Avant et après Kadhafi

avril 2011

Après les régimes de Tunisie et d’Égypte, celui de la Libye à son tour est en péril. Une fois encore, cela démontre qu’il n’existe pas de gouvernement capable de se maintenir, si l’armée laisse faire, quand tout un peuple descend dans la rue. Néanmoins, lorsque la Tunisie et l’Égypte semblent s’acheminer vers un consensus national, dans un cadre institutionnel qui a résisté à la tourmente, le sort de la Libye apparaît plus préoccupant.

Prenant le pouvoir en 1969, par la force, le capitaine Mouammar Kadhafi, autoproclamé colonel, a construit un système loufoque, reposant sur des comités populaires, façade derrière laquelle il exerçait une autorité dictatoriale, mégalomane et fantasque. Résultat, quittant la tête du pays, il le laissera à mi-chemin entre la tribalité, dans laquelle il l’a trouvé, et l’anarchie, qui risque de s’imposer.

On comprend l’inquiétude de l’Occident. Certes, la Libye ne produit que 3% de la consommation mondiale de pétrole. Mais le cours de celui-ci étant à la hausse, la rupture de cette source d’approvisionnement pourrait s’ajouter à d’autres, comme celles de l’Algérie ou de l’Iran, eux-mêmes touchés par le mécontentement populaire.

A cela, comme dans la plupart des États arabes, s’ajoute le risque islamiste. Il faut se souvenir : depuis l’antiquité, la Libye n’accéda pour la première fois à l’indépendance que sous l’autorité des Al-Sanussi, des dignitaires religieux influencés par la rigoureuse secte saoudienne des Wahhabites, dont le roi Idris 1er, déposé par Kadhafi, fut le dernier représentant.

Né en Égypte en 1928, les Frères musulmans ont aussi pris pied en Libye. Proche de leur idéologie, Al-Jamaa Al-Moukatila Al-Libiya, avait en outre organisé un maquis dans les montagnes de Cyrénaïque, à l’est du pays, au cours des années 90. Kadhafi avait répondu en bombar-dant ses positions. Des membres de la Jamaa ont ensuite rejoint Al-Qaïda.

Ajoutant à la confusion des genres, Seif Al-Islam, fils du bouillant colonel Kadhafi et vitrine moderniste du régime, a réussi à rallier quelques-uns de ces islamistes, y compris des hommes passés par les maquis afghans. Quant à son père, avons-nous appris par ailleurs, ses émissaires ont noué récemment des liens avec les gens de Ben Laden sur le territoire pakistanais. Tout ceci pour comprendre que le radicalisme musulman n’est pas sans exercer une influence sur la société libyenne.
Risques sur les approvisionnements de pétrole, danger islamiste et menace d’anarchie, tout ceci explique la mobilisation navale des États-Unis, dont les bateaux de guerre prennent position face aux côtes libyennes. Moins logiques apparais-sent les critiques adressées aux gouvernements occidentaux, pour les relations entretenues avec Kadhafi.

Certes, il a couvert plusieurs attaques terroristes, certes aussi, il est responsable de nombreux assassinats et même d’atrocités. Mais reprochant à nos dirigeants la fréquentation de ce dictateur, on en viendrait à leur interdire de rencontrer tous ceux qui sévissent de par le monde. S’il est souhaitable que tous les peuples trouvent la force de s’émanciper de leurs oppresseurs, en revanche, en matière de politique étrangère, il n’existe pas d’autre solution que d’entretenir des relations avec tous les États, quels qu’en soit la nature de leurs gouvernements.

Alain Chevalérias

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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