Vitupérer
l'Etat d'Israël, exiger son élimination, bon argument
de politique intérieure, n'en est pas moins à la
fois déraisonnable et dangereux. En revanche, dans la
mesure où elle sert l'intérêt de la nation
iranienne - et c'est le cas - la démarche obstinée
du président Mahmoud Ahmadinejad a sa logique.
Celui-ci peut avancer une question préliminaire
: " pourquoi le fait d'avoir procédé à
des expérimentations nucléaires avant le 1er janvier
1967 accorde-t-il aux cinq puissances atomiques (Etats-Unis,
Russie, Grande-Bretagne, France et Chine) avec l'assentiment
de la communauté internationale, les privilèges
que confère le nucléaire, avec de surcroît,
la faculté de se réserver ces privilèges
et d'interdire aux autres Etats d'en bénéficier
? Cette antériorité est une preuve de savoir scientifique
mais non d'une haute valeur morale en politique internationale.
Faisant abstraction d'un lourd contentieux - plus d'un
demi siècle de discorde - des ambitions affichées
par Téhéran et de celles qu'on lui prête,
force est d'admettre que l'historique de l'irruption du nucléaire
dans la vie internationale, les exigences énergétiques
du développement, les avantages de la sécurité
assurée dans l'indépendance, enfin les événements
mondiaux tels qu'ils se sont déroulés depuis la
dislocation de l'URSS, amplifient les attraits de la maîtrise
complète du cycle nucléaire et justifient l'adhésion
de la population au projet gouvernemental iranien.
A. Cadre historique
1. A
l'issue de la Conférence des Bermudes (décembre
1953) Eisenhower et Churchill avaient décidé de
renoncer au strict secret en vigueur dans toutes les affaires
nucléaires, et cela depuis les origines du projet Manhattan.
Et, plus spécifiquement, depuis l'adoption de la loi proposée
par le sénateur Mac Mahon et approuvée par le Congrès
(août 1946). Aux Etats-Unis, alors unique puissance nucléaire,
toutes les activités relatives à la désintégration
de la matière devaient relever d'une Commission de cinq
membres désignés par le Maison-Blanche et être
gérées dans le plus grand secret, toute divulgation
à l'étranger étant sanctionnée par
la peine de mort. Aussi, même les alliés des Etats-Unis,
tels la Grande-Bretagne et le Canada, a fortiori la France, ne
pouvaient obtenir aucune assistance dans leurs travaux scientifiques
et techniques relatifs au nucléaire.
Mais, revenant de la rencontre des Bermudes, le
8 décembre 1953, le président Eisenhower fit une
nouvelle proposition : une Agence Internationale de l'Energie
Atomique recevrait des Etats produisant des matériaux
fissiles une contribution dont le stock serait réparti
par l'Agence et son utilisation - à des fins pacifiques
- contrôlée par elle. Le monde avait soif d'énergie,
un vaste marché allait être créé et,
surtout, l'URSS venait de faire exploser sa première charge
thermonucléaire (août 1953) si bien qu'il fallait
devancer Moscou et prendre l'initiative d'une gestion mondiale
de l'énergie d'origine nucléaire. De l'égoïsme
atomique, l'heure était venue de passer à une apparente
générosité nucléo-énergétique
planétaire.
