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mai 2011
Lancée par Nicolas Sarkozy à grand renfort de coups de trompettes, la coalition marque le pas en Libye. Si la mise à lécart du pouvoir du colonel Mouammar Kadhafi nous semble souhaitable, au regard des excès et des crimes quil a parrainés pendant quarante ans de règne, beaucoup de questions se posent sur la méthode employée, le rôle imposé à la France et la mise en place de lopération. Ayant séjourné une semaine à Tripoli, au moment du déclenchement des hostilités par les avions de lalliance, jai aussi entendu le discours tenu par le clan Kadhafi. Jen conclus cette « guerre » mal engagée et exposant inutilement les intérêts de la France. Retour sur les faits. Dans la nuit du 15 au 16 février derniers, dans la foulée des pays voisins, lÉgypte et la Tunisie, des émeutes éclatent à Benghazi, capitale de lest de la Libye, et gagnent le reste du pays dans les jours qui suivent. Le 21 février, Al Jazeera, la fameuse chaîne de télévision subventionnée par le Qatar, parle de 60 morts à Tripoli. La rébellion éclate, des militaires la rejoignent et des stocks darmes sont pillés. Le 2 mars, les forces loyales à Kadhafi contre-attaquent et sapprochent de Benghazi. Le 17 mars, le Conseil de Sécurité des Nations Unies vote la résolution 1973 à cinq voix contre cinq abstentions, dont lAllemagne, la Chine et la Russie. Aucun des cinq pays détenant le droit de veto ne fait usage de celui-ci, mais on sent de la méfiance à légard dune intervention militaire. Que dit la résolution 1973 ? Pour le volet militaire, elle instaure une interdiction aérienne au-dessus de la Libye, y compris pour les aéronefs civils. Elle autorise « toutes les mesures nécessaires » pour assurer la protection des civils, ceci jusquà un cessez-le-feu. Contrairement aux affirmations de journaux français, à aucun moment la résolution ne dit que Kadhafi doit quitter le pouvoir. La France apparaît en avant de celle-ci puisque, le 25 février, Sarkozy a déjà déclaré : «Notre position est claire : M. Kadhafi doit partir ». Le 3 mars, il fait un pas supplémentaire, acceptant de recevoir une délégation du CNT (voir ci-contre) ou Conseil de Transition National, basé à Benghazi, et le reconnaît comme seule autorité légale de la Libye. Certes, dautres pays suivent, dont lItalie, mais la France se voit prendre le leadership politique des adversaires de Kadhafi. Le 19 mars, dans la nuit, à Tripoli, nous entendons les premières frappes sur fond de tirs de DCA des forces libyennes loyales au pouvoir. Le 20 mars, devant les journalistes réunis à lhôtel Rixos, Moussa Koussa *, le ministre des Affaires étrangères, annonce un cessez-le feu côté gouvernemental. En théorie, selon le texte de la résolution 1973, le Conseil de Sécurité devrait se réunir derechef et prendre une décision sur la continuation des opérations. La décision nest pratiquement pas répercutée par la presse française. Pire, les combats continuent. Difficile néanmoins de dire pourquoi. On peut soupçonner Kadhafi davoir cherché à piéger les Nations Unies en annonçant un cessez-le-feu, mais sans dire à ses hommes darrêter de combattre. Il apparaît cependant tout aussi imaginable que les rebelles ont fait la sourde oreille, poursuivant leur contre-offensive. En effet, au sol, les hommes du CNT sont en pleine euphorie. Après avoir desserré la nasse qui se refermait sur Benghazi, ils avancent vers louest. Soutenus par laviation de la coalition, ils se croient invincibles. Ni leurs mentors, au premier rang Sarkozy, ni eux-mêmes ne sont prêts à renoncer à une victoire totale quils croient à portée de main. Cétait compter sans les ressources du colonel Kadhafi. Il semble même quil ait tendu un piège à ses adversaires. Ordonnant un repli rapide de ses troupes, il aurait ordonné labandon dune partie des équipements, donnant lapparence dune déroute. Devant Syrte, les rebelles, perdant toute prudence, se sont alors jetés dans une embuscade qui, provoquant des pertes importantes, a douché leur enthousiasme. La stratégie de Kadhafi se devinait. Plutôt que de chercher à tenir toute