BONNE FORTUNE
FRANCAISE AU MALI

août 2013

Le 28 juillet se déroulait au Mali des élections vivement réclamées par la France. Nous faisions partie des gens
inquiets quant au bon déroulement du processus électoral. Bon calcul ou coup de chance, ce dernier couronne pourtant « un quasi sans faute », oserons-nous, de l’intervention française. Certes, tout n’est pas parfait et le retour à la normalité n’est pas garanti. Mais l’on est passé d’une situation chaotique et dangereuse pour tout le Sahel à une reprise en main relative par les autorités locales. Reste cependant à transformer l’essai, comme on dit au rugby.

Rappel des événements

Depuis 2005, le GSPC (Groupe salafiste pour la Prédication et le Combat), né en 1998 en Algérie des cendres des GIA (Groupes islamiques armés), hantait le nord du Mali. En janvier 2007, le GSPC prit le le nom d’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) et clama son rattachement à l’organisation d’Oussama Ben Laden.

Au cours des années, l’AQMI se renforce dans le nord du Mali tout en restant hiérarchiquement rattaché à l’émir de l’organisation, Abdelmalek Droukdel, basé en Kabylie. Pour subsister la faction présente au Mali se spécialise dans l’enlèvement d’Occidentaux, qu’elle rend contre rançon. Subsidiairement, l’organisation protège le transfert de la cocaïne venant d’Amérique latine et à destination de l’Europe en même temps que les trafics d’armes, de cigarettes, voire de médicaments contrefaits. Grâce aux profits engrangés elle achète les consciences et se ménage un vaste réseau de complicités locales.

A partir du début de l’année 2009, les autorités maliennes lancent plusieurs opérations contre les katibas de l’AQMI. Ce comportement digne d’éloges ne dure pas. Pour récupérer leurs otages, les Occidentaux sont prêts à tout. Amadou Toumani Touré, le Président malien mieux connu sous l’appellation d’ATT, devient un précieux intermédiaire à la tête d’un réseau de contacts. Des sommes importantes passent entre ses mains. Il prend conscience qu’il y a là une source de revenus non négligeables.

En 2011, plusieurs sources locales nous le confirment : la connivence avec les hommes d’AQMI remonte jusqu’à l’entourage d’ATT (1). Des plaques d’immatriculation des véhicules des services de renseignement servent aux jihadistes pour faire passer la drogue. Des officiers supérieurs sont dédommagés pour ces services. L’armée, par ailleurs sous-équipée, ne reçoit plus d’ordres pour traquer l’AQMI. Sur le terrain, c’est même le contraire qui se produit : officiers et soldats sécurisent ses approvisionnements en carburant et prélèvent sur les stocks militaires les pièces nécessaires aux véhicules des jihadistes.

Il était une fois Kadhafi

À plusieurs milliers de kilomètres du Mali, en Libye, un nouveau chapitre d’histoire s’écrit. Le colonel Mouammar Kadhafi, fantasque et mégalomane, rêvait de constituer un empire africain centré sur le désert. À cette fin, il a formé la « Légion islamique », une unité dont il recrutait les membres principalement en Afrique et, pour beaucoup, parmi les Touaregs du Mali.

Mais en février 2011, à l’imitation de la Tunisie et de l’Égypte, pour l’essentiel dans l’est du pays, une partie de la population prend les armes contre le régime en place. Le 19 mars, sous prétexte d’un risque de répression sanglante, initiée et dirigée par Nicolas Sarkozy, une intervention aéronavale occidentale est déclenchée (2). Le 23 août, grâce au soutien des forces spéciales françaises et britanniques, Tripoli passe aux mains de la rébellion. Le 20 octobre, Kadhafi sera capturé et lynché.

Avec le soutien des autres pays occidentaux, Sarkozy aurait pu jouer de son influence sur Kadhafi pour obtenir une mutation en douceur. Peut-être pour effacer les traces de ses relations avec lui, sans doute aussi pour se venger des camouflets infligés par le colonel, le Président français a préféré la voie sanglante... à l’américaine.

De ce choix résulte la déstabilisation à long terme de la Libye et, allons nous voir, ses effets dévastateurs sur le Sahel. Dans ce contexte, sachant qu’ils n’ont pas de merci à attendre des Libyens, les membres de la Légion islamique se débandent pour rejoindre leurs pays d’origine. Les combattants touaregs en profitent pour piller les dépôts d’armes et rallier le Sahel. Ceux du Mali ont, semble-t-il, bénéficié du feu vert d’ATT. Si tel est le cas, l’intérêt soutenu par de mauvais calculs en auront été la raison.

