HISTOIRE
LEÇON D’UN JANISSAIRE

Les janissaires formaient un corps d’élite de l’armée ottomane recruté parmi les prisonniers chrétiens, lors de
l’expansion de l’empire turc en Europe, ou prélevé sur les familles chrétiennes des pays conquis par la Grande Porte.
Dans ce dernier cas, pris à leurs parents vers l’âge de 13 ou 14 ans au nom d’un impôt spécial, le « devchirmé », ils
étaient envoyés en Anatolie et formés au métier des armes dans des camps. Prisonniers de guerre ou prélevés dans
leur jeune âge, forcés à l’islam ils n’avaient pas le droit de revoir leurs parents ou de prendre épouse. Néanmoins, et en dépit de leur statut d’esclaves, les janissaires constituaient la garde rapprochée du sultan ou empereur. De plus, outre leurs fonctions militaires, certains accédaient aux postes de direction de l’État allant jusqu’à occuper le siège de grand vizir, autrement dit de Premier ministre. Quelques-uns seront tentés de voir-là un geste de reconnaissance du sultan à l’égard de ses plus fidèles soldats. En réalité, la place que prenaient les janissaires dans la société turque était liée à l’insécurité dans laquelle vivait leur maître. En effet, les cabales et complots secouaient régulièrement le système, en particulier au moment de l’arrivée au pouvoir d’un nouveau sultan. Or sans attaches familiales ni progéniture, dépendant de plus totalement de l’empereur pour leur bonne fortune, les janissaires échappaient aux jeux d’alliance des clans et faisaient figure d’ultime recours face aux tentatives de renversement du pouvoir. Résultat de cette situation aussi paradoxale qu’atypique, c’est un corps d’esclaves qui choisissait et adoubait le nouveau sultan, à la mort de son père, et jouissait d’une position prédominante dans la société. Cette relation était scellée dans le sang, puisque les janissaires assassinaient les frères du sultan afin d’éviter de possibles revendications au trône.

Au XVIème siècle, Constantin Mihailovic, ancien janissaire ayant retrouvé sa liberté à la suite de la victoire des armées chrétiennes contre l’Empire ottoman, a dicté son aventure en serbe telle qu’il l’avait perçue. Traduite en français, son histoire a permis la publication d’un livre sous le titre : « Mémoires d’un janissaire, chronique turque ».

Né vers 1438, Constantin fut capturé, semble-t-il, en 1451 dans sa Serbie natale. Il retrouva la liberté à la suite de la prise de la forteresse de Jajce, en Bosnie, par le roi Matthias de Hongrie en 1463.

En 1494, au château de Spis, aujourd’hui en Slovaquie, plusieurs têtes couronnées d’Europe se retrouvèrent. Se côtoyaient alors, le roi de Pologne et de Lithuanie, le roi de Bohême et de Hongrie, le prince-électeur von Brandenburg et le prince de Moldavie. Cette rencontre n’avait rien de festive, ces quatre monarques préparant une vaste offensive contre les forces ottomanes. Alors devenu un vieillard chenu, Constantin saisit cette occasion pour remettre deux traductions de ses mémoires, l’une en polonais, l’autre en tchèque. Son intention était d’éclairer ces maîtres de l’Europe orientale sur le fonctionnement de l’empire turc. Nous en avons retenu la partie relative aux conseils sur la manière de défaire les Ottomans, tant ils nous paraissent d’actualité à la veille de la pitoyable retraite occidentale d’Afghanistan.

« Sachant que la raison et l’ordre font beaucoup, lit-on, si vous devez vous préparer à combattre les Turcs, évitez de vous alourdir avec des armures, ne prenez pas de grosses piques de cavalerie, d’arquebuses, de lourds trébuchets *, mais fabriquez les choses nécessaires à la guerre et à la bataille de manière à ce qu’elles soient légères et que vous puissiez vous mouvoir sans peine. Car les Turcs ont un grand avantage de cet ordre. Si vous les poursuivez, ils se sauvent, mais si c’est eux qui vous poursuivent, vous ne leur échapperez pas. Les Turcs et leurs chevaux sont toujours plus rapides parce qu’ils sont légers, et nous, à cause de nos chevaux lourds et du poids de notre armure, nous sommes lents, car avec du poids sur la tête, l’esprit devient pesant ; de plus on n’entend rien, on ne voit pas bien alentour et on ne peut se mouvoir ni bouger les bras à cause du poids des armures. Car certains revêtent une lourde armure comme si c’était eux qu’on voulait conquérir en leur montant dessus avec un poignard ; or un homme brave doit combattre avec un coeur pur et vaillant. Il vaut mieux qu’il aille au combat de manière à pouvoir se replier avec honneur en cas de besoin et ensuite, sain et sauf, faire ce qu’il a envie, plutôt que de mourir en restant planté en un endroit comme s’il était en plomb ».

Une leçon à méditer par nos stratèges.

Jean Isnard

Notes

(1) * Engins de siège servant à lancer de lourds projectiles par-dessus les fortifications ennemies.

 

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