ARC-BOUTANT DE LA SÉCURITÉ RÉGIONALE- II |
avril 2007
En plus d'une grosse partie de la population, favorable à la mouvance islamiste, des milliers de ressortissants de pays arabes étaient restés au Pakistan après avoir fait le " jihad " en Afghanistan. En particulier dans la zone tribale, le FATA (1), ils bénéficiaient de la tradition d'hospitalité (2) pour se cacher. Certains avaient même pris femme sur place, renforçant leurs liens avec les populations locales. Nous avons répertorié 34 groupes islamistes armés pakistanais, actifs pour quelques-uns depuis les années 80. Tous, aussi, pendant un temps au moins tolérés par les autorités. On peut distinguer deux catégories. D'une part les organisations sectaires, sunnites ou chiites, dont l'activité se limite aux agressions entre eux. Parmi ceux-ci, le Sepah-i-Sahab, Armée des compagnons (de Mahomet), d'obédience sunnite, et le Tehrik-i-Nifaz-i-Fiqah-i-Jafaria (TNFJ) ou Mouvement de l'Application de la pensée jaafarite, organisation chiite. On doit à ces groupes des attaques et attentats à l'explosif contre les mosquées et les croyants de l'autre obédience. D'autre part les groupes dits " jihadistes ", qui ont combattu en Afghanistan et au Cachemire indien (3). Parmi eux le Harakat Ul-Mujahideen (4), dont le chef, Fazl Rehman Khalil, a suivi un entraînement dans les camps de Ben Laden en Afghanistan. Plus connu, existe aussi le Lashkar-i-Taïba ou Assemblée de la prédication islamique. Ses dirigeants, Hafiz Saeed et Zaki Ur-Rehman Lakhvi, ont enseigné en Arabie Saoudite. Entre ce que l'autorité pakistanaise tolérait et la totale liberté d'action dont jouissaient les organisations islamistes dans le FATA (1), le pays était devenu un repaire d'activistes. Résultat, depuis la mort du
général Zia Ul-Haq (5),
et sous les gouvernements successifs, la souveraineté
de l'État se diluait, une partie croissante du territoire
et de la société échappant à son
autorité. Situation d'autant plus dangereuse qu'une liaison
existait avec les Taliban en Afghanistan. Elles en profitèrent aussi pour serrer la vis aux organisations islamistes. D'abord, en janvier 2002, puis en juin, en interdisant officiellement certaines organisations sectaires, sunnites et chiites, comme le Sepah-i-Sebah ou le TNFJ. Puis elles s'en prirent aux partis " jihadistes ", comme le Lashkar-i-Taïba en 2003. Mais, que ce soit avec les tribus
dans le FATA ou dans la reconquête de leur souveraineté
face aux groupes islamistes, aux yeux de l'étranger, le
pouvoir pakistanais manquait de fermeté. Certains groupes se plièrent à cette logique. Le Lashkar-i-Taïba, par exemple. Interdit, il se reconstitua sous le nom de Jamaat Ud-Daawa, accepta le démantèlement de ses camps d'entraînement et se limita à des activités de propagande. D'autres, refusant le nouveau modus vivendi, virent leurs responsables emprisonnés et leurs activités politiques prohibées. C'est le cas du Tehrik-i-Nifaz-i-Shariat-Mohammad, Mouvement de l'application de la loi de Mahomet, dont le chef, Sufi Mohammad, est détenu depuis 2002. Le jeu est difficile à doser. Car, d'un côté, il inspire la méfiance de l'Occident, surtout des États-Unis, plus habitués aux méthodes radicales. De l'autre, il peut provoquer la colère des tribus et des islamistes qui voient leur marge d'action rétrécir. C'est dans ce contexte qu'il faut replacer les événements récents : les combats dans le FATA et les attaques terroristes de janvier et février derniers. Ils apparaissent comme la réaction à la volonté de plus en plus manifeste du pouvoir de renforcer son autorité. Mais une autre méthode que celle de la carotte et du bâton est-elle applicable ? Sur la durée, en tout cas, comme le prouvent des événements récents, elle donne des résultats. Tout remonte à l'automne 2001. Des rebelles islamistes d'Ouzbékistan, membres du MIO (6), avaient trouvé refuge dans l'Afghanistan des Taliban. La victoire des forces de la coalition les obligea à chercher refuge au Sud-Waziristan, l'une des sept agences (7) du FATA, où ils se retranchèrent, avec armes et bagages, bénéficiant du soutien de chef tribaux. En 2004, l'armée pakistanaise tenta de les déloger. Elle essuya une défaite. Le MIO gagna en arrogance, entretenant l'insécurité dans la région. Conséquence inévitable, début mars, il entra en conflit avec les tribus locales. Des tirs furent échangés. Les chefs tribaux firent alors appel aux autorités gouvernementales. Le 20 mars 2007, l'armée pakistanaise intervenait. Elle tirait au canon contre les positions du MIO. 50 cadavres étaient récupérés. Autant auraient été emportés par les Ouzbeks. Zone après zone, les autorités pakistanaises signent des accords avec les tribus. Pour bénéficier des subsides de l'État et jouir d'une certaine indépendance, les chefs tribaux doivent faire la police et obliger les étrangers à respecter les lois. Sinon, ils ont pour obligation de livrer ces derniers aux forces de sécurité. La manoeuvre apparaît d'autant plus délicate que l'Assemblée provinciale du NWPF (8), depuis les élections de 2002, est passée aux mains du MMA (9). Cette alliance islamiste radicale est opposée au gouvernement fédéral. Proche des Taliban afghans, elle a été élue par réaction contre la collaboration du pouvoir central avec les pays occidentaux dans leur lutte contre le terrorisme. A ces quelques détails, on évalue la fragilité du pays. Or, le Président, le général Pervez Musharraf, a été visé par plusieurs attentats, dont deux en décembre 2003. Il faut savoir, ces attaques n'ont pu avoir lieu qu'avec la complicité d'éléments des forces de sécurité informés de l'itinéraire du convoi présidentiel. Si le régime venait à s'effondrer, il est à craindre que les islamistes, bénéficiant de soutiens au sein de l'armée et des services de renseignement ne s'emparassent du pouvoir. En Afghanistan, les forces de la coalition menacées sur leur flanc sud-est, seraient obligées de se protéger, et de s'assurer le contrôle des sites nucléaires pakistanais. Or, l'Occident manque de troupes. Nous risquons alors de voir Washington faire appel à l'Inde et à son milliard d'habitants pour prendre le Pakistan à revers. Le recours par l'Occident aux Indiens polythéistes contre des musulmans, qui les haïssent et les méprisent, serait le détonateur d'un conflit impliquant l'ensemble du Moyen-Orient et au-delà. Voilà pourquoi le Pakistan
est à nos yeux l'arc-boutant de la sécurité
régional. Parce que son effondrement emporterait toute
la région dans une crise incontrôlable dont l'onde
de choc toucherait nos pays.
Alain Chevalérias
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