C'est pourquoi, en novembre 1954 sur l'initiative de la Maison-Blanche,
l'Assemblée générale des Nations Unies décida
d'organiser une Conférence internationale pour traiter
des applications pacifiques de l'énergie atomique. Et
73 pays, avec 1500 délégués, participèrent
aux débats qui se déroulèrent à Genève,
du 8 au 20 août 1955. Entre scientifiques les échanges
furent nombreux et le secret atomique, jusque-là rigoureusement
respecté, fut partiellement levé. D'ailleurs, dans
le cadre de sa nouvelle politique, appelée Atoms for
Peace, le président Eisenhower avait fait modifier
la loi Mac-Mahon afin que les Etats-Unis soient en mesure de
conquérir le marché mondial des techniques atomiques
productrices d'énergie à des fins pacifiques. En
particulier, il s'agissait de généraliser les centrales
fonctionnant à l'uranium enrichi, selon le modèle
américain, centrales qui présentaient l'avantage
de produire moins de plutonium - militairement utilisable - que
les centrales à uranium naturel étudiées
par la France et la Grande-Bretagne. De surcroît, seuls
les Etats-Unis disposaient déjà de stocks d'uranium
enrichi. " De juillet 1955 à la fin de l'année
1958, les Etats-Unis ont conclu un ensemble d'accords bilatéraux
civils avec une quarantaine de pays amis
. dans plus de
la moitié des cas, les nations bénéficiaires
ont choisi un réacteur de recherche américain
et ont profité d'une subvention de trois cent cinquante
mille dollars offerte par le gouvernement à chaque pays
acheteur " (1)
Champion de la non prolifération de l'armement atomique,
mais réalistes, les Etats-Unis s'étaient rendu
compte qu'il serait vain de vouloir conserver le monopole des
utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire.
Mieux valait, au contraire, en tirer parti, assurés d'être
en mesure d'interdire le passage du " civil " au "
militaire ". En ce qui concerne la première phase
de leur programme nucléaire respectif, la Corée
du Nord et l'Iran peuvent faire allusion à la politique
d'incitation à l'atomique civil inaugurée il y
a plus d'un demi siècle par Washington. Quant à
la seconde phase, la militarisation de l'atome, la règle
internationalement établie, elle est fort inégalement
observée. Le traité de non prolifération
en témoigne.
2. Traité visant la non prolifération
des armements nucléaires (TNP).
Ouvert à la signature en 1968, le TNP est entré
en vigueur en mars 1970. Ses objectifs : à la fois stopper
la dissémination des armes atomiques et, en échange,
inciter les puissances nucléairement armées à
réduire, puis à renoncer à cette catégorie
d'armes. Le traité renforce la coopération en ce
qui concerne les utilisations pacifiques de l'atome mais compense
les mesures de contrôle jugées nécessaires
en prescrivant aux puissances nucléairement nanties de
négocier progressivement leur désarmement atomique.
A quoi, les contrevenants, Corée du Nord et Iran actuellement,
pourraient objecter qu'aucune de ces puissances n'envisage de
se conformer à cette disposition du traité, qu'au
contraire elles s'efforcent de se donner les moyens de moderniser
leur panoplie et d'assurer ainsi la pérennité de
cet armement et des privilèges qu'il confère aux
Etats qui le détiennent. Et pourquoi se conformer aux
prescriptions d'un traité international dont les initiateurs
- les Etats nantis - se servent pour mettre un terme à
la " prolifération horizontale " sans qu'ils
renoncent à leur " prolifération verticale
" sinon numériquement du moins qualitativement ?
3. Traité
relatif à l'interdiction complètes des essais nucléaires
(TICEN).
Initiative américaine, ce traité a été
signé en septembre 1996. Il proscrit toute expérimentation
explosive atomique, les Etats signataires s'engageant à
renoncer à de tels essais ou à y participer directement
ou indirectement, quelle que soit leur nature. Le TICEN, soutenu
par le président Clinton, devait entrer en vigueur six
mois après qu'il eût été d'abord ratifié
par les gouvernements des quarante quatre Etats (selon l'annexe
2 au traité) possédant des réacteurs atomiques
de recherche ou de puissance). Rappelons que sept nations ont
procédé à des essais et qu'en ce qui concerne
les Etats-Unis, ils ont mis au point, depuis 1945, plus de 70.000
ogives grâce aux enseignements de 1.030 explosions expérimentales
dont 815 souterraines et 215 aériennes (de ces 70.000
ogives, il en reste quelque 10.000 dont la moitié est
considérée comme étant opérationnelle.
Le Département de l'énergie gérant une large
fraction des matières fissiles ainsi récupérées).
