SUR LES GRANDS LACS |
février 2010
Le 14 janvier 2010,
à Paris, nous avons assisté à une conférence
de presse sur lactuelle situation du Sud-Soudan, présentée
par Castello Garang, conseiller spécial du gouvernement
régional. On sait le Soudan, ancienne colonie britannique,
sortant de deux guerres civiles entre le Nord et le Sud. La première
débuta en 1955 et se termina en 1972. Garang, lors de la conférence de presse du 14 janvier, a laissé entendre que le Sud-Soudan, « déçu » par le Nord, était en faveur de la sécession. Le nouvel État, enclavé dans les terres, naurait alors plus daccès à la mer. Or cet aspect est essentiel. Le Sud-Soudan, riche en pétrole, naurait en effet, pour exporter son or noir, que le choix entre lutilisation du pipe-line actuel, conduisant à Port-Soudan à travers le territoire hostile du Nord, ou une ouverture sur les pays septentrionaux, lOuganda et le Kenya, pour obtenir un accès à lOcéan indien. Autour du sort du Sud-Soudan, se joue une partie politique pour le contrôle de la région des « Grands Lacs dAfrique ». Les Chinois se tiennent à proximité de la zone en assurant leur présence au Soudan. Plus au sud, les Américains et leurs amis Britanniques renforcent leurs positions à partir du Kenya et de lOuganda. Implantés à louest, en République démocratique du Congo, dans ses anciennes colonies et autrefois au Rwanda, la France en revanche se laisse repousser sans réagir et même avec une certaine complaisance. En avril 2005, à peine lencre des accords de paix entre le Nord et le Sud-Soudan avait-elle séché, que déjà, le Kenya proposait de construire un pipe-line pour exporter le pétrole soudanais par le port de Mombasa. Le PDG du « Kenya Pipeline Corporation », George Okungu, parlait avec emphase de lavantage kenyan. Il offrait même des sites de stockage, en zone portuaire, pour le pétrole soudanais. Or, quand le Kenya parle, cest
un peu la voix des États-Unis qui se fait entendre.
En 2008, au lendemain délections contestées,
la plupart des pays européens, y compris la Grande-Bretagne,
émettaient de sérieux doutes sur leur régularité.
Des affrontements ensanglantaient le pays et faisaient plus de
1000 morts. Mais le favori de Washington, Mwai Kibaki,
saccrochait et les États-Unis allaient jusquà
le féliciter. A QUELQUES PAYS DAFRIQUE (en milliers de dollars)
Washington est prêt à tout accepter de Nairobi. Dans une lettre, le Président George W. Bush allait jusquà considérer le « Kenya comme un modèle pour les pays en voie de développement, un adepte des valeurs démocratiques sur un continent où les guerres civiles font rage et où règnent les régimes militaires et autoritaires ». A cela, une raison : avec son port en eaux profondes de Mombasa, le Kenya est la meilleure base pour atteindre les États enclavés de la région. En outre, les États-Unis y sont présents depuis lindépendance. On ne sétonnera pas que le pays bénéficie de la plus grosse aide économique américaine dans la région. En 2009, il a reçu 569 millions de dollars, un budget régulièrement réévalué dannée en année. Dans des pays bien plus pauvres, mais sans intérêt pour les États-Unis, laide de ces derniers apparaît bien moins importante. Lannée dernière, elle natteignait que 100 mille dollars pour la RDC et 150 mille dollars pour la République Centrafricaine. En revanche, trois autres enfants chéris de Washington sont bien servis : la Tanzanie, avec une aide annuelle de 336 millions de dollars, lOuganda avec 346 millions... et le Rwanda, qui a reçu 161 millions avec une population quatre fois moins nombreuse que des deux précédents. Les Américains ont commencé à étendre leur influence dans la région au cours des années 80, sur fond de lutte dinfluence avec les communistes. La Tanzanie, pays ruiné par le gouvernement marxiste de Julius Nyerere est alors soutenue par les Chinois. Nyerere se laisse convertir à léconomie de marché. Avec habileté Washington ne brusque pas les choses et lui fait obtenir des crédits de la Banque Mondiale. Quand en 1985 Nyerere quitte le pouvoir, la Tanzanie a