MISE AU POINT
À PROPOS DE LA SYRIE

septembre 2012

Depuis quelques mois, nous entendons des analyses et déclarations sur la guerre civile en Syrie qui nous font dresser les cheveux sur la tête. Selon certains, le régime de Bachar Al-Assad ne serait que vertu politique et les Américains, alliés aux Turcs et aux Arabes, auraient suscité les troubles en Syrie à la seule fin de faire tomber son gouvernement. Pour compléter le tableau, les mêmes présentent les Assad comme des défenseurs de la minorité chrétienne et leurs
adversaires de l’ASL, ou Armée syrienne libre, comme des sauvages assoiffés de sang chrétien. Il est vrai, d’autres, ayant pris une position opposée, ignorent systématiquement le risque islamiste dans les rangs de l’opposition armée. Enfin, n’oublions pas les Ponce Pilate. Évitant toutes prises de position, ils renvoient les deux camps dos à dos, leur imputant la même férocité et la même quantité de crimes. Une mise au point nous paraissait nécessaire pour aider à décrypter les événements.

Pour me faire une opinion, je me base sur les quelques voyages que j’ai effectués en Syrie, 25 ans d’observation des autorités syriennes, quand elles occupaient le Liban où je me rendais fréquemment, et les interviews de Syriens de différentes obédiences rencontrés au cours des derniers mois. À cela s’ajoute la lecture des multiples documents publiés par les analystes de tous bords.

Pour comprendre, il faut se pencher sur la genèse des événements. Le 13 novembre 1970, Hafez Al-Assad, le père de Bachar, s’emparait du pouvoir par la force. Il instituait un régime basé sur la dictature du parti Baath, d’orientation marxiste, et la préférence accordée à sa minorité, les alaouites, qui ne représente que 11% de la population. Ces derniers allaient jusqu’à constituer la majorité des troupes d’élites de l’armée, des officiers et des décideurs.

Hafez resta au pouvoir jusqu’à sa mort en 2000, « réélu » à intervalles réguliers par référendum. Il gouvernait par la terreur, incarcérant les opposants non sans les faire passer par des chambres de tortures. Son fils lui succéda, laissant planer un moment l’espoir d’un passage à une gouvernance plus humaine. Mais, en février 2001, sans doute effrayés par les conséquences pour eux d’une « perestroïka » de type soviétique, les caciques du régime, Bachar en tête, gelèrent les activités politiques des partisans d’une évolution et les emprisonnèrent.

Le 13 mars 2011, quinze écoliers taggaient des slogans en faveur de la révolution égyptienne sur les murs de la ville de Deraa, au sud du pays. Ils étaient arrêtés et transférés à Damas. Le pouvoir trahissait sa nervosité, lui qui avait été jusqu’à envoyer quelques soldats pour soutenir Mouammar Kadhafi alors confronté au soulèvement de l’est de la Libye.

Avec les « Printemps arabes » en Tunisie et en Égypte, les Syriens n’étaient cependant plus disposés à se taire.

Dès le 15 mars des manifestations éclatent quotidiennement à Deraa. Limités cependant en nombre, des regroupements de contestataires ont lieu à Homs et Hama et dans plusieurs autres villes. La police réagit à coup de matraques et arrête plusieurs intellectuels.

Le mécontentement va néanmoins croissant. Le 18 mars, à la sortie de la prière du vendredi et des stades, où devaient se dérouler des matchs de football, des milliers de manifestants déferlent à travers les villes du pays. Des croix, et semble-t-il des croissants islamiques, sont arborés, prouvant la diversité religieuse des contestataires.

Le régime s’affole. L’armée tire à balles réelles. L’opposition dit que des centaines de personnes sont mortes. Difficile néanmoins de confirmer le nombre. On sait en revanche de sources incontestables, qu’à Deraa, quatre personnes ont été tuées ce jour-là par les soldats quand, dans la même ville, l’hôpital recevait des centaines de blessés. Impitoyables, les forces de sécurité arrêtaient ces derniers jusque dans les véhicules qui les transportaient pour recevoir des soins.