Dès le début des années 60, les Etats-Unis
avaient renoncé aux essais atmosphériques, mais
poursuivi leurs expérimentations en souterrain, et cela
jusqu'en 1992, le président Bush décidant de les
suspendre en dépit des objections d'une fraction de la
communauté scientifique américaine, plus particulièrement
les grands établissements spécialisés, tels
les laboratoires de Los Alamos et de Livermore qu'inquiètent
le fait que depuis une douzaine d'années ils n'ont eu
à concevoir aucune arme nucléaire nouvelle, le
savoir correspondant disparaissant avec le passage des ans. Comment
surveiller le vieillissement du stock atomique si on ne peut
plus faire le test du bon fonctionnement d'un mécanisme
complexe que le temps altère et qui, de toute manière,
requiert un renouvellement tous les quinze ou vingt ans ? Les
scientifiques de l'atome voudraient que fut maintenue la faculté
de reprendre les essais maintenant prohibés à la
fois pour s'assurer de la fiabilité des armements conservés,
les renouveler et aussi entretenir les connaissances scientifiques
et techniques correspondantes. A quoi le gouvernement avait répondu
que l'évolution des techniques d'armement, comme d'ailleurs
de nouvelles perspectives ouvertes par de récentes découvertes
(simulation, travaux sur l'anti-matière, l'hydrogène-explosif)
permettent de renoncer aux explosions expérimentales.
D'où le TICEN. Mais aussi son rejet par le Congrès,
en octobre 1999, les considérations scientifiques et techniques
qui suivent justifiant cette volte-face de Washington.
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B.Considérations sur les conséquences
de l'innovation scientifique et technique
Les autorités américaines
ont estimé qu'il était devenu possible d'entretenir
une panoplie nucléaire sans procéder périodiquement
à des essais : la gestion du stock avec les moyens scientifiques
appropriés (Science based stockpile steward ship) aurait
justifié la démarche de Clinton relative à
l'arrêt des essais. Mais l'innovation permanente qui caractérise
notre époque a aussi amené Washington à
se déjuger en rejetant la ratification du traité
alors que d'autres nations - dont la France - s'étaient
empressées d'en appliquer les clauses.
Après avoir constaté les insuffisances du TNP
- quant à son application - et le sort du défunt
TICEN, on conçoit que Pyong-Yang et que Téhéran
ignorent les textes internationaux qui auraient dû former
la pierre angulaire d'une politique de désarmement nucléaire,
les Etats-Unis donnant le mauvais exemple en cherchant à
imposer aux autres Etats des contraintes dont ils se libèrent.
Ces conséquences du progrès scientifique et
technique les voici résumées ci-dessous :
1. L'étude,
la construction et la mise au point d'une charge explosive à
fission d'atomes lourds, communément appelée bombe
atomique peuvent être réalisées sans nécessiter
des expérimentations.
L'assemblage des différents composants fonctionne à
coup sûr si bien que, en ce qui concerne cette catégorie
d'explosif atomique, il n'est pas possible d'exercer un contrôle
autre qu'en amont, donc avec l'assentiment du pays producteur.
En revanche, l'explosion d'une bombe atomique crée une
température si élevée - des dizaines de
millions de degrés - qu'elle peut amorcer la fusion d'atomes
légers et dégager ainsi une énergie considérable.
Mais il est encore nécessaire, pour réaliser une
arme thermonucléaire, de procéder à des
essais. Et ce sont ces essais que le TICEN avait pour objet d'interdire,
la fusion thermonucléaire - et les perfectionnements qu'elle
permet - demeurant l'apanage des puissances nucléaires
établies. Toutefois, si finalement, le traité d'interdiction
des expérimentations nucléaires est demeuré
lettre morte, c'est à la fois qu'il était difficile
d'en faire observer les clauses et surtout qu'il imposait aux
Etats-Unis des contraintes qu'ils jugèrent préjudiciables
à la sécurité - et à l'invulnérabilité
future par l'atome - de la nation.
