LES NOUVEAUX MAÎTRES
DE L’ASIE CENTRALE

juin 2012

Le 15 avril 2012, les Taliban lançaient six attaques concomitantes à travers l’Afghanistan. Trois d’entre elles, menées dans le secteur le mieux protégé de Kaboul, visaient le Parlement et les ambassades occidentales. Le même jour, au Pakistan voisin, les Taliban de ce pays coordonnaient ces attaques avec celle de la prison de Bannu où ils libéraient 380 des leurs.

En Occident, la tendance est au retrait d’Afghanistan. Pour se rassurer, on veut s’obliger à croire les forces armées afghanes capables de faire face aux Taliban. Dramatique illusion !

Moscou avait été jusqu’à donner un coup de main à Washington pour tordre le cou des Taliban. Le Kremlin avait toléré une base aérienne américaine à Manas, au Kirghizistan, et une autre à Karshi-Khanabad, en Ouzbékistan, dans deux pays de sa zone d’influence. Pragmatique, la Russie ravalait son orgueil et espérant voir la menace islamiste montant du sud jugulée par ceux qui, dans les années 80, avaient tout fait pour la chasser d’Afghanistan.

Aujourd’hui, à Moscou, on a pris acte du départ des Occidentaux de Kaboul et on se prépare à faire face. Deux options apparaissent.

La première consiste à renforcer les anciennes républiques musulmanes de l’ex Union Soviétique*. Plus particulièrement le Tadjikistan, qui a traversé une guerre civile de cinq ans (1992-1997), et sur le territoire duquel les Taliban afghans, aidés par l’usage d’une langue commune, le persan, sont en liaison avec des groupes d’islamistes locaux.

La seconde option passe par la coopération entre Moscou et Pékin. Ainsi, en juin 2001, se constituait l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) avec la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. À vocation essentiellement militaire, l’OCS se pose en protectrice des frontières et en défenseur de la paix dans la région. En fait, elle se veut une alternative à l’OTAN.

L’idée n’est pas farfelue. Si l’OCS est moins bien dotée en moyens militaires que l’OTAN, elle est en revanche sur son territoire dans la région. De plus, la Chine dispose aujourd’hui d’atouts majeurs qui peuvent lui donner les moyens d’arbitrer les conflits locaux et d’instaurer la paix.

 

Il faut savoir Pékin entretenant des relations économiques et militaires avec le Pakistan depuis les années 50. À cette époque, à travers le Cachemire, la Chine avait déjà commencé à ouvrir la route de Karakoram, la plus haute du monde. Cet axe permet de relier l’Empire du Milieu au port pakistanais de Gwadar, lui aussi construit par Pékin, sur le Golfe arabo-persique.

Depuis, les Chinois ont obtenu l’accord d’Islamabad pour établir une base militaire navale dans le même port. Ils projettent par ailleurs de doubler la route de Karakoram par une voie ferrée et d’un pipe-line pour le gaz iranien.

Soutenant en outre Téhéran diplomatiquement et économiquement dans sa partie de bras de fer avec l’Occident, les Chinois trouvent leur intérêt en s’approvisionnant à bon prix en pétrole auprès des ayatollahs.

Enfin, en Afghanistan, la Chine a acquis un énorme gisement de cuivre à Aïnak, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Kaboul. Elle envisage de créer une autre liaison ferroviaire la reliant à l’Iran à travers l’Afghanistan et le Tadjikistan. Un moyen pour elle de s’ouvrir une route pour l’exportation de ses produits, mais aussi de rapatrier de cuivre afghan.

Prévoyant, Pékin a déjà ouvert des canaux de négociation avec les Taliban afghans par l’entremise des services secrets pakistanais et, avons-nous appris par nos contacts, laissent même filer quelques armes et munitions utilisées contre les forces de l’OTAN en Afghanistan.

En d’autres termes, Pékin est en passe de devenir le pivot politique et économique d’une Asie centrale dont l’Occident sera exclu. Nous aurions pu rêver mieux, mais cela est préférable à l’anarchie islamiste. Washington paye pour ses erreurs accumulées dans la région.

Alain Chevalérias

 

Note

* C’est à dire le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, voire le Kirghizstan et le Kazakhstan.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

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