définitivement basculé. En 1990, Washington recourt à la même stratégie, pour gagner la confiance de Yoweri Museveni, un autre marxiste. Il sest emparé de lOuganda à la tête dune guérilla soutenue par larmée tanzanienne en 1979, contre Idi Amin Dada, puis en 1986, contre le Président Milton Obote. Champion du pouvoir autoritaire, Museveni, qui na pas toléré délections pendant plus de quatorze ans, nen est pas moins devenu le principal instrument de Washington dans la région. A partir de 1990, avec lassentiment des Américains, à son tour Museveni soutient une guérilla contre le Rwanda voisin. Paul Kagamé en devient le chef. Cest un Tutsi. Avec dautres membres de son ethnie, il a fait partie du noyau des combattants qui ont amené Museveni au pouvoir. Après avoir servi un temps comme adjoint du directeur des Services de Renseignements de larmée ougandaise, il a effectué un stage de commandement militaire aux États-Unis, à Fort Leaven Worth, au Kansas. En 1994, selon le juge Jean-Louis Bruguière, ses hommes exécutent un attentat contre lavion sur lequel volait le Président du Rwanda, Juvénal Habyarimana. La mort de ce dernier est le signal dune vaste tuerie dont les Tutsis sont les principales victimes. Kagamé profite de la confusion pour semparer du pouvoir à la tête de ses hommes. En 2003, il met une dernière main à son oeuvre, décrétant son pays anglophone et imposant langlais dans les écoles de ce pays autrefois proche de la France et rendu francophone sous lautorité coloniale belge. La poussée de Washington et de ses alliés africains ne sarrête pas là. Dans ce que lon appelle alors le Zaïre dirigé par Mobutu Sese Seko, vit, à lest, lethnie des Banyamulenges, en réalité des Tutsis. Très proches du Rwanda, ils déstabilisent la région du Kivu. Mobutu, certes un tyran, mais un allié de la France, leur ordonne en 1996 de quitter le pays. Les Banyamulenge sallient à une guérilla dirigée par Laurent Désiré Kabila. Puis, avec le feu vert des Américains, le soutien de lOuganda, de Museveni, et du Rwanda, de Kagamé, les insurgés renversent Mobutu le 20 mai 1997. La France na pas bougé. Le Zaïre prend le nom de République Démocratique du Congo ou RDC sous lautorité de Kabila. Mais ce dernier supporte mal la férule des Tutsis. En août 1998, il les exclut du gouvernement. Cest un renversement dalliance et une déconvenue pour Museveni, Kagamé... et les Américains. A partir de 2003, les Tutsis repartent à lattaque. Sous la direction de Laurent Nkunda, un ancien lieutenant de Kagamé, ils lancent une nouvelle guérilla dans le Kivu. En août 2008, leurs actions sintensifient, forçant les pays occidentaux à réagir. En France, cette fois, le Quai dOrsay se montre très actif. Bernard Kouchner, un ami déclaré de Kagamé, participe aux discussions. Un accord est trouvé et le 20 janvier 2009, 2000 soldats rwandais entrent au Kivu pour, dit-on, ramener lordre aux côtés de larmée congolaise. Cest faire entrer le loup dans la bergerie. Le loup, cependant, sait se faire mouton : Kagamé sacrifie lun de ses pions, Nkunda, quil fait arrêter. Peu lui importe, ses troupes sont dans la place et en profitent pour poursuivre les Hutus, leurs ennemis séculaires, pour certains armés, réfugiés en RDC. Mais pourquoi cet intérêt du camp pro-américain pour la RDC ? Il est économique. La RDC, grande comme cinq fois la France, est un pays sous-administré, riche en eau, en terres fertiles et surtout disposant dune profusion de minerais, principalement dans lest et le sud du pays. Non seulement le Kivu apparaît comme une porte dentrée sur la région minière du Shaba, ancien Katanga, mais sur son territoire, de nombreux minerais suscitent la convoitise de ses voisins. Par exemple, il détient à lui seul environ 70% des réserves de coltan du monde. Or, ce minerai dune grande valeur, contient du tantale, un métal très apprécié pour sa résistance à la corrosion. Il est utilisé en aéronautique, dans la fabrication des réacteurs, et en électronique pour celle des condensateurs. En outre, il entre dans la confection des téléphones portables.