2. Il est donc entendu que les
puissances nanties n'envisagent pas - ainsi que le prescrit le
TNP - de renoncer à l'armement nucléaire. Elles
s'efforcent de le perfectionner en lui incorporant progressivement
les apports du progrès scientifique et technique. En particulier,
il leur faut tirer parti des performances considérablement
accrues des engins - bombes, missiles - projetant à distance
l'énergie de destruction nucléaire.
C'est au cours des années 60 à 80, durant la guerre
froide que les panoplies atomiques des deux superpuissances -
soit 97 % des ogives construites - ont été constituées.
A l'époque, les engins porteurs, bombes larguées
d'avion, et surtout missiles balistiques de portée intercontinentale
étaient imprécis. En ce qui concerne les missiles
balistiques les écarts entre le milieu de l'objectif visé
et la détonation se mesurait en kilomètres, si
bien que l'on avait recours à de très fortes énergies
- comptées en mégatonnes ou en plusieurs centaines
de kilotonnes - afin de compenser les erreurs du tir. Aujourd'hui,
les scientifiques ayant disposé de nouvelles techniques
- par exemple le guidage par satellite ou, pour les missiles
de croisière, le procédé Tercom,
les écarts probables sont évalués en dizaines
de mètres, voire moins et des énergies relativement
faibles suffisent à accomplir la destruction recherchée
valorisant les kilotonnes de la gamme basse (par exemple de 1
à 5 Kt) en éliminant le recours aux mégatonnes.
Cette mutation technique, créée par l'amélioration
des performances des vecteurs du feu nucléaire, a d'importantes
conséquences :
-La généralisation des (relativement) faibles
énergies rapproche les armements nucléaires des
armements classiques établissant même une sorte
de continuité entre le projectile classique le plus puissant
et l'ogive nucléaire de faible énergie, réduisant
un écart qui, jusqu'à ces derniers temps différenciait
nettement les deux systèmes d'affrontement. L'escalade,
le passage de l'un à l'autre devient concevable, l'atome
étant redouté à un niveau de violence où
il était exclu qu'il puisse jouer un rôle, intimidation
et, a fortiori, emploi. D'où la banalisation de l'arme
atomique et la perspective de détenir des moyens d'intimidation
dès l'origine d'un conflit. La nouvelle stratégie
affichée par Washington tient compte de cette transformation
de la relation qui a longtemps existé entre l'explosif
nucléaire et ses différents vecteurs pour lui en
substituer une nouvelle.
-L'intérêt militaire que présente désormais
l'explosif atomique de la gamme kilotonique basse exclut pour
une large part l'efficacité d'un contrôle international
(par exemple par les systèmes de détections fonctionnant
au profit de l'Agence atomique de Vienne). La mise au point et,
éventuellement l'essai d'explosifs de la gamme basse peuvent
être réalisés clandestinement, en cavité
souterraine, sans que les sismographes ne les révèlent.
A cet égard, les nations de grandes étendues sont
privilégiées, d'autres le sont par l'instabilité
permanente de leur environnement géographique.
Et voici mis à mal, le contrôle que devait exercer
l'application du TICEN.
-Une nouvelle génération d'ogives nucléaires
est à concevoir et à construire afin de remplacer
une large fraction des charges à très forte énergie
actuellement encore en stock et même opérationnelles.
D'où une liberté d'action que le TICEN aurait restreinte
et que le Sénat américain a évoquée
pour refuser la ratification du traité, quitte à
s'accommoder d'une certaine prolifération " horizontale
", d'autant que la supériorité scientifique
américaine permet d'explorer d'autres voies pour prolonger,
en la modernisant, la panoplie nucléaire nationale.
-Manifestant les mêmes ambitions que le projet Atoms
for peace du général Eisenhower, le président
Bush aurait fait étudier un plan de gestion mondiale de
l'énergie fournie par l'atome. Le Global Nuclear Energy
Partnership (GNEP) serait fondé sur la généralisation
de nouveaux réacteurs producteurs d'électricité
en consommant - donc en détruisant - le plutonium (militairement
utilisable) et en évitant l'enrichissement de l'uranium,
le combustible usé dans les centrales actuelles serait
traité pour alimenter les futurs réacteurs (actuellement
les 103 centrales atomiques des Etats-Unis ont produit 55 000
tonnes de combustible usé à stocker dans le Nevada).