Le soulèvement touareg

Retrouvant leurs familles et leurs tribus, les Touaregs maliens renouaient aussi avec leurs frustrations passées : un sentiment d’abandon du pouvoir central de Bamako et, avouons-le, un certain irrédentisme renforcé par un sentiment de supériorité face à la majorité négro-africaine du Mali.

Des contacts furent pris avec le pouvoir (3). Manque de bonne volonté de la part de ce dernier ou trop grande exigence des Touaregs, toujours est-il que ces rencontres n’aboutirent à rien de concret. Il n’en fallait pas plus pour les anciens combattants de la Légion islamique et leurs frères, restés au Mali mais grisés par la vue des armes.

Le 17 janvier 2012, ils se rebellent et attaquent Ménaka, puis le lendemain Tessalit et Aguelhok. Les combattants se réclament du MNLA (Mouvement national de Libération de l’Azawad) (4). Les civils du mouve-ment, comme Hamma Ag Mahmoud ou Moussa Ag Assarid (5), n’ont jamais entretenu de rapports avec la Libye. Le chef militaire, Mohamed Ag Najem, en revanche, est un ancien colonel de l’armée libyenne.

Le soulèvement du MNLA ne tient cependant pas compte d’un troisième larron : la mouvance islamiste installée au nord du Mali. Interrogé par nous, le porte-parole du MNLA évince cette réalité d’un revers de main. « Les narco-trafiquants, comme il les appelle, sont présents en Azawad, mais nous n’avons rien à faire avec eux », affirme-t-il (6). En fait, même s’ils ne disposent pas d’un commandement commun, les hommes de l’AQMI et ceux du MNLA travaillent à la même chose : évincer l’armée et les services de l’État malien du nord du pays.

La situation apparaît d’autant plus équivoque qu’une faction touarègue s’est elle même ralliée au dogme islamiste. Il s’agit d’Ansar Eddine, un groupe dirigé par Iyad Ag Ghali.

L’étrange Iyad Ag Ghali

La personnalité de Iyad mérite un détour. Membre de la tribu des Kel Afella et de la confédération des Ifoghas (7) il appartient à la noblesse de l’ethnie touarègue. Âgé d’une cinquantaine d’années, il a passé une partie de sa jeunesse en Algérie avant de s’engager dans la Légion islamique de Kadhafi. En juin 1990, il réapparut au Mali comme dirigeant du deuxième soulèvement touareg. En 1992 cependant, il déposa les armes et participa au Pacte national de réconciliation décrochant au passage une position de conseiller du Président de la République.

En 2003, avec les premières prises d’otages occidentaux, il se vit promu par ATT au rang de négociateur avec les islamistes algériens du GSPC. Ceci n’empêcha pas Iyad de lancer une nouvelle insurrection en mai 2006. Si elle se termine quelques mois plus tard sur de nouveaux accords signés à Alger, ATT se méfie désormais de ce remuant personnage. Pour l’écarter, il le nomme conseiller consulaire en Arabie Saoudite.

Que s’est-il passé ? Connu auparavant pour son goût de la fête et, disons-le, une attirance prononcée pour les boissons alcoolisées, il s’est mué en puritain de l’islam. Est-ce un « genre » qu’il se donne ou son adoption de la doxologie islamiste relève-t-elle de convictions profondes, fussent-elles tardives ?

Les hôtes saoudiens de Iyad ne se posent pas ces questions existentielles mais quand leurs services d’écoutes le surprirent communiquant régulièrement par téléphone avec l’opposition armée algérienne, leur légendaire tolérance se tarit. Via Paris, ils le renvoyèrent à Bamako.

De retour au pays, Iyad travaille son image. Nul ne peut en douter il est devenu islamiste. On le voit en compagnie de religieux pakistanais et la mosquée est devenue son lieu de prédilection. À la fin de l’année 2011, à la veille donc du nouveau soulèvement touareg, il disparaît de Bamako. De l’aveu des responsables du MNLA, il cherche alors à devenir le chef du mouvement. Essuyant un camouflet, il se replie avec une garde de fidèles. Il attend son heure.

Les communicants du mouvement touareg font alors mine de croire Iyad restant loyal au MNLA. Sans doute cherchent-ils à se rassurer tout en voulant éviter d’ouvrir une ligne de confrontation au sein de leur population.
Mais le chef d’Ansar Eddine est bien ancré dans le camp islamiste. Ceci d’autant plus que des membres de sa famille en font eux-mêmes partie. Comme Amada Ag Hama, mieux connu sous le nom d’Abdelkrim le Touareg, son cousin devenu chef de katiba d’AQMI.

