PAKISTAN:
L’INJUSTICE DES AMÉRICAINS

novembre 2009

« Al Qaïda a trouvé refuge au Pakistan depuis 2002, j’ai du mal à croire que personne, dans votre gouvernement, ne soit capable de dire où elle se cache, et ne soit en mesure d’arrêter les coupables », a dit Hillary Clinton, le 29 octobre 2009, au cours de sa visite au Pakistan.
Que Madame Clinton soit habitée de cette conviction, cela la regarde ! Mais que du haut d’une tribune publique elle s’adresse ainsi au gouvernement d’un pays, où elle est invitée, ne relève pas des manières à pratiquer en diplomatie à l’égard d’un État considéré comme un allié. Ce signe d’arrogance ne sert pas la cause que Clinton est venue défendre au Pakistan. Au contraire. En outre, la secrétaire d’État américaine devrait se rappeler la part de responsabilité de son pays dans la montée et l’installation de l’islamisme radical dans la région.

Tout a commencé bien avant décembre 1979, date de l’invasion soviétique en Afghanistan. Dès 1957, les Américains ont installé une base d’entraînement à la guérilla à Cherat (1), à quelques kilomètres de Peshawar, ville frontalière pakistanaise. Les recrues, venaient de 70 pays pour s’y former afin de combattre un jour chez eux contre les communistes, si le besoin s’en faisait ressentir. Parmi eux, on comptait de nombreux musulmans.

carte de l'Afghanistan, PakistanDéjà, le Pakistan soutenait l’insurrection dans la partie du Cachemire contrôlée par l’Inde. Washington ne s’en formalisait pas, puisque New Delhi, alliée de Moscou, était considérée hostile.

Quand les Soviétiques débarquèrent à Kaboul, en masse, les Afghans défilèrent au camp de Cherat. Il n’y avait rien à redire à cela, car envahis, selon les critères des Nations Unies, ils avaient le droit de se défendre et les autres pays de les soutenir. Au moins à partir de 1984, à Cherat et dans les maquis afghans, apparurent des islamistes venus des pays arabes. Déjà radicalisés, ils prêchaient le jihad tous azimuts. Les Américains, qui les encourageaient à rejoindre le Pakistan, comptaient ainsi faire basculer l’ensemble des pays arabes, sinon musulmans, dans la radicalité contre l’Union Soviétique.

A cette époque, l’ISI (les services secrets pakistanais) et l’armée d’Islamabad nouèrent des liens étroits avec les islamistes radicaux. Ces derniers jouaient le rôle d’une légion islamique mobilisée contre les ennemis du Pakistan : les Soviétiques, mais aussi l’Inde, à laquelle trois guerres l’avaient déjà opposé. Puisque Washington voyait tout cela d’un oeil bienveillant, on serait mal venu de reprocher aux Pakistanais leur manque de prudence.

Les Soviétiques quittant l’Afghanistan, Washington laissa Islamabad se débrouiller avec les islamistes arabes. Certains rejoignirent leur pays d’origine. D’autres, souvent interdits chez eux, restèrent sur place. Ils renforcèrent leurs liens avec les Afghans radicalisés et les 30 à 35000 Pakistanais passés par le camp de Cherat.

Biographie de Ben Laden. La guerre infernaleSans entrer dans les détails, Oussama Ben Laden émergea dans cette mouvance. Si, contrairement à certaines idées reçues, il n’a semble-t-il pas collaboré directement avec les Américains, il n’en a pas moins profité du système mis en place par eux (2).

Cependant, le désordre s’instaurant en Afghanistan, où les affrontements perduraient entre seigneurs de la guerre et milices armées, les États-Unis eurent l’idée d’instrumentaliser les dizaines de milliers de jeunes Afghans entassés dans les camps de réfugiés au Pakistan et formés pour certains au combat dans les madrasas. On allait les appeler Taliban, terme signifiant « étudiants en religion » dans la plupart des pays islamisés.

À nouveau, les autorités pakistanaises furent appelées à la rescousse. Et, à partir de 1994, on assista au déferlement sur l’Afghanistan de ces Taliban soutenus par Islamabad. Ils appartenaient pour ainsi dire tous à l’ethnie pachtoune, représentant la moitié de la population du pays. En 1996, ils s’emparaient du pouvoir à Kaboul et instauraient un ordre rigoriste, porteur d’un islam borné et traditionaliste.

