décembre 2006
Le vendredi 1er décembre 2006, une manifestation gigantesque se mettait en place pour plusieurs jours à Beyrouth. Dans cette affaire, l'opinion occidentale a du mal à trouver ses repères. Naturellement, sa sympathie ne va pas au Hezbollah mais aux chrétiens. Mais ces chrétiens, on les trouve des deux côtés, comme nous l'avons expliqué dans " Fatalité libanaise ? " Se raccrochant néanmoins à des idées simples, certains ont choisi le soutien au général Michel Aoun, dans cette affaire l'allié du Hezbollah. Encore se sentent-ils mal à l'aise. |
Pour comprendre et se positionner, nous suggérons de dépasser les notions de communautarisme. Il faut, si nous ne voulons pas de la guerre civile, parler en termes d'intérêts du Liban et donc de tous les citoyens de ce pays. Privilégier les uns au détriment des autres suscite des déséquilibres, par conséquent un sentiment de frustration et la tentation du recours à la violence. Nous croyons donc indispensable de soutenir la légalité quand, comme au Pays des cèdres aujourd'hui, elle respecte des principes d'équité en assurant à tous l'accès au pouvoir. Dans cet esprit, il convient de parler en termes de droit, en oubliant un moment les sentiments. Or, le droit consiste à apporter son soutien à la victime en dénonçant le ou les coupables. Au Centre de recherches, nous nous appliquons à cela. Quand le Hezbollah est, selon notre analyse, abusivement qualifié d'organisation terroriste, nous le disons. Au nom des principes démocratiques, nous le défendons aussi, lorsqu'en France, on interdit à sa télévision, Al-Manar, de diffuser sur notre territoire. Par contre, nous le condamnons quand lui même ne respecte pas le droit : en capturant des soldats israéliens sur le territoire d'Israël et en exposant le Liban à une attaque de son voisin. Nous appliquons les mêmes critères d'analyse à Israël. Si nous ne dénions pas à ce pays le droit de se défendre, nous dénonçons ses excès, son cynisme à l'endroit des populations non-juives et la démesure de son expansionnisme. Nous n'agissons pas autrement à l'endroit du général Michel Aoun. Nous avons salué son combat contre la Syrie et pour l'indépendance du Liban. Nous n'approuvons pas son association contre nature avec une organisation, le Hezbollah, alliée à des intérêts étrangers à son pays. En outre un parti dont le radicalisme religieux chiite ne peut que susciter le mécontentement des autres composantes, chrétiennes bien sûr, mais aussi sunnites et druzes. Ainsi armés de prudence et d'équité nous pouvons avancer sur le terrain mouvant de la politique moyen-orientale.
La crise a commencé à la fin de cet été, à partir du moment où le Hezbollah a revendiqué " le droit " pour Michel Aoun de compter des ministres chrétiens au gouvernement. Passons sur le côté cocasse de la demande. L'explosion devenait prévisible, quand, le 11 novembre, les ministres du Hezbollah et de Amal, autre parti chiite, quittaient le gouvernement. Commencées le 1er décembre, les manifestations n'en sont que la conséquence. Mais pour obtenir quoi ? 1/ Les manifestants et leurs chefs considèrent le gouvernement illégitime pace qu'il n'est pas composé de toutes les communautés et de tous les partis. 2/ Ils veulent de nouvelles élections législatives et la formation d'un nouveau gouvernement.
Le Hezbollah reproche au gouvernement de Fouad Siniora de ne pas représenter toutes les composantes du pays. On peut entendre cela de deux manières : sur un plan communautaire confessionnel ou sur celui des partis politiques. 1/ Sur le plan communautaire, le Pacte national, accord non écrit décidé pendant l'automne 1943, permettait la représentation au pouvoir de toutes les communautés du pays et bien sûr, principalement, des deux grandes familles: la chrétienne et la musulmane. Le Liban fonctionne encore selon ce principe, chacun le sait, la Présidence de la République revenant à un chrétien maronite, la présidence du gouvernement échoit à un sunnite et celle de l'Assemblée nationale à un chiite. Au sein du gouvernement, avant le départ du Hezbollah et de ses alliés, le 11 novembre dernier, siégeaient toutes les appartenances confessionnelles. Y compris les druzes. Si les chiites d'Amal et du Hezbollah ne sont plus représentés, ils ne peuvent, en l'occurrence, que s'en prendre à eux-mêmes. 2/ En ce qui concerne l'appartenance politique, une règle apparaît dans les accords de Taëf, signé par les députés libanais le 5 novembre 1989 pour mettre un terme à la guerre civile.