Le MNLA va payer cher sa naïve faiblesse. Dans Tessalit capturé par les Touaregs, le 14 mars 2012, deux mois après le début du soulèvement, Iyad, entouré de ses hommes, fait descendre le drapeau malien et le remplace par l’oriflamme noire des islamistes. Puis il déclare à ceux du MNLA : « Ceux qui veulent rejoindre mes forces peuvent rester. Les autres doivent partir ».

La séparation est prononcée, même si la guerre n’est pas déclarée entre les deux factions des Touaregs. Néanmoins, nul ne peut le contester : le camp islamiste se renforce au détriment du MNLA qui n’aura bientôt plus que ses yeux pour pleurer.

Le coup de Bamako

Mais un autre événement va encore compliquer le jeu. Le 21 mars, le camp militaire de Kati, situé à quelques kilomètres de Bamako, entre en effervescence. Les soldats ont reçu l’ordre de monter dans le nord pour combattre le soulèvement des Touaregs et des islamistes. Se disant sous-équipés, ils refusent de plier aux injonctions du pouvoir et se mutinent.

Le 22 mars, le capitaine Amadou Haya Sanogo prend le contrôle de la mutinerie à son compte. Il s’agit désormais d’un putsch (8).

Dans le nord, le coup de force des militaires à Bamako a des conséquences dramatiques. Les Touaregs du MNLA et les islamistes en profitent pour accentuer leur pression sur les villes septentrionales. Sur place, démoralisés et ne recevant pratiquement plus d’approvisionnement, les soldats finissent par s’enfuir abandonnant leurs positions et leurs armes.

Les islamistes occupent les villes. L’AQMI domine à Tombouctou. Son émanation négro-africaine, le MUJAO (9), s’empare de Gao. Le MNLA ne tire guère avantage de cette situation. Refoulé à la périphérie des agglomérations avant de se replier sur les frontières à proximité du Niger et de la Mauritanie, il est dépossédé de sa guerre mais toujours en armes et porteur d’une revendication ethnique.

Au mois d’avril 2012, on est au Mali confronté à trois crises : un semblant de pouvoir militaire incapable de gérer la situation, un soulèvement ethnique dans le nord et, se superposant à celui-ci, une prise de contrôle de la même région par des factions islamistes associées à des organisations mafieuses. La situation paraît inextricable. Or, à la laisser empirer on risque l’apparition d’un émirat islamo mafieux dans le nord, la contagion du soulèvement touareg dans les pays voisins et principalement au Niger, l’extension du jihadisme à l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest et, en prime, le développement d’une instabilité croissante dans toute la région.

Ce n’est pas le seul aspect à prendre en considération mais, au Niger, Areva exploite des mines d’uranium qui permettent de produire 1/3 et bientôt la moitié de l’électricité consommée en France. Une rupture d’approvisionnement aurait des conséquences graves sur l’économie de notre pays, sur sa sécurité et sur le quotidien des Français exposés à des coupures de courant. Il faut agir, mais qui et comment ?

La France dernière carte de l’Afrique francophone

De leur côté, tous les pays de la région comprennent la dangerosité de la situation. Nous ne sommes plus à l’aventurisme connu par certains au lendemain de la décolonisation.

Ce sont ces pays qui, les premiers vont réagir. Réunis au sein de la CEDAO (10), ils exercent tout d’abord les pressions nécessaires sur le capitaine Sanogo pour un retour à la légalité constitutionnelle au Mali par le biais d’une présidence par intérim du président du Parlement.

Fort de la légitimité du gouvernement par intérim, le 18 septembre, le Mali demande au Conseil de sécurité des Nations Unies le vote d’une résolution donnant mandat à une force internationale pour intervenir dans le nord du pays. Le 20 décembre, la résolution 2085 autorise la création de cette force, la MISMA.

Voilà pour l’aspect officiel des événements. Dans le même temps une intense activité diplomatique prend place échappant à la visibilité des journalistes.

Il faut l’admettre, le temps joue en faveur des jihadistes qui occupent le nord du Mali. Or, les pays africains de la CEDEAO, premiers concernés, ne sont pas prêts à intervenir. Ils n’ont ni les hommes, ni les moyens nécessaires. Le pourraient-ils qu’il leur manquerait un chef de file, parmi eux un État jouissant de l’autorité suffisante pour conduire les opérations.

Tous les regards se tournent du côté de la France : ses services connaissent bien la région, elle est elle aussi concernée et elle jouit d’un réseau d’amis préservé et renouvelé depuis les indépendances dans ses anciennes colonies africaines. De leur côté, dégrisés par des échecs répétés, ne serait-ce qu’en Afghanistan et en Irak, les États-Unis n’ont pas l’intention de se risquer au nord du Mali.