la Libye, ce quil sent au-dessus de ses forces, il a choisi de concentrer ses moyens à louest, là où il jouit dun soutien populaire difficile à évaluer, mais néanmoins réel, pour des raisons dallégeances tribales et de clientélisme. Lentrée de Syrte, comme ligne de front, a un sens : cest la ville natale du colonel et le domaine de sa tribu, les Kadhafa. Quant aux forces de la coalition, elles révèlent leur impréparation, ayant oublié dintégrer le phénomène tribal dans leurs analyses de terrain. Trop vite, elles ont cru soutenir tout un peuple contre lautorité au pouvoir, quand elles ne servent que de force dappui aérien à une faction libyenne contre une autre. En clair, elles sont aussi partie prenante dans une guerre civile et pas seulement dans une révolution. Très vite, le décalage apparaît entre la mission de protection de la population, décrétée par le Conseil de Sécurité, et laction menée sur le terrain. Puisant là une ressource de poids, la Russie et la Chine évoquent ouvertement le non respect de la résolution 1973. Plus grave, la Ligue arabe, qui avait appelé lOccident à intervenir en Libye, tient le même discours. Tout aussi préoccupant, des discussions éclatent quant au leadership de la coalition. Nos forces sont certes commandées, mais à léchelle nationale. Si le choix des cibles est discuté collégialement, il nexiste pas de commandement général. On ne part pas à la guerre de cette manière ! Mais Sarkozy avait compté sur une victoire rapide, dont il aurait été le principal artisan aux yeux de lopinion, en raison de son implication rapide et de son investissement personnel. Très vite, cependant, la carence dun commandement militaire central se fait sentir. Sarkozy ne peut plus jouer sur lambiguïté pour décrocher les lauriers. Quant à la France, elle nest pas acceptée comme chef de la coalition militaire. Le 31 mars, les États impliqués décident finalement de confier la direction des opérations à lOTAN. Un camouflet pour le résident de lÉlysée. Un paradoxe aussi, car Barack Obama ne souhaite pas investir les États-Unis dans laffaire, quand son pays supplée à lessentiel des besoins de lorganisation atlantique. Résultat de cet aventurisme, les rebelles, pour la plupart des volontaires désorganisés, ont été stoppés. Située à louest de Syrte, la ville de Misrata résiste, face aux forces de Kadhafi, aux dépens de la population civile. Elle dépend des approvisionnements arrivant par bateaux, la voie terrestre étant pour elle coupée. Cest lenlisement redouté. Le 8 mars, le secrétaire général de lOTAN, Anders Fogh Rasmussen, déclare même à un journaliste du Der Spiegel : « Il ny a pas de solution militaire à ce conflit. Nous avons besoin dune solution politique et cest laffaire du peuple libyen... » La fin du rêve de Sarkozy... et le début de son cauchemar. Car, blessé, le tigre Kadhafi en est dautant plus dangereux et sa haine de la France, identifiée à Sarkozy, prend désormais une dimension incommensurable. Ce nest pas tout. La Libye gagnée par lanarchie, nous avons à craindre certains éléments de la rébellion elle-même. Faite de bric et de broc, elle a en effet reçu lappui dAl-Qaïda. Nous savons Ben Laden entouré de plusieurs Libyens. Nos contacts au Pakistan, nous ont aussi appris que plusieurs de ses hommes avaient été envoyés en Libye afin dy nouer des contacts à loccasion des troubles. Ils y bénéficient dun soutien sur place grâce à lorganisation islamiste radicale locale, Jamaa Al-Moqatila Al-Libiya, contre laquelle Kadhafi a rompu quelques lances dans les années 90. Laffaire est prise au sérieux par les Américains. Lamiral James Stavridis, commandant des forces de lOTAN en Europe, la évoqué publiquement. Autre paradoxe de cette guerre, au nom de la démocratie, nous soutenons aussi des islamo-terroristes, que nous combattons sous dautres latitudes. En attendant la suite, nous avons toutes les raisons de craindre que les errements de Sarkozy ne suscitent un nouvel Afghanistan... à quelques centaines de kilomètres des frontières européennes cette fois. Alain Chevalérias
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