L'AFGHANISTAN DE SARKOZY

mai 2008

Lors de la conférence de presse télévisée du 24 avril, les propos du Président de la République, Nicolas Sarkozy, sur la guerre d'Afghanistan, nous ont paru trahir une ignorance inquiétante de la situation.

Il a dit : " Ouvrir un dialogue avec des gens qui ont amputé d'une main une femme parce qu'elle avait mis du vernis à ongles, ont empêché des millions de petites jeunes filles d'aller à l'école, qui ont mis à terre des bouddhas qui avait plusieurs siècles d'histoire, qui lapident la femme prétendument adultère, si c'est pour discuter avec cette équipe-là, je pense qu'on aurait pas grand-chose à se dire. Il se trouve que nous sommes en Afghanistan aux côtés des Afghans... "

Des précisions s'imposent. Certes, nous comprenons l'aversion de Nicolas Sarkozy pour les méthodes et règles de vie des Taliban. Mais est-ce une raison suffisante pour occuper militairement leur pays ? Si oui, nous pourrions dresser une longue liste d'États requérant notre intervention.

Sarkozy manifeste en outre une profonde méconnaissance de la situation sur le terrain. En effet, contrairement à ses dires, les Taliban ne forment pas une entité coupée de la population. Au contraire, issus de l'ethnie majoritaire, les Pachtouns, ils bénéficient du soutien de celle-ci. Plus grave, pour la plupart, ces mêmes Pachtouns voient dans les Taliban des résistants en lutte contre une occupation étrangère.

Guerrier pachtoun

Enfin, en Afghanistan, les affiliations et la formation des partis relèvent plus de l'appartenance ethnique que de l'idéologie. Au passage, Sarkozy serait surpris de découvrir des comportements, qu'il impute aux seuls Taliban, très répandus chez les Afghans proches, par intérêt, de l'Occident. En d'autres termes, il n'y a pas dans ce pays de " bons Afghans ", du côté duquel nous serions, et de " mauvais Afghans ", les Taliban.

Aussi voit-on l'idée de refuser de dialoguer avec ces derniers très dangereuse car, rejetant ces gens-là, on s'interdit de trouver une solution négociée avec la majorité de la population.

Plus loin, Sarkozy parlait du " drame qu'a été l'arrivée des Taliban ", donc en 1996. Ce " drame " était évitable. Pour cela, il aurait fallu aider à la reconstruction de l'Afghanistan après le départ des Soviétiques, à la fin des années 80. Or, nous avons complètement lâché le pays. Il ne nous intéressait plus puisque, Moscou ne menaçait plus le Golfe arabo-persique par où transitent 65% du pétrole consommé sur la planète.

En outre, notre Président l'oublie, les États-Unis, l'Arabie Saoudite et le Pakistan ont organisé les Talibans, formés au départ de réfugiés pachtouns vivant en territoire pakistanais. Avec une certaine naïveté, ce trio espérait ainsi remettre de l'ordre en Afghanistan.

carte de l'AfghanistanEn réalité, il faut le rappeler, nos troupes sont entrées en Afghanistan en 2001 pour répondre à l'agression du 11 septembre. Il s'agissait alors d'éradiquer Al-Qaïda. Un objectif légitime.

Mais demeurant sur place, transformant nos soldats en troupes d'occupation, nous avons, aux yeux des habitants, suscité une autre légitimité, celle de la résistance.

Les attaques mal ciblées accompagnées de " dégâts collatéraux " ont fait le reste en provoquant la colère contre nos hommes.

Pire, en avril 2007, pour obtenir la libération de deux otages français, Céline Cordier et Éric Damfreville, le candidat Sarkozy avait parlé du caractère passager de la présence française en Afghanistan. Un an après, le 5 avril, Mollah Omar, le chef des Taliban, rappelait ce qui passait, à ses yeux, pour une promesse de désengagement de la France.

En réalité, il s'agit d'un inversement de notre politique en Afghanistan. En septembre 2007, en déplacement dans le pays, nous avons appris la diplomatie française travaillant à nouer des contacts avec les Taliban pour négocier un retour à la paix.

Alors, que faire ? A notre avis, nous n'avons aucune chance de régler militairement le problème. Ou alors, il faudrait des centaines de milliers d'hommes et procéder à la destruction de centaines de villages. Impossible et inacceptable.

Quant à quitter la région du jour au lendemain, cela déclencherait une nouvelle catastrophe : dans le vide laissé derrière nous, les gens d'Al-Qaïda prospèreraient et les différents groupes ethniques plongeraient à nouveau le pays dans la guerre civile.

Nous ne voyons donc que la négociation. Ceci pour obtenir des Taliban et des autres tendances qu'ils fassent pour nous les gendarmes, empêchant les membres d'Al-Qaïda de s'organiser en force de combat. Pour les y amener, nous disposons de deux moyens : la carotte, en apportant des moyens pour développer le pays, et le bâton, en menaçant d'attaques aériennes ciblées et destructrices si Al-Qaïda continue d'opérer à partir du sol afghan.

C'est réaliste et efficace, finalement plus humain que cette liste sans fin de civils tués par les uns ou les autres.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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