Signe révélateur, les États-Unis furent l’un des seuls pays à reconnaître leur gouvernement. Madeleine Albright, alors secrétaire d’État à Washington, alla jusqu’à voir dans leur succès « un pas positif » pour l’Afghanistan. Certes, au nord, une petite enclave les combattait, dominée par la figure charismatique d’Ahmad Shah Massoud. Mais, pour les Américains, il suffisait qu’un pouvoir central étendît son autorité sur la plus grande partie du pays pour les contenter.

Ben Laden au Soudan
Les choses finirent cependant par se gâter. Dans leur logique de jihadistes convaincus, les Taliban hébergèrent sur leur territoire des groupes islamistes étrangers, qui ouvrirent des camps d’entraînement militaires dans les montagnes. Puis, dans le courant de l’été 1996, Ben Laden, chassé du Soudan, établit ses quartiers dans le pays.

Tout le monde connaît la suite : Al-Qaïda se sanctuarisa en Afghanistan et lança de mortelles attaques contre les Américains comme celles conduites contre les ambassades à Naïrobi et à Dar Es Salam (août 1998) et le destroyer USS Cole, au Yémen (octobre 2000). Puis, le 11 septembre 2001, éclataient la série d’attentats visant le coeur de la finance et du pouvoir militaire américains sur leur sol.

La réponse de Washington tomba du ciel le 7 octobre 2001, à peine un mois après la destruction du Trade World Centre. L’aviation américaine déversa un déluge de feu, précédant la progression au sol des forces du défunt Ahmad Shah Massoud, rebelles aux Taliban. Le 13 novembre 2001, les vainqueurs s’emparaient de Kaboul et de Kandahar une quinzaine de jours plus tard.

D’une passivité complice à l’égard des Taliban à un soutien avoué, Washington pouvait tout craindre du Pakistan. Le Président en place, le général Pervez Musharraf, choisit la loyauté à l’égard de son vieil allié américain. Il positionna des troupes sur la frontière afghane, réduisant les fuites vers le Pakistan. Mieux, il livra même des responsables des Taliban et d’Al-Qaïda aux forces américaines.

Carte de la zone tribale
Le FATA ou la Zone tribale-PakistanCe faisant, Musharraf prenait un risque considérable. Il faut savoir la frontière afghane bordée sur des centaines de Km par le FATA, ou zone tribale, où vivent les tribus pachtounes liées par le sang à celles de l’Afghanistan. Plus significatif encore, pendant la guerre contre les Soviétiques et l’offensive des Taliban sur le pays voisin, les Pachtouns du FATA avaient fourni une base arrière à leurs frères du nord, allant même jusqu’à leur procurer des recrues. Or, la zone tribale, et cela déjà sous l’occupation britannique, est auto administrée et, par consensus, les armées de l’État central s’interdisent d’y pénétrer. Violant cet accord pour satisfaire les Américains et sécuriser la frontière, Musharraf dressait contre lui les tribus pachtounes et les organisations islamistes de tout le Pakistan.

Cela n’a pas empêché Washington d’estimer que le Pakistan n’en faisait pas assez contre « les terroristes », pour reprendre son expression.

Il y a dans cette interprétation des faits, une large part d’incompréhension de la situation de l’allié local.

D’une part, les Pakistanais, craignant une attaque de l’Inde, ne veulent pas dégarnir leur ligne de défense militaire sur leur frontière est, en positionnant la plus grand partie de leur troupes face à l’Afghanistan. En outre, dans le contexte de méfiance réciproque qui prévaut entre Islamabad et New Delhi et compte tenu de la disproportion des forces entre l’Inde et le Pakistan (3), comme nous l’a dit le général Mirza Aslam Baig (1), les groupes islamistes armés représentent une arme de dissuasion. Leur combativité et leur fanatisme interdiraient en effet une occupation prolongée du Pakistan.

Hamid Gul
D’autre part, les officiers pakistanais ne font pas secret de leur conviction : pour eux, les Américains et leurs alliés ne parviendront pas à mater les Taliban. Le général Hamid Gul, ancien patron de l’ISI, a été jusqu’à dire dans « Le Figaro » du 5 octobre dernier (2009) : « Les soldats occidentaux risquent de devoir quitter l’Afghanistan à la va-vite, accrochés aux pales de leurs hélicoptères ». Les Pakistanais craignent de se retrouver un jour seuls, face aux Taliban et aux organisations islamistes avec, de surcroît, l’Inde les harcelant sur leur flanc est. Situation pour eux apocalyptique à laquelle ils cherchent à échapper.