Prouvant lintérêt
des alliés de Washington pour le coltan du Kivu,
on le retrouve parmi les produits exportés par lOuganda
et le Rwanda qui ne possèdent pas de mines de ce
minerai. Daprès un rapport des Nations Unies
publié en 2001, on estime, quà
lépoque, larmée rwandaise avait exporté
pour 250 millions de dollars de coltan en lespace de 18
mois. A Kinshasa on est ulcéré de ce vol organisé. Mais dans un pays sans infrastructures routières dignes de ce nom, le pouvoir se révèle incapable dexercer son autorité sur une province située à près de 2000 km de la capitale. Certes, sappuyant sur la légitimité de la RDC, la France pourrait changer léquilibre des forces. Le profit dune telle action rendrait service aux Congolais tout en servant les intérêts de notre pays. Mais quattendre dans lambiance « américanolâtre » de lÉlysée ? On a bien senti cette dépendance de nos décideurs face à Washington quand, en janvier 2009, recevant les voeux du corps diplomatique, Nicolas Sarkozy avait évoqué le Rwanda « pays à la démographie dynamique et à la superficie petite » comparé à la RDC, « pays à la superficie immense et à lorganisation étrange des richesses frontalières ». À Kinshasa, on na pas beaucoup apprécié cet appel au partage des richesses minières du Kivu avec le Rwanda voisin. Inconsciemment, osons-nous encore lespérer, Sarkozy ne faisait quexprimer la pensée profonde dun trust politique qui aimerait corriger cette « injustice de la nature ». Le lâchage de la France est perçu comme dautant plus cruel que les manoeuvres de déstabilisation de la RDC ne cessent pas. Le nouvel instrument mis en place par Museveni sappelle lArmée de Résistance du Seigneur ou LRA. Créée en 1988, en Ouganda, cette guérilla se dit inspirée par le christianisme. Son chef, Joseph Kony veut alors renverser Museveni et instaurer un régime basé sur les dix commandements de la Bible. Ses méthodes, dune extraordinaire sauvagerie, nont rien de chrétien : elles vont de la liquidation systématique des populations à la capture des enfants qui, armés et fanatisés, sont envoyés à la mort dans les combats. Ceux-ci représentent jusquà 80% des effectifs de la LRA. Ignorées du reste du monde, en 2006, les exactions de la LRA font 150 victimes par semaine. Le 4 août de cette même année, néanmoins, lorganisation annonce unilatéralement sa décision de mettre fin à la guerre. En réalité, un accord a été passé avec Museveni. En échange dune relative liberté de mouvement de la LRA en Ouganda, cette dernière se déplaçait vers le Sud-Soudan, la République Centrafricaine (RCA) et la RDC. Lest de la RDC paye un lourd tribut à larrangement entre la LRA et Museveni. Villages et églises sont attaqués. La population, pillée et tuée sans la moindre pitié, fuit sa terre natale. Kinshasa se montre incapable de réagir et si les organisations humanitaires multiplient les communiqués, ils sont le plus souvent ignorés par les médias. A ce prix, sédifient une nouvelle zone dinfluence américaine et un empire africain sous domination des ethnies nilotiques dont font partie les Tutsis. Certes, cette offensive politico-militaire est destinée à barrer la route aux Chinois implantés au Soudan. Mais elle se fait aussi aux dépens de linfluence française et de ses intérêts partagés avec les Africains. Prochains dominos prêts à tomber dans les mains de cette alliance, sous le regard désintéressé de Paris : le Sud-Soudan et lest de la RDC. A se demander pour qui travaillent Sarkozy et Kouchner.
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