La vérité occultée |
février 2008
Le 27 décembre 2007, Benazir Bhutto était tuée à Rawalpindi, ville jumelle de la capitale pakistanaise, à la suite d'un attentat. Sur les vidéos de l'événement, on voit un homme tirer avec une arme à feu. Selon la police, il s'est ensuite fait sauter avec une bombe, entraînant avec lui dans la mort plus de vingt personnes. Pour ses partisans, Benazir a reçu une balle dans la tête. La police affirme qu'elle s'est blessée elle-même, en heurtant la poignée du toit ouvrant de la voiture blindée, quand elle a voulu se mettre à l'abri des tirs. Restant à l'intérieur du véhicule, affirme le porte-parole de l'armée, comme les autres passagers, elle aurait échappé à la mort. Sur les auteurs du drame, les positions sont elles aussi contradictoires. Quand les gens du PPP (" Pakistan's People Party " ou Parti du Peuple Pakistanais), le parti de Benazir, accusent le pouvoir, celui-ci attribue l'attentat à Baitullah Mehsud, un responsable islamiste de la zone tribale pakistanaise, proche des Taliban afghans, et en guerre ouverte contre Islamabad. A l'analyse, l'hypothèse d'une attaque islamiste semble la plus probable. La veille de sa mort, Benazir s'en prenait encore à cette mouvance. Devant 5000 sympathisants réunis dans un stade de cricket de la banlieue de Peshawar, elle les accusait de tuer " des gens innocents (...) des enfants innocents, des hommes, des femmes sans discernement ". La veille, à Charsadda, à trente kilomètres de là, un attentat suicide avait fait 56 morts dans une mosquée. Depuis son retour d'exil, le 18 octobre 2007, Benazir n'avait de cesse de dénoncer l'extrémisme islamiste et de promettre de le réduire. Elle voulait fermer les plus radicales des madrassas, les écoles religieuses. Quelques heures avant sa mort, elle rencontrait le Président afghan, Hamid Karzaï, de passage à Islamabad. Elle lui promettait une alliance contre les Taliban. Dans un de ces derniers interviews, elle affirmait, parlant des islamistes : " Maintenant ils essaient de me tuer " (1). Elle savait de quoi elle parlait. A Karachi, le jour même de son arrivée au Pakistan, le 18 octobre 2007, elle avait été la cible d'un autre attentat. Si elle en avait réchappé, l'attaque faisait néanmoins 139 morts. Pourquoi dès lors s'exposer en multipliant les meetings publics ? Braver son adversaire, dans un pays où ce dernier a assassiné plus de 800 personnes en un an, peut passer pour de la bravoure, voire de l'inconscience. Dans son cas, cela ressemble à un suicide. Mais, peut-être, après tout, le comportement de Benazir n'était-il que la conséquence de l'idée qu'elle se faisait de son personnage. Et là, nous entrons dans le mythe des Bhutto. Cela commence avec Zulfiqar Ali Bhutto, son père. Tout semble sourire au jeune homme, quand en 1958, âgé de trente ans, il devient ministre. Né dans une riche famille, propriétaire de plusieurs milliers d'hectares de terre dans la région de Larkana, il a poursuivi ses études à Berkeley et à Oxford. En 1967, porté par son étoile, il fonde le PPP. " L'islam est notre foi, la démocratie notre politique et le socialisme notre économie ", proclame la devise. Il y a loin des mots à la réalité. A cette époque, et depuis le départ des Britanniques du sous-continent indien, en 1947, le Pakistan est formé de deux entités, la partie orientale, aujourd'hui désigné sous le nom de Bangladesh, et la composante " occidentale ", qui gardera le nom de Pakistan. En décembre 1970, certes le PPP obtient un nombre important de voix dans la partie occidentale du pays. Mais la Ligue Awami, mieux assise dans le futur Bangladesh, l'emporte dans l'ensemble du Pakistan. Ali Bhutto refuse sa défaite. Il promet de " briser les jambes " des élus du PPP qui oseraient se rendre à la session inaugurale du Parlement. Restant sur ses positions, il s'oppose, à l'intronisation d'un Bengali, Nurul Amin, comme Premier ministre. Le comportement de Bhutto apparaît comme une cause principale de la séparation des deux Pakistan, de la guerre civile qui s'ensuit et de la défaite face à l'armée indienne, ravie de précipiter le dépeçage de son ennemi. En tribun habile, Bhutto fait cependant reposer toute la responsabilité de la catastrophe, à l'échelle du Pakistan, sur le seul Président, le général Yahya Khan. Sous la pression de la rue, ce dernier finit par démissionner et remet les pleins pouvoirs à Bhutto en décembre 1971. Celui-ci, sur simple nomination de son prédécesseur, devient alors Président, commandant en chef de l'armée, et fait sans précédent, administrateur de la loi martiale. A la tête du pays, sa nature autoritaire s'affirme. A peine arrivé au pouvoir, il place son prédécesseur, Yahya Khan, en résidence surveillée. Début mars 1972, il ordonne aux militaires de réprimer une grève de policiers dans la province du Punjab. L'armée refusant d'obéir, il démet ses chefs. Un an plus tard, nouvelle épreuve de force avec celle-ci. Il accuse des officiers de de comploter contre lui et fait arrêter 59 d'entre eux pour les traduire en cour martiale. Mais l'étoile de Bhutto pâlit. Les nationalisations de