La mise en uvre du GNEP limiterait la prolifération
horizontale des armements nucléaires.
|
C.
La bombe et l'Iran
La théocratie au pouvoir à
Téhéran défend les avantages d'une discipline
scientifique et technique que l'Occident exploite à contrecur.
Voilà un régime religieux qui est devenu l'avocat
de la science de l'atome et qui entend que son peuple bénéficie
des privilèges qu'elle confère. Ce serait une position
largement approuvée par la population, du moins si l'on
en juge par les manifestations populaires en faveur de la politique
des mollah
Il y a trois ans, Hassan Rowahni expert iranien
dépêché à l'Agence Internationale
de l'Energie Atomique (AIEA) de Vienne, y déclarait :
" Il n'est pas tolérable qu'Européens et
Américains aient le droit d'explorer le cycle du combustible
nucléaire, de posséder des centres atomiques et
que l'Iran n'ait pas ce droit ". Tandis qu'en Europe,
fréquentes sont les manifestations anti-nucléaires,
en Iran, étudiants et religieux s'offrent en tant que
boucliers humains pour protéger les Centres de recherche
atomique nationaux menacés par Washington et Tel Aviv.
La liberté " d'explorer le cycle du combustible
nucléaire ", selon la formule de Rowahni, est
un argument majeur de politique intérieure. Il ne s'agit
pas, seulement, d'assurer l'avenir énergétique
de la nation mais, à l'instar d'un nombre croissant d'Etats
d'être libre de maîtriser, sous toutes ses formes,
la désintégration de la matière. N'est-ce
pas le cas des cinq puissances qui procédèrent
à des expérimentations atomiques avant le 1er janvier
1967 ? A quel titre cette antériorité leur donnerait-elle
le droit d'interdire aux autres nations ce qu'elles ont accompli
? argumentent les Iraniens.
Certes, pour plusieurs décennies encore l'Iran n'a
pas à redouter la pénurie en ce qui concerne l'énergie
fossile. Son sous-sol recèle plus de 25 000 milliards
de mètres cubes de gaz naturel et aussi près de
100 milliards de barils de pétrole. Non loin Chine, Inde
et aussi Pakistan constituent des marchés rémunérateurs,
leur développement respectif dépendant de l'importation
d'énergie.
Mais, ainsi que tous les candidats à l'accès
au club des Etats atomiques l'Iran justifie sa politique en invoquant
aussi la nécessité énergétique. De
surcroît, comme Téhéran est importateur de
produits alimentaires, son territoire étant peu favorable
à l'agriculture, cette forme de dépendance est
coûteuse et la rente énergétique aujourd'hui,
l'autonomie en la matière demain, s'avèrent indispensables.
Si l'Iran n'a pas ménagé la France, ni plus
généralement l'Occident, en revanche il n'a pas
eu à se louer des interventions étrangères
et les manifestations du nationalisme iranien contemporain ont
aussi pour origine les événements d'un récent
passé :
-La Seconde Guerre mondiale a fourni l'occasion aux Soviétiques
et aux Britanniques d'occuper militairement l'Iran. Les troupes
russes n'évacueront l'Iran qu'en 1946.
-Au début des années 50, alors qu'augmente la rente
pétrolière le premier ministre, Mossadegh, créateur
en 1947 d'un parti nationaliste s'en prend aux profits de l'Anglo-Iranienne
et veut nationaliser la production pétrolière.
Washington et Londres interviennent, font pression sur le Châh
qui destitue le premier ministre.
-En 1973, le Châh entend à son tour détenir,
au profit de l'Iran, la maîtrise de la production pétrolière
dont le revenu annuel atteint 24 milliards de dollars. Soucieux
d'accroître la puissance de son pays il l'arme avec l'achat
de matériels américains et encourage les recherches
de ses scientifiques dans le domaine nucléaire. Aidé,
d'ailleurs par la France. En 1961 il avait visité les
centres de Recherche atomique de Saclay.