Ce " gouvernement d'union nationale " devait faire siéger côte à côte en son sein les principales appartenances politiques, et d'abord celles dont les affrontements avaient ensanglanté le pays pendant bientôt quinze ans. Au ton, on comprend néanmoins cette mesure provisoire et uniquement destinée à mettre sur pied un " Etat fort. " Logique, car en démocratie, fonctionnement auquel adhère le Liban, on ne saurait imposer un gouvernement d'union national autrement que pour une période d'exception. Le vouloir sur la continuité reviendrait à renier cette même démocratie en retirant toute raison d'être aux élections et aux étiquettes politiques. Vu sous cet angle, on constate que le gouvernement de Fouad Siniora, issu des élections législatives du printemps 2005, s'est formé autour du camp majoritaire, dit " du 14 mars. " Sous cette dénomination on désigne le front opposé à l'occupation syrienne du Liban. Compte tenu de la dangerosité de la situation, le pays étant divisé en deux, ce gouvernement a fait appel aux autres composantes politiques élues à l'Assemblée nationale. D'une part le Hezbollah et Amal, qui sont entrés au gouvernement. D'autre part la tendance du général Aoun. Ce dernier a alors présenté des exigences telles, en demandant plusieurs ministères clés, qu'il a perdu l'occasion d'être présent ou représenté au gouvernement. En conclusion, le gouvernement ne nous apparaît pas illégitime au regard des règles et traditions libanaises. Puisque, d'une part, s'il n'est pas constitué de toutes les appartenances confessionnelles, c'est de la faute de la composante qui en est partie. Que, d'autre part, rien ne l'oblige a réunir tous les partis politiques.
De nouvelles élections législatives répartiraient à nouveau les sièges en fonction de l'appartenance communautaire. En clair, les chiites n'obtiendraient pas plus de sièges qu'aujourd'hui. Quant à leurs alliés chrétiens, ils risqueraient de se retrouver dans une situation délicate. L'effet Aoun est passé. Arrivé au Liban, il était auréolé de la gloire de l'opposant à la Syrie. Certes, beaucoup de chrétiens l'ont suivi dans son alliance avec le Hezbollah, lui faisant confiance et le croyant capable de canaliser les excès du Hezbollah. Depuis la guerre de cet été, dont les effets dévastateurs sont imputables à Israël mais le déclenchement au Hezbollah, l'amertume de la pilule a désolidarisé nombre de chrétiens du général Aoun. Des élections se solderaient, pensons-nous, pour lui, par une défaite. En d'autres termes, si des élections
législatives prenaient place comme le demande le Hezbollah,
l'opposition qu'il conduit compterait moins de sièges
à l'Assemblée nationale qu'aujourd'hui.
Dans le cadre décrit, on comprend l'intérêt du Hezbollah se trouver ailleurs que dans des élections. Mais où ? Il faut d'abord comprendre. Les chefs du Hezbollah, donnant l'ordre de capturer deux soldats sur le territoire israéliens, savaient déclencher une intervention militaire de l'ennemi. Ils ont par contre sous-estimé la réaction à venir des Israéliens. Pendant les combats, ils ont épuisé leurs forces (700 à 1000 hommes) consacrées à la défense du Sud. D'après nos informations, ils auraient alors perdu 500 hommes. Si la guerre avait continué, le Hezbollah aurait été obligé d'engager des renforts. Il risquait alors de manquer d'hommes aguerris pour assurer les autres missions qu'il s'est données (voir la note). C'est pourquoi, à la mi-août, siégeant alors au gouvernement, ses représentants ont accepté le plan international d'extension de la mission de la FINUL ainsi que son propre désarmement, dans la région du sud Liban, au contact de la frontière israélienne. Cette perte de terrain, un échec pour le Hezbollah, les chefs du parti cherchent à la faire oublier en réussissant en coup politique. Ils comptent, jouant sur la pression de la rue, obtenir à cette fin la chute du gouvernement. Et après ? Nous sommes prêts à parier qu'ils n'envisagent pas des élections immédiates, mais seulement un retour en force au gouvernement, pour changer le rapport de force. Et ce changement de rapport de force n'est pas pour rien. Le gouvernement actuel a donné son accord à la création d'un tribunal international pour juger les personnes suspectes dans l'affaire de l'assassinat de Rafic Hariri. Étrangement, les pro-syriens et le Hezbollah s'y opposent. Est-ce seulement avec le souci, soudain sourcilleux, de préserver la souveraineté du pays ?
Nous ne pensons pas que le Hezbollah cherche la guerre civile. Néanmoins, aux risques qu'il prend, on le sent acculé. Car le moindre incident peut dégénérer en affrontement généralisé. Voilà sans doute le reproche le plus grave à faire au gouvernement Olmert. Par son attaque disproportionnée, il a déstabilisé le cadre libanais. Certes, les Israéliens diront, " les affaires du Liban ne sont pas les nôtres. Si les Libanais veulent s'entretuer, cela les regarde... " Est-il cependant confortable de vivre au pied d'un volcan en éruption ? Aussi la question se pose-t-elle : Pourquoi les responsables de l'État hébreu ont-ils pris une telle responsabilité ? Volontairement, pour engendrer plus de guerre dans la région et offrir de nouvelles options politico-militaires à Israël ? Ou par manque de compréhension du fonctionnement du Moyen-Orient ? Alain Chevalérias
NOTE : Israël, remarquons-nous au passage, ne se trouvait pas dans une meilleure position. Le nombre de soldats appelés mobilisés avait causé un ralentissement de l'économie israélienne. L'Etat hébreux ne peut pas faire face à de longues offensives. En outre, le nombre de soldats morts, les messages alarmistes, arrivant du front aux familles par téléphones portables en raison de la mauvaise organisation de l'opération, constituaient autant de raisons pour Israël d'accepter la l'offre internationale. Bien sûr, ni l'un, ni l'autre des belligérants ne reconnaîtra les faits. |
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