l'industrie, initiées sous son mandat, et les tracasseries d'une bureaucratie pléthorique provoquent une crise de confiance dans les affaires. La situation se détériore aussi sur le front politique. Le NAP (National Awami Party), concurrent du PPP, domine dans la province du Baloutchistan. En février 1975, Bhutto l'accuse de menées sécessionnistes et emprisonne sa direction. Dans le même temps, la fronde grogne au sein du PPP. Plusieurs responsables critiquent ouvertement Bhutto et appellent à manifester contre lui. Le père de l'un d'eux, Ahmed Raza Kasuri, est alors assassiné. Bhutto sera accusé d'avoir ordonné ce meurtre. Le 8 janvier 1977, une coalition de partis de l'opposition s'organise sous le nom PNA (Pakistan National Alliance). Quelques semaines plus tard, aux élections législatives, le PNA, déclaré perdant, conteste les résultats, et accuse Bhutto de fraude. Le désordre s'étendant à travers le pays, le 5 juillet 1977, sur l'ordre du chef de l'armée, le général Zia Ul-Haq, Bhutto et plusieurs de ses ministres sont arrêtés. Jugé, Bhutto est condamné à mort et sera pendu le 4 avril 1979. A part la distribution de quelques arpents aux paysans sans terre et le lancement des travaux de port Qasim, son passage au pouvoir laisse un goût de cendre. Son exécution redorera pourtant son blason. Jusqu'à faire de son parti, le PPP, le symbole de la démocratie, en Occident, et, au Pakistan, celui de la revanche contre le pouvoir des militaires. Benazir, va capitaliser sur la fin tragique de son père pour construire le mythe dans lequel elle se glisse.
Benazir clame haut et fort avoir été désignée par son père pour poursuivre sa " mission ". Elle saisit l'opportunité de la maladie de sa mère et parvient à se faire proclamer chef du PPP, en dépit des ambitions de ses deux frères. Fort à propos, en juillet 1985, Shahnawaz, le plus jeune, meurt dans un appartement familial à Nice. Pour les uns, il est mort des suites d'une overdose, pour les autres, il aurait été empoisonné. Benazir, est alors en Europe. En 1984, le général Zia l'a laissée rejoindre Nusrat à Londres. De là, elle travaille à préparer sa montée au pouvoir. On lui doit plusieurs déclarations critiquant la résistance des Afghans à l'occupation soviétique, quand le Pakistan soutient ces derniers. Il faut dire, à cette époque, son autre frère, Murtaza, dirige un groupe terroriste baptisé Al-Zulfiqar. Or, il s'est réfugié en Afghanistan, où il bénéficie de l'aide des services secrets afghans et de Moscou. À partir de ses bases afghanes, il lance des attaques contre son pays. En mars 1981, il a même détourné un avion sur Kaboul et assassiné un diplomate pakistanais voyageant à son bord. Le 17 août 1988, cependant, le général Zia est tué dans un attentat et Benazir rentre au pays. Des élections législatives se déroulent et le PPP, obtenant le plus grand nombre de sièges, sa présidente devient Premier ministre. En 1990, coup de théâtre : elle est destituée sous l'accusation de corruption. Mais en octobre 1993, la coalition conduite par le PPP remportant à nouveau les élections, elle retourne aux affaires. Sous ce second mandat, on doit à Benazir l'arrivée au pouvoir des Taliban à Kaboul. Elle approuve en effet le soutien à ces derniers des services pakistanais. Elle voit dans les Taliban " un facteur de stabilité pour la région ". En 1996, cependant, elle est démise une seconde fois pour corruption (2). Elle prétend ces accusations sans fondement. Néanmoins, les enquêtes menées en France, en Pologne, en Espagne et en Suisse prouvent le contraire. Son mari, Asif Ali Zardari, profitait de la position de sa femme pour toucher des pots de vins sur les ventes effectuées par les entreprises étrangères. Dassault Aviation a fait partie des sociétés rackettées et, le 6 août 2003, les deux époux seront condamnés par la Justice suisse à payer 11 millions de dollars au gouvernement pakistanais, pour blanchiment d'argent. Asif Zardari En outre, pèse sur Benazir une suspicion de crime. Rentré à son tour au Pakistan en 1995, Murtaza avait proposé à sa soeur d'unir leurs forces. Il eut néanmoins une violente dispute avec Zardari, son beau-frère, auquel il reprochait sa malhonnêteté. Benazir était alors Premier ministre quand, le 20 septembre 1996, Murtaza fut assassiné devant chez lui, à Karachi, dans une embuscade tendue par la police. En 1998, Benazir s'exile à nouveau, d'elle-même cette fois. Zardari restera en prison jusqu'en 2004. Mais elle n'abandonne pas. En outre, les Américains voient en elle une carte à jouer. Le 27 janvier 2007, elle rencontre George W. Bush. Le 18 octobre, elle est de retour au Pakistan après avoir conclu un accord avec le Président Pervez Musharraf afin de partager le pouvoir avec lui. Après la mort de Benazir, son fils, Bilawal, âgé de 19 ans, a été intronisé chef du PPP. Dans la famille Bhutto, derrière les sourires et le masque de la démocratie héréditaire, se cachent des moeurs de satrapes orientaux. On est loin de l'image répandue à des fins politiques en Occident. Alain Chevalérias
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