-En décembre 1974, Jacques Chirac, premier ministre, signe
à Téhéran l'entrée de l'Iran dans
EURODIF, entreprise de production de l'uranium destiné
à l'alimentation des centrales nucléaires produisant
de l'électricité. L'Iran prend une participation
au capital de l'entreprise, prête 1 milliard de dollars
et doit recevoir, en échange, 10 % de l'uranium enrichi.
France et Allemagne, en outre, devaient fournir à l'Iran
ses premières centrales atomiques.
-En 1978, la France accueille Khomeiny qui s'installe à
Neauphle-le-Château d'où il diffuse des appels à
la révolte contre le régime impérial iranien.
Abandonné par ses alliés occidentaux le Châh
est contraint à l'exil en 1979. Au pouvoir à Téhéran,
Khomeiny s'empresse de dénoncer l'accord de 1974 et de
réclamer le remboursement du prêt de 1 milliard
de dollars. Les réticences de la France amenant l'Iran
à recourir au terrorisme : prise d'otages, attentats,
assassinat de George Besse et du général Audran,
actes de terrorisme qui ne cesseront qu'avec le remboursement
du milliard de dollars en plusieurs tranches de 300 à
350 millions de dollars.
-Enfin, lors de la guerre Irak-Iran, la France prend nettement
parti pour Bagdad contre Téhéran.
Ainsi, on le voit déjà, lourd est le contentieux
Irano-occidental. Mais les exigences de la politique énergétique
des Etats-Unis vont plus loin encore :
-La guerre d'Irak a amené les Etats-Unis à occuper
ce pays et déployer des troupes à la frontière
occidentale de l'Iran.
-La lutte contre le terrorisme, à l'une de ses sources,
a conduit l'OTAN, c'est-à-dire les Etats-Unis, à
s'installer en Afghanistan à la frontière orientale
de l'Iran tandis qu'au nord, sur les rives de la Caspienne, Washington
aimerait, selon Mme Albrigth, " prendre en main les destinées
du Caucase ". D'où un encerclement américain,
à l'ouest, au nord, à l'est
.
-Enfin, la prolifération nucléaire horizontale
gagnant du terrain, voici maintenant que les voisins de l'Iran
sont des puissances militairement nucléaires : Russie,
Chine, Inde, Pakistan, Corée du nord. Pourquoi pas nous
? disent les mollah, suivis par l'opinion.
Il est difficile de savoir où en est exactement le
projet atomique iranien.
Le procédé choisi semble être celui de
la séparation de l'uranium 235 (militairement utilisable)
de l'uranium 238, c'est-à-dire l'enrichissement à
un pourcentage final élevé du 238 au profit du
235 (90%). Techniquement, sur divers sites dont ceux de Natanz,
Farayand, Pars, Trash, les Iraniens auraient installé
en " cascade " des centrifugeuses P1 construites selon
les indications du professeur pakistanais Abdul Qader Khan.
D'après le Bulletin of the atomic scientist
(2) ce serait à Natanz que
se trouverait l'installation la plus importante avec le projet
d'y faire fonctionner six groupes de 164 centrifugeuses montées
en série et capables d'enrichir une forte quantité
d'uranium.
Les scientifiques iraniens auraient construit les réservoirs
et les " fours " nécessaires pour élever
la température de l'hexafluorure d'uranium (UF6) avant
introduction dans la série des centrifugeuses. Le centre
de Natanz aurait été conçu pour recevoir
de 50.000 à 60.000 centrifugeuses, les 3.000 premières
d'entre elles étant mises en place au cours du présent
trimestre.
Ce serait à Isfahan que fonctionnerait l'équipement
transformant l'uranium naturel en hexafluorure. On apprend ainsi
qu'en mai 2006, 110 tonnes d'hexafluorure auraient été
produites (soit de quoi construire plus d'une vingtaine d'armes
nucléaires).
