenant.

Déçus, les Assyriens retournent sur leurs pas. Sous la conduite du colonel Bakir Sidqî, l’armée irakienne les attend en embuscade. Les affrontements servent de prétexte à de nouveaux massacres anti-chrétiens. Sûrs de l’impunité, Kurdes, Yézidis (4) et la tribu des Shammar se jettent à la curée, laissant les Britanniques insensibles sinon complaisants.

Dans les villes irakiennes, on pavoise. Bakir Sidqî est glorifié, pour le premier fait d’armes du jeune Irak sans l’aide des Britanniques. Élevé au grade de général, il s’emparera du pouvoir en octobre 1936 à la suite d’un putsch.

Quant à Mar Shimun, déchu de sa nationalité irakienne par décret, il est expulsé sur Nicosie avant de se réfugier aux États-Unis. Il reviendra cependant en 1948, acceptant de se soumettre aux autorités irakiennes en échange du recouvrement de ses privilèges et suscitant la colère de l’ensemble des Assyriens.

Certes, sous Saddam Hussein, les Assyro-Chaldéens retrouvèrent leur place dans la société irakienne. L’un d’eux, même, Tarek Aziz, occupa les fonctions de ministre des Affaires étrangères et de vice-Premier ministre. Mais, depuis, sous l’oeil des Américains cette fois, les massacres et la « purification ethnique » ont repris.


Jean Isnard

 

Notes

(1) Pour les juifs, il s’agit de la déclaration Balfour, qui leur promettait le droit de créer un foyer national en Palestine.
(2) À la suite de la Première Guerre mondiale, l’empire ottoman fut démantelé. L’Irak et la Palestine passèrent sous mandat britannique, le Liban et la Syrie sous mandat français.
(3) La SDN, ou Société des Nations, est l’ancêtre des Nation Unies.
(4) Sectateurs d’une religion minoritaire et syncrétique qui ne se rattache ni à l’islam ni au christianisme.trahison des chrétiens d’Irak par les Britanniques

 

 

 

 

 

 

 

 Génocide
et nettoyage ethnique pour les chrétiens d’Irak

2000 chrétiens ont été assassinés en Irak depuis 2003.

Plus de 300 000 se sont réfugiés à l’étranger.

L’armée américaine, qui a déstabilisé le pays, est encore présente. Elle ne fait pourtant rien. Dans les faits, Washington est le complice passif de ces crimes.

Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001
www.recherches-sur-le-terrorisme.com
 
Lire aussi: La guerre en Irak est-elle finie?

 

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