Le Pakistan se retrouve pris dans une contradiction. D’un côté il cherche à ne pas déplaire à ses alliés américains. De l’autre, il voudrait éviter, autant qu’il le peut, les affrontements avec les radicaux islamistes, afin de préserver l’avenir.

Cette tactique est apparue très clairement sous le gouvernement de Musharraf avant d’être reprise par ses successeurs. Dans la vallée de Swat, par exemple, touché par l’irrédentisme islamiste, l’armée est restée l’arme au pied, laissant les rebelles déverser leur hargne puritaine sur la région, à la fin de l’année 2008 et au début de 2009. Puis le gouvernement a tenté un accord avec eux. Mais, comme dans le FATA, où les affrontements prennent des airs de guerre civile, la tactique s’est avérée vaine et, au mois de mars dernier, il a fallu faire parler la poudre.

Aujourd’hui, forcés à un conflit dévastateur, qu’ils voulaient éviter, les Pakistanais tendent à établir une différence de traitement entre les islamistes de leur pays, contre lesquels ils se battent, et les Taliban afghans, avec lesquels ils voudraient préserver une relation de neutralité. Leur stratégie repose sur un principe non exprimé : nous répondons aux coups portés contre nous et fermons les yeux tant que nos intérêts ne sont pas menacés. C’est ce que reproche Washington à son allié.
Est-ce bien justifié ? D’une part les Américains ne prennent pas en considération les impératifs de survie du Pakistan. De l’autre, ils oublient leur part de responsabilité dans l’émergence du chaos actuel. Enfin, ils n’assument pas leurs erreurs, attendant du gouvernement pakistanais qu’il se débrouille avec les conséquences.

Un exemple nous revient à l’esprit. Le 12 février dernier (2009) Dianne Feinstein, membre du Sénat américain, déclarait devant la commission du Renseignement que les drones (4), tirés par son pays contre la zone tribale, décollaient du Pakistan, et non d’Afghanistan, comme on le croyait.

Cette révélation, reprise par la presse du monde entier, confirmait l’accord du gouvernement pakistanais. Elle le mettait dans une situation difficile vis a vis de la population, lui qui, depuis des mois, reprochait avec véhémence ces attaques aux Américains.

Le double jeu des autorités d’Islamabad, dans cette affaire, met en évidence la difficile gestion de l’opinion pakistanaise. Elle révèle aussi que les Pakistanais sont plus loyaux que ne le dit Hillary Clinton. La bévue commise par Dianne Feinstein n’en apparaît que plus révélatrice du manque de subtilité de l’approche américaine.

En fait, plutôt que des reproches, les Américains devraient remercier leur allié pakistanais d’accepter les risques qu’il prend. En outre, pour gagner sa confiance, ils devraient travailler à réduire la tension avec l’Inde. Pour commencer en obligeant cette dernière à accepter un référendum, réclamé par les Nations Unies et refusé par l’Inde, au Cachemire, principale pomme de discorde entre Islamabad et New Delhi. Plus loin, au Proche-Orient, ils devraient aussi s’atteler à résoudre le conflit israélo-palestinien, en pesant sur Israël. Pour montrer qu’ils ne travaillent pas seulement à préserver leurs intérêts, mais aussi pour plus de justice dans le monde. Enfin, les Américains devraient clarifier leur position en Afghanistan où leur présence est perçue comme une menace pour toute la région. Les Pakistanais, se sentant moins menacés pourraient alors réviser leurs priorités stratégiques.

 

Notes

(1) Les informations concernant le camp de Cherat nous ont été fournies par le général pakistanais Mirza Aslam Baig, au cours d’une interview. Ce dernier a servi de 1957 à 1962 au camp de Cherat.
(2) Nous renvoyons les lecteurs au livre «
La Guerre infernale », biographie de Ben Laden publiée par Alain Chevalérias aux Éditions du Rocher.
(3) L’Inde compte un milliard 145 millions d’habitants, contre 181 millions pour le Pakistan. Quand ce dernier dispose d’un budget militaire de 7,8 milliards de dollars, la première aligne 19,1 milliards de dollars pour subvenir aux besoins de ses forces armées.
(4) Les drones sont des avions sans pilote utilisés pour tirer des missiles.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

Lire aussi
 
 
 
Retour Menu
Retour Page Accueil