D'après les spécialistes 1500 à 1800
centrifugeuses suffisent à produire de l'uranium enrichi
à 90 % pour construire une arme nucléaire par an.
Resterait à agencer le mécanisme de la bombe et
sans doute à passer des centrifugeuses P1 au modèle
perfectionné P2. En ce qui concerne la production d'assez
d'uranium enrichi pour être militairement utilisable, on
en serait à quelques mois, mais il faudrait encore deux
ou trois ans avant d'être en mesure de construire une arme
nucléaire militairement utilisable (ou, au plus tôt
en 2009). Pareille perspective passe pour être inquiétante.
A moins, hypothèse optimiste, qu'à l'instar de
tous les Etats qui ont précédé l'Iran dans
la course à l'atome militarisé, celui-ci ne devienne
qu'une assurance contre le recours à la guerre et un brevet
d'autorité scientifique et technique national.
- Légitimement, l'Etat d'Israël entend demeurer
l'unique puissance atomique au Proche-Orient et les Etats-Unis
souscrivent à cette ambition. Mais ils savent que dans
l'épreuve de force actuelle l'Iran a de solides atouts
:
-D'abord les Etats-Unis sont engagés en Irak, Afghanistan
et maintenant au Liban (sinon militairement au moins politiquement).
Et leurs engagements militaires sont soumis à des rudes
épreuves.
-La crise latente de l'énergie fossile et la production
iranienne incitent à la prudence, d'autant que Chine et
Inde comptent sur la production iranienne. De surcroît,
le coût du baril est déjà assez élevé
sans y ajouter les effets d'une interruption de fournitures iraniennes.
-L'Iran détient, par Hezbollah interposé, les moyens
de la reconstruction politique du Liban et aussi peut décider
de la survie de l'Etat d'Israël. Et Washington en tient
compte.
- -Le marché iranien divise les censeurs de la politique
énergétique de Téhéran. Interdit
aux Etats-Unis, il est encore ouvert, inégalement, aux
pays européens.
-Si la Russie et la Chine affichent aussi leur intention de détourner
l'Iran de ses objectifs militaires, cela afin d'être politiquement
" convenables " il n'en demeure pas moins que leurs
deux gouvernements sont rangés aux côtés
de celui de Téhéran, membre comme eux, du "
Groupe de Shanghaï ". Moscou fait achever la construction
de la centrale de Busheir que les Allemands avaient partiellement
montée et dans le gigantesque affrontement qui se prépare
outre Atlantique et Pacifique, la nucléarisation des puissances
émergentes de la zone Asie-Pacifique n'est probablement
pas pour leur déplaire.
-L'Iran a montré, au cours des années 1985 à
1997 combien redoutable était le terrorisme qu'il était
capable de placer au service de sa politique.
- C'est pour cela que, depuis plusieurs années, l'on
"négocie", l'Iran gagnant le temps nécessaire
à la réalisation de ses projets et ses adversaires
affichant des résolutions qui demeurent verbales.
Aussi le président Mahmoud Ahmadinejad
peut-il déclarer : "L'Iran ne suspendra pas, même
pour une journée, l'enrichissement de l'uranium mais accepte
de poursuivre d'honnêtes négociations ".
Aussi, Etats-Unis comme Européens (Grande-Bretagne, Allemagne
et France) envisagent-ils, maintenant, de reprendre les négociations
sans imposer, au préalable, l'arrêt de l'enrichissement
redouté. L'Iran a su tirer parti de ses atouts. La crise
libanaise, bien opportunément, enrichit son dossier, la
FINUL y étant un précieux otage. Et aussi le "
maniement " des Katioucha menaçant l'Etat d'Israël
à partir des implantations palestiniennes de Cisjordanie
et de la bande de Gaza.
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Notes
- (1)Bertrand
Goldschmidt, l'Aventure atomique. Paris. Fayard 1962. p. 122
- (2) août 2006
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