LA TURQUIE
SAUVÉE PAR DAECH

février 2016

Le 12 janvier 2016, un nouvel attentat éclatait en Turquie. À Istanbul cette fois, en plein quartier touristique de Sultanahmet, à deux pas de la basilique Sainte-Sophie, convertie en mosquée puis en musée pour attirer les visiteurs étrangers.

Comme les attaques du 20 juillet et du 10 octobre 2015, à Suruç et à Ankara, celle du 12 janvier n'est pas revendiquée. Comme les autres, pourtant, elle porte la marque de Daech, l'État islamique. Pourquoi donc cette absence de communiqué de la centrale terroriste quand son identité, en tant que commanditaire, ne fait pas de doute ? Surtout quand l'on constate que l'action, même seulement suggérée par Daech, comme à San Bernardino aux États-Unis, est facilement prise à son compte par l'organisation terroriste à des fins de propagande.

Pour nous, la cause de ce silence, en ce qui concerne la Turquie, est liée à la nature des relations entre Daech et l'autorité de ce pays. La plus grande partie des besoins logistiques du groupe terroriste vient ou transite en effet par lui. Les exportations du prétendu État islamique empruntent le même chemin : pétrole, antiquités pillées, voire drogues chimiques comme le captagon. Les grands blessés de Daech sont eux-mêmes soignés dans des hôpitaux turcs.

Pendant des mois, cette situation a satisfait Ankara : Daech était une épine dans le pied du régime syrien, son adversaire politique, et économiquement les Turcs y trouvaient leur compte. Mieux, la Turquie pouvait se targuer de jouer le rôle d'intermédiaire entre Daech et le reste du monde, à commencer par l'Occident.

Cela allait loin. Ainsi, en janvier 2015, quelques jours après l'attentat contre Charlie Hebdo (1), Le patron des services de renseignement turcs avait conclu un accord avec Fadel Ahmed Abdoullah Al-Hiyali, ancien officier de Saddam Hussein devenu principal coordinateur de Daech. Le compromis stipulait que l'organisation ne porterait pas ses coups à l'intérieur de l'Europe.

Mais voilà, le 18 août, Al-Hiyali était tué dans un bombardement américain. L'accord devenait caduc. D'autant plus que les relations se tendaient entre les Turcs et Daech. Néanmoins, et c'est là leur spécificité, les rompant totalement se déclarant en guerre contre la Turquie, Daech perdrait son cordon ombilical avec l'extérieur. Alors, furieux contre Ankara, il frappe pour envoyer des messages, mais sans signer, même si personne ne se trompe sur l'identité de l'attaquant.

Et cette fois, Dieu sait qu'il frappe dur ! Certes, l'attentat de Sultanahmet a fait 10 morts. Celui du 10 octobre, au moins 102. Mais le 12 janvier, c'est le tourisme qui est pris pour cible avec la mort de 10 Allemands. Or, le tourisme, c'est 3% du PIB turc. Déjà, un croisiériste italien, MSC Croisières, a annoncé la suspension de ses escales en Turquie. On peut aussi prévoir une baisse des réservations à venir dans les agences.

Daech croit pouvoir user du chantage. C'est mal connaître la Turquie. En juillet déjà, elle avait répondu à l'attaque par des bombardements. Aujourd'hui, c'est par un durcissement des contrôles sur les voies de passage qu'elle rétorque en même temps qu'elle renforce sa coopération avec les pays occidentaux. Le 16 décembre, déjà, elle décidait de la reprise de ses relations avec Israël, interrompues à la suite de l'arraisonnement de la flottille pour Gaza en 2010. Même chose avec l'Arabie Saoudite, un concurrent pourtant.

En gros, on assiste à un resserrement des liens de tous les adversaires de Daech avec la Turquie. Tous, sauf la Russie, perçue comme un adversaire, comme on l'a vu le 24 novembre quand un avion russe a été abattu au-dessus du territoire turc. Somme toute, les attaques de Daech ont pour effet de sortir la Turquie du relatif isolement où elle s'était mise en traitant avec cette organisation.



Note

(1) Pour comprendre, faut-il se souvenir, l'attentat de Charlie Hebdo a été revendiqué par l'AQPA (Al-Qaïda dans la péninsule arabique), et non par Daech.

 

 Vagues d'arrestations d'opposants en Turquie

Le 11 janvier, une vaste opération était lancée dans le pays pour arrêter les membres de l'organisation dirigée par Fethullah Gülen. Ce dernier, un islamiste réfugié aux États-Unis, avait soutenu le régime actuel. Aujourd'hui, il est passé dans l'opposition. Des raids de la police ont été menés dans dix régions de Turquie. D'autres part, 21 universitaires pacifistes ont été interpellés pour avoir signé un appel à la cessation des opérations militaires contre les Kurdes.


Mort programmée
de Daech

Pour aller au plus simple, il suffit de dire que Daech (l’État islamique) s’est fait des ennemis partout. Même la Turquie, que ses attaques contre le régime syrien ravissaient, a basculé aujourd’hui dans le camp de ses adversaires.

Cette animosité universelle contre Daech est mécanique. La Russie, l’Iran et leurs alliés l’attaquent parce qu’il est l’adversaire du régime syrien. L’Occident en raison du danger qu’il représente pour ce qu’il reste de stabilité dans la région moyen-orientale. Les États arabes, car Daech se pose en concurrent politique, sous prétexte d’établir un califat.

À la marge, Daech aurait pu faire preuve de souplesse à l’égard de la Turquie, voire des Kurdes ou de pays sunnites proches des islamistes, comme le Qatar. Il a fait le contraire, se radicalisant avec tous au point de se retrouver seul.

Cette stratégie n’a l’avantage de lui attirer la sympathie que d’une infime minorité d’excités ou de fanatiques, sa clientèle importée d’Europe. Mais il n’en a cure.

Pour preuve, le choix de ses cibles. Le 7 janvier, inspirés par Al-Qaïda, les terroristes s’en étaient pris à des objectifs per-çus comme anti-musulmans : Charlie Hebdo et les juifs. Le 13 novembre 2015, Daech a tiré sur la foule y compris sur les musulmans.

Daech n’a pas de projet à long terme croyons-nous. Son État Islamique n’est qu’une base arrière pour mener une guerre de vengeance contre l’Occident. À cela, on mesure, sous le ca-mouflage islamiste radical, l’importance du rôle des anciens officiers de Saddam Hussein qui n’ont pas oublié l’attaque injuste de l’Irak par les États-Unis en 2003.

Il y a une preuve de l’inexistence d’un projet : la prétendue écono-mie de Daech n’est qu’un systè-me de prédation. Rien n’est fait pour préparer le futur. Tout n’est que destruction pour un rapport immédiat. Daech ne sera qu’un feu de paille. Violent, mais un feu de paille quand même.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

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