Si l’intervention de la France apparaît inéluctable, encore faut-il éviter les effets pervers, à commencer par un sentiment de frustration des Africains en voyant l’ancienne puissance coloniale réapparaître militairement dans un territoire qu’elle a autrefois administré.

Le dilemme touareg

Autre chausse-trappe à éviter, d’un côté, s’inscrivant dans la dynamique régionale et internationale, l’intervention militaire, et donc la France, doivent rendre à Bamako la souveraineté sur tout son territoire. Mais tout en évitant les apparences d’une guerre de reconquête menée contre une ethnie, en l’occurrence celle des Touaregs. Pour cela Paris a besoin du MNLA contre les jihadistes.

Sur ce plan, les islamistes, principalement ceux d’AQMI et du MUJAO, ont rendu un fier service aux Français. En volant sa victoire au MNLA, ils s’en sont fait un ennemi irréductible. D’autre part, en détruisant les monuments funéraires célébrant les « saints » de l’islam maraboutique pratiqué dans la région (11), ils se sont aliénés la population locale toute acquise à cette forme de culte.

Pour les services français et le Quai d’Orsay, le jeu va consister à faire basculer le MNLA dans le camp de l’alliance contre les jihadistes tout en ménageant la susceptibilité des Touaregs et celle du pouvoir à Bamako. Pour avoir suivi de loin cette affaire nous pouvons parler d’un sans faute. Côté français, strictement réduit à quelques interlocuteurs, le dialogue franco-touareg va consister à amener le MNLA à renoncer à l’indépendance, proclamée le 6 avril 2012, en échange d’une solide autonomie tout en ne faisant rien qui compromette la souveraineté de Bamako sur le nord de son territoire. Comme dans tout bon « deal », les deux anciens adversaires doivent sortir raisonnablement satisfaits des négociations.

Reste au MNLA, par un geste, à concrétiser la sincérité de ses intentions. Fin novembre, il s’apprête à lancer une offensive contre les jihadistes à partir de la région de Menaka. Néanmoins, ces derniers le devancent et, l’attaquant par surprise, le réduisent à la défensive. Qu’importe, le signal a été donné, confortant les négociations qui se déroulent en même temps à Ougadougou entre les autorités maliennes et le MNLA.

L’offensive

Le dossier politique étant ficelé, reste à déclencher l’opération militaire. Comme nous l’avons vu, la résolution du Conseil de sécurité est votée mais les armées africaines ne bougent toujours pas. Il faudrait à la France une raison d’intervenir. Les jihadistes vont la lui fournir.

Le 10 janvier 2013, ils entrent dans Konna, petite bourgade à la limite de la ligne de démarcation entre le nord et le sud du Mali. Ce mouvement de troupes à 600 km de Bamako fait craindre une offensive sur la capitale. Dès le lendemain, preuve qu’elle était prête, l’offensive française démarre.

Là aussi, c’est du cousu main. Sous le nom de code d’opération Serval, les soldats français, tous des forces spéciales, ne dépasseront pas 4 500 hommes au plus fort de l’offensive. Avec eux on comptera jusqu’à 2 000 Tchadiens et 500 Nigériens. Rejoignant l’armée malienne qui opère dans le nord, tous les pays de la sous région viendront plus tard donnant sa légalité africaine à l’affaire.

Enfin, mission accomplie, le 9 avril, un premier détachement de paras français quitte le Mali. La France passe la main aux Africains et aux Nations Unies qui prennent le commandement d’une force de maintien de la paix.

Certes, si l’opération est un succès, la guerre n’est pas gagnée. Il faut transformer l’essai sur le plan économique et surtout idéologique. Mais c’est un beau début.

Notes

(1) Alain Chevalérias était à Bamako en décembre 2011.
(2) Alain Chevalérias était à Tripoli au moment de l’attaque française en mars 2011.
(3) Plusieurs visites de notables de la communauté touarègue, auprès des autorités maliennes, nous ont été signalées à l’automne 2011.
(4) Azawad est le nom de la partie nord, désertique et semi désertique du Mali.
(5) Hamma Ag Mahmoud est un ancien haut fonctionnaire et ministre malien. Moussa Ag Assarid étudiait en France quand il s’est enrôlé dans le dispositif politique du MNLA.
(6) Dit par Moussa Ag Assarid en février 2012.
(7) Confédération installée dans l’Adrar des Ifoghas au Mali.
(8) Alain Chevalérias était à Bamako au moment du putsch.
(9) Le MUJAO ou Mouvement pour l’unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest a été créé au milieu de l’année 2011.
(10) Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, formée en majorité de pays francophones.
(11) L’islam présenté comme orthodoxe de l’Arabie Saoudite, des salafistes ou des Frères musulmans, est radicalement opposé à ce type d’islam.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
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