LE MYTHE DE SALADIN |
Gerald Messadié, écrivain prolifique, a publié à la fin de lannée dernière (2008)« Saladin, chevalier de lislam » (1). De son vrai nom Salah Al-Dine, en arabe, Saladin naquit en 1138 à Tikrit, dans lactuel Irak, et mourut à Damas en 1193. Issu dune famille kurde, il sempare du sultanat dÉgypte puis élimine progressivement ses concurrents en Syrie. Vers la fin de sa vie, en 1187, il parvient même à chasser les Croisés de Jérusalem, provoquant contre lui la levée dune troisième croisade. En Orient, il passe pour le champion du « jihad » contre les Francs. En Occident, de manière plus surprenante, la légende a fait de lui un personnage généreux et chevaleresque. Messadié, dans son ouvrage, sattache à démontrer le contraire. La thématique de la guerre de civilisations nous a paru la plus intéressante. |
Messadié sattaque avant tout, à lépoque, à ce qui, pour lui, est une légende. « Il nexistait pas, dit-il, plus de solidarité religieuse dans les territoires musulmans ou chrétiens que dantagonisme entre les uns et les autres ». Il en veut pour preuve « lhostilité avérée de Saladin envers les Almohades (2), ou la preuve plus éclatante encore qua constitué lalliance durable entre la Byzance (3) chrétienne et le sultan Saladin contre les Croisés. Les multiples trêves et autres alliances conclues entre Saladin lui-même et les princes arabes dune part, et les Francs dautre part, illustrent combien lantagonisme religieux irréductible entre chrétiens et musulmans est une fiction ». Et dajouter que les témoins mahométans de lépoque « ne pouvaient oublier que les premières victoires du Kurde (Saladin) avaient été remportées contre des musulmans ... » Certes, les faits sont-là. Il faut, néanmoins, croyons-nous, distinguer ce qui relève de lidéologie globale, des décisions prises sous la pression des circonstances. Tous les conflits ont connu de ces alliances inattendues qui, un moment, unissent des factions hier ennemies, affaiblissant, en apparence, les raisons de se battre. Certes, encore, Messadié donne une raison dêtre à la guerre, malgré tout principalement entre chrétiens et musulmans. Saladin, assure-t-il, « était dabord un guerrier et, ses biographes en témoignent jusquau bout, ne concevait les rapports de puissance quen termes de combat. Le djihad représentait pour lui la justification officielle de sa nature à lintérieur du monde musulman. Sa thématique conféra une structure à son action ; Saladin proclama que sil combattait des musulmans, tels les Zangides (4), cétait parce quils ne combattaient pas les Croisés ». Disons-le, nous retrouvons-là la logique même des groupes islamistes, pour justifier leurs affrontements contre dautres musulmans. Nous pensons, aujourdhui aux Taliban ou aux membres dAl-Qaïda. Du reste, sous la plume même de lauteur, ne lit-on pas une confidence de Saladin, à un proche, qui affaiblit beaucoup la thèse de la relativisation de la motivation religieuse. « Jai dans lesprit, aurait dit le héros du livre, que, lorsque Dieu Tout-puissant facilitera la conquête du reste de la côte (occupée par les Croisés), je répartirai les terres, donnerai mes instructions et prendrai congé. Puis je traverserai cette mer jusquaux îles des Francs et je les poursuivrai jusquà ce quil nen reste pas un seul sur la surface de la terre qui ne reconnaisse Dieu, jusquà ce que je meure ». « Propos exaltés jusquau délire, qui témoignent en tout cas dune méconnaissance du Coran », commente Messadié. Il cite, à lappui de son propos, un verset du livre sacré des musulmans appelant ces derniers à respecter les chrétiens et les juifs et à « converser avec eux de la meilleure manière ». Il faut, pour comprendre le sentiment de Messadié, savoir quil est né en Égypte et quau cours de son enfance, il a côtoyé des musulmans. Connaissant les zones de convergence entre islam et christianisme, il ne peut tolérer les points de divergences, exploités jusquà labsurde par les islamistes. Doù son rejet de Saladin, parce que celui-ci na pas su favoriser la rencontre de lOrient et de lOccident. Un livre à lire pour mieux
comprendre cet Orient compliqué et les subtilités
du présent. Jean Isnard (1) Aux éditions lArchipel, dépôt
légal octobre 2008, 310 pages, 20,95. |
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