Rien ne semble pouvoir arrêter les manifestations, désormais quasi quotidiennes à Deraa et plus sporadiques dans d’autres villes. Le 20 mars, dans cette agglomération, la foule incendie plusieurs bâtiments représentant les symboles de l’État, comme le siège du parti Baath. Le 23, à travers le pays, les morts par balles frôleraient les cent. Le 24, une foule nombreuse s’assemble à Deraa pour suivre les funérailles des victimes de la veille. La police ouvre le feu sur le cortège.

Le même jour, le gouvernement annonce des hausses de salaires pour les fonctionnaires et promet la libération des protestataires. Les manifestations n’en reprennent pas moins de plus belle le lendemain dans plusieurs grandes villes du pays.

Le 25 avril, la répression s’abat sur Deraa. La 4ème division blindée, commandée par le frère de Bachar, Maher, encercle la ville et interdit les approvisionnements. Le 29, l’armée tire contre les manifestants. L’opposition donne le chiffre de 48 civils tués à travers le pays pour cette seule journée. Puis les blindés entreprennent le siège de Al-Rastan et Talbisseh, au nord de Homs.

Les chiffres sont-ils exacts ? Difficile à dire. En revanche, l’intervention de l’armée, la brutalité des forces de sécurité en général et le recours aux armes à feu contre des foules désarmées ne font aucun doute. Parmi les blessés, certains étaient acheminés au Liban. Ils portaient des traces de balles. Quant aux réfugiés qui commençaient à arriver, outre les scènes d’horreur qu’ils décrivaient, tortures et exécutions massives, y compris de femmes et d’enfants, on imagine bien qu’ils n’avaient pas quitté leurs maisons et leurs biens sans raisons.

Pendant plusieurs mois, faut-il le noter, les manifestants étaient mains nues, sans armes. La répression n’en franchissait pas moins un nouveau seuil recourrant à l’artillerie et aux pilonnages aériens.

Autre élément prouvant bien le comportement intolérable du régime à l’égard de sa population, les défections se multipliaient au cours des mois. Chez les civils, elles sont allées jusqu’à celle du Premier ministre, Ryad Hijab, le 6 août 2012, à celles de généraux et de colonels, du côté des militaires. La troupe suivait. Menacés de mort s’ils ne tiraient pas, de nombreux soldats désertaient, quand ils le pouvaient avec leurs armes.

C’est seulement le 29 juillet 2011 que l’ASL (Armée syrienne libre) annonçait sa création. Certes, elle était mal organisée et peu équipée mais elle offrait l’avantage de donner un cadre à des soldats en fuite et à des civils désespérés de faire tomber le régime autrement que par la force.

Néanmoins, à cette structure, s’ajoutaient déjà des groupes indépendants, dont certains animés par des idéaux islamistes quand ils ne sont pas purement jihadistes. Nous estimons à cette époque le passage progressif d’un mouvement contestataire et globalement non-violent à la guerre civile. Quand on entre dans ce registre, toutes les horreurs deviennent possibles, tant les charges de haines sont fortes d’un côté comme de l’autre.

Sur ce plan, nous tenons pour équilibré le rapport des Nations Unies rendu public le 15 août dernier à Genève. Il parle de « crimes contre l’humanité, de meurtres et tortures, crimes de guerre et violations flagrantes des droits de l’homme » de la part des forces gouvernementales et de leurs milices. Il estime aussi les opposants armés avoir commis des crimes de guerre, mais avec « une gravité, une fréquence et une amplitude moindres ». Cette analyse correspond aux informations que nous avons pu recevoir.

Reste que le pouvoir apparaît comme le responsable de la situation pour avoir, dès mars 2011, fait tirer contre une foule désarmée, puis avoir fait donner les armes lourdes contre la population civile.

Est-ce une raison pour nier toute ingérence étrangère dans le conflit ? Certainement pas ! Dès sa naissance, courant 2011, le Conseil national syrien (CNS), structure politique regroupant l’opposition, a bénéficié du soutien de puissances étrangères, principalement la Turquie, les États-Unis et le Qatar, pour une part moindre, de la France. À compter du début de l’année 2012, la CIA a fait livrer des armes aux insurgés à partir du territoire turc. Quant au Qatar, comme pendant le soulèvement en Libye, il a fourni des moyens militaires, semble-t-il y compris aux groupes jihadistes.

Les autorités de Damas seraient mal venues de s’en formaliser. Elles n’ont jamais cessé de faire parvenir des armes au Hezbollah libanais et ont soutenu des groupes armés qui combattaient les Américains en Irak.

En outre, autant par principe nous ne sommes pas en faveur d’une intervention directe, comme en Libye, autant nous estimons légitime de fournir des moyens à un soulèvement populaire, en lutte contre un pouvoir tyrannique et criminel.

Se plaignant des attaques terroristes dont il est victime, et nous désapprouvons leurs auteurs, Assad n’est pas crédible non plus. Pendant 40 ans, Damas a financé et armé des groupes terroristes au Liban. Dans les années 80, il a aidé le fameux Carlos, aujourd’hui détenu en France, à commettre des attentats, y compris sur notre territoire. Encore n’est-ce qu’un bref aperçu des activités du régime syrien.

Enfin, quand on présente celui-ci comme un défenseur des chrétiens, nous éclatons de rire.

Certes, comme autrefois en Irak sous Saddam Hussein, les minorités religieuses pratiquaient librement leur culte en Syrie. Dans ces deux pays, la ligne de conflit n’était pas confessionnelle mais politique, l’adversaire celui qui remettait en question le système, quelle que soit son appartenance religieuse.

En revanche, pendant la guerre civile, au Liban, où les chrétiens refusaient de plier sous la loi syrienne, ils ont été attaqués, massacrés puis encerclés par les forces syriennes avec l’aide des milices musulmanes.

Ce n’est pas en soutenant des tyrans comme Bachar et ses complices que l’on protégera les chrétiens d’Orient, mais en aidant les courants de la modernité à se structurer chez les musulmans, pour leur permettre de faire face aux islamistes. À cette fin, aujourd’hui, dans les pays frontaliers de la Syrie, les Occidentaux devraient apporter un soutien massif aux réfugiés syriens et aux combattants, ne serait-ce que pour garder un oeil sur ces derniers.

Alain Chevalérias

 

 

La carte syrienne de la France socialiste

Le général Manaf Tlass a fait défection le 5 juillet 2012, quittant l’armée syrienne et rejoignant la France à laquelle il a demandé l’asile. Quelques jours plus tard, il s’adressait aux Syriens sur la télévision satellitaire « Al-Arabiya ». Le choix de notre pays n’est pas innocent. Sa soeur Nahed Ojjeh, veuve du milliardaire saoudien Akram Ojjeh, vit déjà chez nous depuis des années. Elle s’est du reste taillé une réputation dans le Tout-Paris allant jusqu’à devenir la maîtresse de Roland Dumas et du journaliste Frantz-Olivier Giesberg dans les années 90. Le père de Nahed et de Manaf, le général Mustapha Tlass, s’est lui aussi installé à Paris depuis un an. Homme fort sous Hafez El-Assad, comme sa fille, il entretient une relation ancienne avec la France. On se souvient qu’en mars 1993, la famille Tlass avait promis d’offrir un scanner à l’hôpital de Sarlat (Dordogne), pour soutenir la candidature de Dumas à la députation. En clair, la France est en passe de jouer un rôle décisif en Syrie. Seul petit problème : Mustapha Tlass est accusé d’être le principal responsable du massacre de Hama qui, en 1982, fit au moins 5000 morts. Un organisme de défense du peuple syrien a déposé plainte contre lui à Paris.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

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